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« Jacaranda » de Gaël Faye (Grasset, 2024)


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L'écrivain Gaël Faye © JF Paga / Grasset

Après le succès de son premier livre, Petit Pays, le charme du chanteur-écrivain Gaël Faye opère toujours. Dans son nouveau roman, le personnage principal, un Franco-Rwandais comme lui, fait la rencontre de sa cousine Stella, restée au pays. Faye nous parle du génocide, mais jamais le lecteur n’a droit à un exposé ni à une leçon de géopolitique.


« Petit pays je t’envoie cette carte postale, ma rose, mon pétale, mon cristal, ma terre natale. » Ces mots sont extraits de la chanson Petit Pays de Gaël Faye. Petit Pays est également un roman, toujours de Gaël Faye, qui a obtenu un certain succès en 2016 ainsi que le Goncourt des Lycéens.
Entre-temps, ce chanteur écrivain de mère rwandaise et de père français, nous gratifia de nombreux albums dont Lundi Méchant. Et en cette rentrée 2024 sort son deuxième roman : Jacaranda. Si son premier roman traitait de l’exil de la famille au Burundi, pays voisin du Rwanda, plus tranquille, mais dont la famille dut finalement s’échapper pour aller se réfugier à Versailles, Jacaranda traite davantage de l’exil intérieur.

Frère africain

Cela sonne joliment, Jacaranda : ce sont des arbres aux lourdes fleurs mauves, qui donnent envie de s’abriter du soleil. Mais les fleurs, cela finit par pourrir, comme la chair humaine dans les charniers.
Le roman n’est donc pas une bagatelle pour un massacre.
Le personnage principal, Milan, a 11 ans, comme le narrateur. Sa mère est rwandaise et son père français. La famille est plutôt aisée, les grands-parents ont une maison à l’île de Ré.
Mais Milan ne sait rien du pays de sa mère, murée dans son silence. Lui a l’air de s’en foutre, il préfère écouter Rage Against the Machine ou Nirvana. Jusqu’au jour où il découvre Claude dans son salon. Celui-ci est un petit garçon rwandais, mutique, terrorisé, avec un gros pansement sur le crâne. La mère de Milan déclare qu’il est son neveu. En Afrique, les liens familiaux sont parfois un peu fantaisistes, mais on ne laisse jamais seuls les orphelins. Et un beau jour, Claude s’en va, on a retrouvé sa famille. Milan ne comprend pas, lui qui considérait déjà Claude comme son petit frère. Il lui avait fait découvrir les Danettes, et ce n’est pas rien !
Mais à partir de là va commencer pour Milan son aventure, son chemin, certes tortueux, vers le pays de sa mère. Vers la moitié de ses origines dont il ne connaissait rien. Ce qui est bienvenu et qui change du discours ambiant, c’est que Faye considère le métissage comme une multitude. Il aime à dire que son identité est multiple, qu’il est rwandais comme français, musicien comme écrivain. Il ne revendique rien, si ce n’est lui-même.
D’ailleurs, il serait intéressant de souligner que le dernier album de Stromae, lui aussi à moitié Rwandais, s’intitule d’ailleurs Multitudes. Le hasard n’existe pas, disaient Jung et Eluard.

Du bruit et des odeurs

Une multitude. C’est ainsi que nous percevons le Rwanda à travers les yeux de Milan, alors tout jeune adolescent. Il est sidéré de rencontrer sa grand-mère, dont il ignorait l’existence. Tout l’étonne : la nourriture, les toilettes rudimentaires, les rues populeuses et hasardeuses. On le regarde comme un blanc, un camarade lui rétorque que sa mère rwandaise est également blanche, car elle se comporte comme telle, s’habille comme telle, marche comme telle…
Nous percevons les odeurs, les bonnes comme les mauvaises, nous allons à la rencontre de personnages baroques, comme ce dénommé Sartre, fondu de littérature, qui possède une bibliothèque impressionnante, constituée principalement de livres subtilisés aux Européens quand ceux-ci sont partis.
Et puis il y a la transe. Un soir, Milan et ses nouveaux amis boivent trop d’alcool local, et les voilà tous partis dans une danse d’un autre monde, comme si la musique avait pris possession de leurs corps. La danse pour conjurer la mort. Les corps transpercés par la transe, contre ceux déchiquetés par les machettes… Nous pouvons, je crois, affirmer que c’est à ce moment précis que Milan s’est rapproché du peuple de sa mère, qui est aussi un peu le sien.
Milan, par la suite, revient régulièrement au Rwanda. Nous devinons qu’il commence à comprendre le génocide, même à prendre partie (il est d’origine tutsi), mais jamais le lecteur n’a droit à un exposé ni à une leçon de géopolitique, et cela fait, entre autres, tout l’intérêt du livre. L’auteur réussit à transcrire une sorte de détachement, une absence totale de pathos. Même quand il finit par décrire l’innommable. Nous avons bien sûr la gorge nouée, mais nous préférons rester à l’ombre du Jacaranda. Arbre favori de Stella, une cousine de Milan, née bien après le génocide, mais dévorée par le traumatisme de celui-ci. Jusqu’à finir dans un hôpital psychiatrique.
« Stella se claquemure. Le cœur est un secret. Comment confier à cet homme que c’est à cause de l’arbre ? De son arbre.
Son ami, son enfance, son univers.
Son jacaranda. »

288 pages

Jacaranda: Roman

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est enseignante.

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