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Cio-cio San ne sera jamais Américaine

« Madame Butterfly » de Puccini à l’Opéra-Bastille


Cio-cio San ne sera jamais Américaine
Eleonora Buratto "Mme Butterfly", opéra de Paris © Chloé Bellemere

Alors que l’on célèbre en 2024 le centenaire de la disparition de Giacomo Puccini, l’Opéra Bastille donne « Madame Butterfly » jusqu’au 25 octobre, le Théâtre du Châtelet propose un concert «Viva Puccini ! » le 9 octobre, et le ténor allemand Jonas Kaufmann sort un disque compilant les plus grands duos amoureux du compositeur.


Faut-il encore présenter Madame Butterfly, must absolu de la scène lyrique ? Pinkerton, un vaniteux officier de marine yankee fraîchement débarqué au Pays du Soleil levant, épouse Cio-cio San, une geisha âgée de 15 ans qu’il a levée grâce à l’entremetteur Goro, avant de se réembarquer en jurant de revenir. En poste à Nagasaki, le consul des États-Unis a prévenu Pinkerton : elle croit dur comme fer à cette fausse promesse ! Passent trois ans ; « Mrs Butterfly » attend toujours son Pinkerton. Lequel, au passage, l’a engrossée d’un fils. Convertie au catholicisme, elle est désormais bannie de la société nipponne. Le consul tente d’annoncer à Cio-cio-Sian le retour soudain de Pinkerton, mais flanqué, cette fois, de Kate, sa jeune femme américaine. Lâchement, ce dernier esquive la rencontre avec Cio-cio San. Refusant obstinément les avances du riche prince Yamatori qui l’aurait tirée de la misère, elle choisit d’abandonner son petit enfant au couple occidental, et se suicide.

C’est que, comme l’exprime Pinkerton au seuil du premier tableau de l’opéra : «  partout dans le monde, le Yankee vagabond s’amuse et se débrouille (…) il jette l’ancre à l’aventure (…) La vie ne le satisfait pas s’il ne s’approprie les étoiles de tous les ciels, les fleurs de tous les pays, l’amour de toutes les belles »… L’impérialisme américain ne fera pas pour autant de Cio-cio San la compatriote de son cynique et couard séducteur !   

Puccini a la quarantaine quand, fort des triomphes de Manon Lescaut (1893), La Bohème (1896), et Tosca (1900), le compositeur désormais très en vue sur la scène internationale se lance, avec ses librettistes Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, dans l’adaptation d’une nouvelle de John Luther Long, elle-même tout juste adaptée au théâtre par David Belasco. La création de Madame Butterfly à la Scala, le 17 février 1904, se solde pourtant par un fiasco retentissant. À plus d’un siècle de distance, la suavité cristalline de la partition, les langueurs mélodiques du chant, la luxuriance, le lyrisme teinté d’exotisme de l’orchestration ravissent l’oreille la moins avertie. Immortel chef d’œuvre !

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C’est en 1993, alors au faîte de sa célébrité, que Robert Wilson (1941-…) a monté la production redonnée à présent par l’Opéra-Bastille ; elle y avait été reprise pour la dernière fois en 2019. Autant dire que cette régie porte la marque de son époque : le XXème siècle finissant et ses épures abstraites – jusqu’à la frigidité. De fait, avec « Bob », on sait à quoi s’attendre : toute espèce de couleur locale évacuée, l’austérité formaliste impose aux chanteurs, chorégraphiée au millimètre, une gestuelle lente, hiératique, robotisée, leurs déplacements s’articulant de façon mécanique sur un plateau sciemment vidé de tout accessoire, un immense écran rectangulaire et uni occupant tout le fond de scène, selon une incessante variation chromatique qui accompagnera l’action de part en part. Ce maniérisme glacé eut son heure de gloire ; il apparaît aujourd’hui cruellement daté. Et surtout tellement, tellement américain !

