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Rougemont: palette inclassable

"Guy de Rougemont", par Gay Gassmann, 250 illustrations (Norma éditions, 2024)


Rougemont: palette inclassable
L'artiste Guy de Rougemont (1935-2021) chez lui à Marsillargues en 2019 © Ambroise Tézenas

Plus qu’une courte semaine pour visiter l’exposition Incursion dans l’atelier de Rougemont. Elle se tient depuis la mi-juillet quai de Conti, en libre accès, dans cette prestigieuse enceinte parisienne de l’Institut de France, qui abrite l’Académie des Beaux-arts.


L’exposition préludait à la toute récente parution, en ce mois de septembre sous les auspices des éditions Norma, d’une monographie (bilingue français-anglais) consacrée à ce protée – peintre, dessinateur, designer, sculpteur, installateur, décorateur… – que fut Guy de Rougemont, disparu il y a trois ans, à l’âge de 86 ans. Dirigé par l’émérite spécialiste américaine Gay Gassmann, préfacé par l’architecte d’intérieur bien connu Jacques Grange et nourri de contributions amies – depuis les galeristes Pierre Passebon ou Diane de Polignac jusqu’ à l’historien d’art fort érudit Adrien Goetz, en passant par l’artiste argentin Julio Le Parc –  le « beau livre », de très grand format, constitue un hommage appuyé au disparu.


En 1935, Guy Joachim Edgard René du Temple de Rougemont ne naît pas dans la crotte, c’est le moins qu’on puisse dire. Sa mère descend en droite ligne de Caroline Murat, la sœur de Napoléon. Les sœurs de Guy, toutes duchesses ou princesses, seront-elles-mêmes durablement implantées dans le milieu étroit des musées, des galeries, des marchands d’art et des acheteurs fortunés… Son père, général et diplomate en poste aux États-Unis, lui aura ouvert de bonne heure l’idiome, les charmes et les réseaux de la hype society nord-américaine.

Gay Gassmann le souligne : « l’homme Guy de Rougement avait tellement de contradictions : un artiste français extrêmement fier de son héritage, un dandy qui évoluait à travers la scène parisienne avec aisance et grâce. Un enchanteur et un raconteur, qui connaissait tout le monde et ne supportait guère les imbéciles. Un intellectuel dévoué aux livres et, curieusement, un rebelle (…) Rougemont s’intéresse à tout, et tout l’inspire ».

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De fait, ce « pont entre grand art et art mineur » qu’évoque le patron de la Galerie du Passage, éditeur de la Table nuage à la quelle Rougemont doit une bonne part de sa célébrité, cette passerelle (aujourd’hui tellement galvaudée, minée par les barbouilleurs du « street art »), il n’allait pas de soi d’en lancer les arches sur le fleuve des Trente Glorieuses. Gassmann, encore : « né aristocrate, [Rougemont] est en même temps, à sa façon, un militant (…) Il n’hésite pas à qualifier quelqu’un ou quelque chose de ‘’bourgeois’’ ou de bureaucratique, tout en louant le modèle familial traditionnel et conventionnel ».

Marié avec la rayonnante Anne-Marie Deschodt – laquelle fut, en premières noces, l’épouse du grand cinéaste Louis Malle – l’artiste ornera son épée d’académicien de la devise familiale : « Age quod agis » : « fais ce que tu fais ». Rougemont aura beaucoup fait, et ce sur tous les registres de la création plastique. On se souvient qu’en 1974, il « met en couleur » en PVC polychromes les colonnes du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Un an plus tôt, il érige ses « totems » à Cergy-Pontoise ou au Plessis-Robinson. En 1977, il colore l’autoroute A 4, sur 30 km, avec des sculptures bien flashy. Commandes publiques – ah, le fameux 1% artistique imposé par la bureaucratie pour « animer » l’espace urbain et paysager… Comme l’observe Julie Goy dans un des textes qui enrichissent l’ouvrage : « l’œuvre de Guy de Rougemont est à double tranchant, oscillant constamment entre une volonté de simple prolongement artistique de la ville, et une volonté de contraste, de rupture avec ce qui existe ». Un bon exemple en reste le pavage de l’esplanade du musée d’Orsay.

Ces réalisations parfaitement datées ont l’heur de ne pas éclipser quantité de productions dont rendent compte les photos ‘’pleine page’’ qui constellent ce gros livre à l’élégante couverture rigide : le grand salon iconique de Henri Samuel, composé vers 1978 au 118 de la rue du Faubourg Saint-Honoré ; le magnifique atelier de Rougemont, rue des Quatre Fils, là même où Madame du Deffand tenait salon trois siècles plus tôt ; jusqu’au bar du Mark Hôtel, à New-York, déco millésimée 2010.


Aquarelliste, Rougemont conçoit du mobilier ; désigner, il crée des couverts en porcelaine, tel ce service Arlequin, en 1992. Graphiste, il dessine l’étiquette du Château Mouton Rothschild, cru 2011… Ou encore scénographie le bureau de François Catroux, la salle à manger de Françoise Dumas ou celle du couple Jacques-Henri et Cécile de Durfort.  Il décore l’appartement Dior du 30 avenue Montaigne. Ou même l’intérieur d’un jet privé, à l’occasion. Bref, ce pape du pop copain de Warhol n’en aura pas moins été, à sa manière, le pontife du chic.

Guy de Rougemont a eu droit à une rétrospective : elle remonte à 1990 – sise au Musée des Arts Décoratifs. L’aimable Adrien Goetz conclut : « il détestait l’idée d’être muséifié tout vif ». Mort, l’inclassable grand seigneur aurait-il la classe d’un classique ?      

En librairies : Guy de Rougemont, par Gay Gassmann. 256p., 250 illustrations. Norma éditions, 2024.

Guy de Rougemont

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A voir : Incursion dans l’atelier de Rougemont, jusqu’au 29 septembre. 27 quai de Conti – Paris 6e



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