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Des terrils à l’Atlantique

La chronique de Monsieur Nostalgie


Des terrils à l’Atlantique
Le chanteur Pierre Bachelet à Caen en avril 1985 © CHANCE/SIPA

Ce dimanche, sans raison particulière, juste pour se souvenir, Monsieur Nostalgie nous parle du regretté Pierre Bachelet…


Il n’y a pas de date anniversaire en ce dimanche de septembre. Aucune stèle à l’horizon. Je pourrais biaiser, inventer un lien avec l’actualité, raccrocher le wagon de ma chronique à la cohorte des temps tristes. Vous dire, par exemple, qu’en 2024, Pierre Bachelet aurait eu 80 ans et qu’au début de l’année prochaine, nous célèbrerons les vingt ans de sa disparition. Feindre d’être offusqué par le silence médiatique qui entoure cette figure de la variété française, oubliée comme d’autres stars du microsillon. Il était jadis invité à Aujourd’hui Madame et à Champs Élysées. Il avait commencé dans la pub et rêvait de cinéma. Tailleur sonore sur mesure, il habillait indifféremment Les Bronzés et Emmanuelle. Il portait une veste trop large comme le président Chirac et des cheveux mi-longs à la manière postrévolutionnaire de ces vieux étudiants, pions éternels des collèges périphériques. Il ressemblait à un instituteur ou à un facteur en milieu de carrière, syndiqué et humaniste, qui se serait habillé pour la noce d’un cousin de province.

Bon et honnête

Le public le trouvait bon et honnête ; d’instinct, il avait adopté cet échalas calaisien né dans le douzième arrondissement. Le public était touché par ces mélodies d’amour et le ravivage de la flamme ouvrière, toutes ces identités occultées. Mais, a-t-on vraiment besoin de s’appuyer sur un calendrier pour évoquer ce chanteur à l’écho entêtant ? Il n’est pas nécessaire non plus d’être un supporter des « sang et or » ou d’avoir eu un grand-père mineur pour aimer l’onde de Bachelet. Elle se propage bien au-delà des corons, elle vogue au-dessus des océans. Car il s’agit là, d’une vibration venue de loin, du mitan des années 1970, des programmes communs et des trains à grande vitesse. Il est cette voix d’ailleurs qui souffle dans l’autoradio d’une Renault 5 vert pomme, à l’entrée de l’automne. Il ramasse à la pelle les feuilles de nos errances, de nos tâtonnements et de nos amours déçues ; il est l’archiviste de nos constructions malhabiles. Comment peut-on être insensible à sa puissance d’évocation du passé ? Il parle plus qu’il ne chante. Son timbre retient tous les chaos de notre existence. Il n’est pas de la race de ces interprètes implorants qui charment leur auditoire par un déballage des sentiments et un excès de sueur. Il ne salit pas les élans sincères, il ne moque pas les imperfections des vies privées de lumière. Il serait plutôt tapisserie de l’Apocalypse, cette tenture inestimable réfugiée au château d’Angers, indéchiffrable pour le béotien et cependant, si proche, si « parlante » pour le visiteur d’un jour.

Proustien populaire

Les chansons de Pierre Bachelet, sans éclat ou artifice, parfois même dans leur simplicité fort honorable, nous transportent toujours plus loin. Il est le phrasé de nos cinq ans. Il est le kaléidoscope de Denise Fabre, le charme sauvage de Flo et le béguin adolescent pour le minois de Véronique Jannot. Bachelet réussit à ouvrir des brèches, là où l’on ne voyait que des plaines infertiles. Il me fait penser au poète André Hardellet qui, à la vue d’une friche de banlieue, inerte et obsolète, la pare, sous sa plume, de mille joliesses et mystères historiques. Bachelet est un compositeur de l’infiniment petit qui, grâce à son talent de transformateur, fait déborder le réel, le bascule dans une adorable rêverie. En l’écoutant, par les hasards de la programmation de la bande FM, le paysage de notre enfance ou plutôt les traces de son imaginaire se dessine. Sa musique remet en mouvement et en sentiment des images effacées. Il restitue le grain des rues grises et des lendemains qui déchantent. Il est un proustien populaire. Quand je l’entends, je ne pourrais vous expliquer pourquoi, les couleurs de ma prime enfance se mettent à danser ; je vois une Lancia Gamma garée Place de la Madeleine, le dernier roman de Georges Conchon dans une librairie près de la Cathédrale de Bourges, des œufs en meurette sur une table en formica et Isabelle Adjani dans L’Année prochaine si tout va bien, le film de Jean-Loup Hubert où elle travaille dans un bureau de l’INSEE. C’est bête, la mémoire.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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