Le 5 mars 1946, à l’université de Fulton dans le Missouri, l’ancien et futur Premier ministre britannique Winston Churchill prononce l’un des plus célèbres discours de l’histoire européenne. Dans son allocution, il diagnostique la situation de guerre froide entre les Occidentaux et l’URSS – le terme de guerre avait plus de retentissement à l’époque, à peine dix mois après la capitulation de l’Allemagne. Mais c’est l’expression bien connue de « rideau de fer » qui a rendu le discours de Fulton si célèbre. « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, tonne Churchill, un rideau de fer est descendu à travers le continent ». Ce rideau de fer, à l’époque, n’est pas qu’une image : les frontières orientales de l’Europe sont devenues de véritables obstacles à l’invasion.
Soixante-dix ans après Fulton et un quart de siècle après le démantèlement de ses barbelés, miradors, obstacles anti-char, champs de mines et chemins de patrouilles, le rideau de fer – au sens propre comme au figuré – est de retour. Le jour même de l’annonce du cessez-le-feu, mercredi 3 septembre, le Premier ministre ukrainien twittait en effet : « Nous avons élaboré un projet nommé « Le mur ». Cela veut dire que nous allons construire un dispositif de frontière réelle entre l’Ukraine et la Fédération de Russie ».
L’idée d’ériger une frontière physique entre les deux pays n’est pas anodine. Plus qu’un tracé géographique entre deux nations, Kiev a mis en place le plan de construction d’un véritable rempart militaire, une « ligne Maginovski » en quelque sorte. Comme l’a signifié le gouverneur ukrainien de Dnepropetrovsk, Igor Kolomoisky, qui est à l’initiative de la construction du mur, le plan s’inscrit dans la doctrine ukrainienne de « redressement de l’Etat ». Cette dernière prend en compte la nouvelle donne géopolitique du pays dont l’élément majeur est que « la Russie est une ennemie ». Et qu’« il est nécessaire de se protéger d’elle par un mur ». Pour prouver qu’il ne s’agit pas que de symboles, Igor Kolomoisky déroule le cahier des charges ukrainien : « Le mur devra mesurer 2.30 mètres de hauteur. Il sera construit en acier à haute résistance et prolongé de fils barbelés électriques. Il sera devancé d’un fossé suffisamment grand pour bloquer l’avancée de chars ou autres véhicules militaires. Du côté intérieur, seront positionnés des groupes militaires mobiles et des gardes nationaux. »
La construction doit prendre entre cinq et six mois mais elle n’a pas encore débuté. La question du financement, sûrement, freine le démarrage des travaux. Pourtant, le gouverneur Kolomoisky, milliardaire, comme jadis les Romains, a offert sa généreuse participation. Après la via Appia, la ligne Kolomoisky … Une fois ce point matériel réglé, reste encore à résoudre la question de la logique militaire et stratégique : à dépenses égales, le pays, inscrit dans une perspective de guerre, n’a-t-il pas d’autres projets de sécurité militaire, comme une armée plus grande, mieux équipée et entraînée… ? Pourquoi cette fixation sur la dimension BTP de la défense nationale ?
Il semblerait que cette volonté de fortification résulte d’un besoin d’affirmation identitaire. Rappelons à cet égard que la sortie, légère, de Vladimir Poutine pour justifier la présence de soldats russes sur la terre ukrainienne avait fortement déplu du côté ukrainien. « Ils se sont égarés » signifie que la frontière est perméable et implique un rapport de force inégal entre les deux voisins.
En se rapprochant des Occidentaux, Kiev fait sien le proverbe américain selon lequel « de bonnes barrières font des bonnes voisins ».
*Photo : MORVAN/SIPA. 00583737_000024.
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