Cela dit, reconnaissons qu’au cœur de cette régie aseptisée l’apparition archangélique du bambin aux boucles dorées, nu sinon vêtu, mais vraiment à peine, d’un minuscule pagne ceignant ses hanches et se mouvant avec une grâce infinie, imprime au deuxième tableau une poésie pleine de délicatesse. (Par les temps qui courent, d’ailleurs, on en vient à se demander quand les ligues de vertu du parti woke s’aviseront – j’en fais le pari –  de proscrire l’exhibition sur scène de la nudité enfantine, insoutenable atteinte aux droits désormais genrés de l’enfant…).

© Chloé Bellemere / Opéra National de Paris

Fort heureusement, la « tragédie japonaise » de Puccini est ici servie par une direction d’orchestre pleine de nuances, sous la baguette de la cheffe transalpine Speranza Scappucci, et par l’excellent ténor Stefan Pop dans le rôle de Pinkerton. Si la mezzo Aude Extrémo campe Suzuki, la fidèle servante de Cio-Cio-San, avec une belle rondeur dans les graves, on découvrait dans le rôle-titre, au soir de la première, la soprano Eleonora Buratto, lestée d’un vibrato un peu large et d’aigus parfois stridents (elle est en alternance avec la Russe Elena Stikhina), tandis que Sharpless, le consul, se voit quant à lui souverainement campé par le baryton Christopher Maltman. Carlo Bosi (Goro), Andres Cascante (Yamadori), Vartan Gabrielian (le bonze) et enfin l’Ukrainienne Sofia Anisimova (Kate Pinkerton) complètent cette distribution d’assez haut vol tout de même.  

Pour les amateurs de comparaisons, on pouvait voir encore, ces tous derniers jours, en accès libre sur Arte-Concert, la Madame Butterfly du festival d’Aix-en-Provence édition 2024, dans la mise-en-scène remarquablement sobre et dégraissée d’Andrea Breth, sous la direction de l’actuel directeur de l’Opéra de Lyon, Daniele Rusconi, avec la soprano albanaise Ermonela Jaho, celle-là même qui incarnait Cio-Cio-San sur la scène de la Bastille en 2015.

Et pour compléter les nouvelles du front, comme on fête cette année le centenaire de la mort du compositeur transalpin, rendez-vous le 9 octobre prochain au Théâtre du Châtelet pour un concert exceptionnel réunissant les voix de l’immense ténor Jonas Kaufmann et de la soprano Valeria Sepe, avec Jochen Rieder au pupitre de l’Orchestre philharmonique de Rhénanie-Palatinat (Deutsche Staatphilharmonie Rheinland-Pfalz) : des extraits du répertoire puccinien (Tosca, La Bohème, Madame Butterfly), emballé sous l’engageant intitulé : Viva Puccini !  

Concert « Viva Puccini ! », mercredi 9 octobre à 20h, au Théâtre du Châtelet à Paris. Jonas Kaufmann, ténor et Valeria Sepe, soprano.

En parallèle, Kaufman sort, ce mois de septembre, un CD réunissant des duos amoureux tirés de Tosca, Manon Lescaut, La Fanciulla del West. Lui donnent la réplique un panel de divas, d’Anna Netrebko à Pretty Yende…

Puccini est au podium.


Madame Butterfly, « tragédie japonaise » en trois actes de Giacomo Puccini (1904). Direction: Speranza Scappucci. Mise en scene: Robert Wilson. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.  Avec Eleonora Buratto/Elena Stikhina (Cio-Cio-San), Stetan Pop (Pinkerton), Christopher Maltman (Sharpless), Aude Extrémo (Suzuki)…
Durée: 2h45
Opéra-Bastille, les 17, 25, 28 septembre, 1, 10, 16, 19, 22, 25 octobre à 19h30; les 22 septembre, 6 et 13 octobre à 14h30.

Et également :

A voir sur Arte Concert, Madame Butterfly, production Festival d’Aix-en-Provence 2024.
Concert «Viva Puccini ! », Théâtre du Châtelet, Paris. Le mercredi 9 octobre, 20h.

CD « Love Affaires », album Puccini, par Jonas Kaufmann. Sony Classical.

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