Sans convaincre, le sociologue Vincent Tiberj réfute la droitisation du pays dans son dernier bouquin. L’opinion du citoyen français moyen est vraisemblablement plus proche d’un Michel Barnier que d’une Lucie Castets, constate la journaliste du Figaro Eugénie Bastié. Nos années Macron, avec leur « en même temps » inopérant, ont paradoxalement contribué à la polarisation du débat et accentué le raidissement de la gauche comme de la droite dans leurs positions, observe notre chroniqueur.
J’emprunte ce titre à Eugénie Bastié qui a écrit un article passionnant et critique sur un livre du sociologue Vincent Tiberj, La droitisation française – Mythe et Réalités dans Le Figaro du 12 septembre. Ce dernier propose le paradoxe, pire, l’incongruité, de soutenir qu’en réalité « les Français seraient secrètement de gauche mais influencés par des discours politiques et médiatiques imposant certains thèmes dans le débat ». On voit bien ceux qu’il vise et incrimine. Mais son outrance, son excès même, nous contraint à une réflexion que nous n’abordons jamais volontiers parce que beaucoup détesteraient retrouver en eux des traces de positions politiques antagonistes, qu’ils récusent dans leurs tréfonds. Parce qu’ils se sentiraient moins nets, moins tout d’une pièce, trop complexes, gangrenés par une déplorable ambiguïté. Cette répugnance concerne également la gauche et même l’extrême gauche alors que de récentes enquêtes d’opinion démontrent qu’une part importante de leur électorat est devenue très sensible par exemple aux exigences de sécurité et de justice dans leur sens conservateur. Ce constat sans doute entrave encore davantage les directions des partis du Nouveau Front populaire, il l’oblige à se cadenasser pour éviter la corruption intellectuelle et politique par l’adversaire ! Il me semble cependant que c’est encore plus vrai à droite une fois qu’on a dépassé le caractère délibérément provocateur d’une analyse plus idéologique que sociologique.
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Peut-être ai-je tort d’induire de mon propre exemple une généralité qui pourra être perçue comme abusive. Pourtant nous sommes nombreux à ne pas nous sentir clivés, radicaux, à être partagés, intermittents, « souples » selon une expression de Ségolène Royal. Pas toujours « vraiment de droite », pas toujours « de droite », parcourus par des élans divers et parfois contrastés.
Pourquoi nous cédons de plus en plus à la radicalisation du débat
Pourquoi éprouve-t-on tant de mal à l’admettre comme s’il y avait le risque d’une trahison capitale ? Parce que d’abord l’acceptation d’une telle plénitude reviendrait pour certains à tomber dans la caricature d’un centrisme qui n’a que trop sévi et qui par opportunisme picorerait à droite comme à gauche. Cependant il est facile de dénoncer cette dérive tout en maintenant la rectitude d’une position politique qui ne s’enferme pas dans un sectarisme militant.
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Ensuite, parce que nous sommes aujourd’hui, à cause des outrances et parfois des délires du camp prétendu progressiste, conduits à nous priver des quelques évidences de ce dernier à cause de ses excès. Nous aurions honte même d’afficher une vague familiarité avec une gauche qui est dénaturée, dégradée par certains députés qui ne cherchent pas à donner d’elle la plus belle impression possible. Nous sommes détournés de la tentation de nous laisser influencer si peu que ce soit parce que nous préférons demeurer dans une droite close sur elle-même plutôt qu’ouverte sur un autre paysage antagoniste.
Un effet pervers de plus du « en même temps »
Enfin, le « en même temps » macroniste a été le fossoyeur, par les catastrophes qu’il a engendrées, d’une volonté apaisée de tenir les deux bouts d’une chaîne. En effet, pour l’action et la réactivité politiques, le « en même temps » a créé de l’échec puisque là où elles imposaient l’urgence, le sacrifice, des choix, des exclusions obligatoires, cette simultanéité apparente a favorisé lenteur, indécision et déception. Alors que, sur le plan intellectuel et civique, la plénitude du « en même temps », signe éclatant d’une intelligence capable d’épouser toutes les facettes d’une réalité, de s’attacher à l’essentiel sans répudier la richesse d’une autre vision, de s’affirmer de droite sans répudier les idées de gauche raisonnables, constituerait une indéniable richesse. Pourquoi l’égalité, qui est la notion centrale de la gauche, serait-elle forcément aux antipodes, sur tous les registres, de la liberté qui est le cœur battant de la droite ?
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Il ne faut pas surtout pas omettre un point capital si j’ose induire de mon exemple personnel une généralité sans doute à discuter. Pour ma part, si je me sens profondément inspiré par une conception de l’humain, de la responsabilité, de la société et de la culture relevant de la droite conservatrice, par des valeurs et des principes me structurant depuis que citoyen je me détermine dans l’existence, cela ne signifie en aucun cas que la conjoncture politique, les aléas partisans, la gestion au jour le jour, les mille difficultés liées à l’affrontement avec un réel qui répugne parfois à ressembler à ce que la droite attendrait de lui, ne puissent jamais faire naître chez l’homme de droite des tentations de gauche. Et réciproquement, je l’espère. Quand l’une et l’autre sont débarrassées de ce qui les constitue comme solutions exclusives, telles des idéologies, au lieu d’être des compléments pour ce qu’on a privilégié prioritairement. Une droite ne se trahit pas quand une gauche honorable vient au moins partiellement la tenter. Une gauche ne devrait pas refuser d’être irriguée par le meilleur de la droite : changer et réformer seulement quand il convient, conserver s’il le faut. Au fond, j’aspire à une France entière.
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