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Michel Barnier, technocrate fade au carré?

L’analyse politique de Céline Pina


Michel Barnier, technocrate fade au carré?
Michel Barnier, alors négociateur de l'Union européenne chargé de la préparation des relations futures avec le Royaume-Uni, avec le président Macron, Paris, 30 janvier 2020 © Stephane Lemouton/Pool/SIPA

Depuis des années, Michel Barnier, notre nouveau Premier ministre, était considéré comme un « technocrate fade » un peu mou par les vieux briscards de la politique. Mais il pourrait agréablement nous surprendre, observe Céline Pina.


Enfin nous avons un Premier ministre. Michel Barnier a gagné le Koh-Lanta de la nomination. Les Hunger games macroniens ont un vainqueur et la France un nouveau Premier ministre !

Combien de temps tiendra-t-il ?

La série n’a pas été passionnante. On a perdu beaucoup de temps avec un personnage secondaire mais particulièrement insistant, Lucie Castets, qui a créé moults rebondissements mais peu d’enthousiasme. La première saison de ce mauvais feuilleton a ainsi été consacrée à l’élagage de la distribution. L’élimination des héros, souvent par leur propre entourage et par la grâce de la traîtrise, fédère toujours les spectateurs, à défaut d’inspirer l’électeur. La deuxième saison qui s’ouvre devrait se pencher sur le parcours de l’élu, enfin du « designated survivor ». Et disons-le, au vu du contexte politique incertain, l’échec est probable et laisse penser que la troisième saison ne verra jamais le jour, et qu’il faut se préparer à l’arrêt de la franchise.

Les élections législatives n’ayant été gagnées par personne, trouver un homme susceptible de ne pas être victime d’une motion de censure sitôt nommé relevait de la gageure dans un pays divisé où chaque formation politique est sous pression de militants radicaux. Voilà pourquoi nous nous sommes longtemps crus dans une représentation interminable d’En attendant Godot tant cette nomination était espérée et pourtant n’aboutissait jamais. Et pour cause.

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Cette pièce sur l’absurdité de la condition humaine parle de notre réalité politique. Attendre Godot, c’est espérer que le monde va changer, tout en étant conscient que cet espoir est ridicule, surtout quand on n’agit jamais pour influer sur son cours. Attendre Godot, c’est la quête de l’hyper-solution. Cette idée absurde qui consiste à penser que l’on peut résoudre tous ses problèmes grâce à une seule équation. Un exemple : vous êtes mal dans votre peau, mal à l’aise avec votre sexualité, votre lien à autrui et votre relation au monde ? Changez-donc de sexe et vous serez en accord avec vous-même. Vous doutez que cela marche, et vous pensez qu’assez rapidement la personne se retrouvera confrontée aux mêmes problèmes que ceux qu’elle a tenté de fuir ? C’est exact. L’hyper-solution mène à l’échec car elle est la négation de la vie.

La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

La panacée n’existe pas, c’est une fuite en avant dans l’illusion. L’existence est un combat au quotidien, combat perpétuellement renouvelé dont l’issue est de surcroit fatale… La quête d’une hyper-solution est une posture immature car elle nie la condition humaine, la nécessité de construire et de se construire. Nous n’avons pas de baguette magique et il n’y a pas de sauveur. Mais il peut y avoir des hommes debout. Et nous en avons besoin.

Un choix cohérent

Le choix de Michel Barnier a sa cohérence. L’homme a une véritable expérience internationale, et son poste de négociateur du Brexit a démontré ses qualités diplomatiques et sa fermeté. Plusieurs fois ministre, il connait bien la France et a souvent été apprécié dans l’exercice de ses fonctions. Elu local et chef d’exécutifs locaux, il a l’expérience du terrain et est ancré sur un territoire. Il y a une histoire à raconter autour de cette nomination qui tente de conjuguer profil technocratique et épaisseur politique. Même si le technocrate est plus visible chez Michel Barnier que le produit du terroir.

Sa nomination intervient à un moment où la gauche s’est ridiculisée : après avoir tenté d’imposer un personnage sans histoire ni envergure à la tête du pays en s’inventant une victoire qui n’existe pas, le PS a abattu le seul homme qui pouvait tenter de créer une coalition, Bernard Cazeneuve. Se faisant, il a prouvé que les deux gauches étaient effectivement irréconciliables et que la seule manière d’envisager un avenir passe par l’élimination de la gauche républicaine de Cazeneuve au bénéfice d’une gauche aux penchants totalitaires et antisémites, celle de LFI. Ce terrain ayant été dégagé, la candidature d’une personnalité de droite cadrait mieux avec les attentes des Français et leur vote. Or, dans ce cadre, l’imprimatur du RN était nécessaire. Exit donc Xavier Bertrand, qui s’était posé en caution morale face au risque fasciste qu’il imputait au RN. Un profil comme Michel Barnier, qui n’a jamais insulté personne tout en sachant affronter les situations de tension, devenait la clé d’un possible.

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N’avoir jamais insulté personne parait un peu terne comme image politique ? On a vu que Michel Barnier ne se résumait pas à cela, mais il n’en reste pas moins que ce « détail » est de grande importance. Ne dit-on pas que le divin se cache dans les petites choses ? Or la tenue est exactement ce qui manque aujourd’hui en politique. Celle-ci s’incarne aujourd’hui dans des personnages qui paraissent dépourvus de vergogne, de limites et d’éducation. Les Delogu, Léaument, Soudais et autres Guiraud ont abimé l’image de l’Assemblée nationale à force de vociférations et de violences, Jean-Luc Mélenchon est devenu une caricature d’imprécateur, une grande partie de la gauche assène toujours des leçons de maintien alors qu’elle fraie avec les islamo-gauchistes. On n’est pas mieux loti du côté du pouvoir avec un président adulescent et irresponsable, largement comptable de l’impasse politique où ses caprices nous ont placés. Quant à la droite, la tragi-comédie des LR lors des législatives l’a rendu peu attractive et même un tantinet ridicule. Elle ne s’en est pas encore remise.

Ce n’est pas un président de droite qui parlait de « sans-dents »…

Dans ce cadre où tous ceux qui se poussent du col montrent plus leurs limites que leurs atouts, le « terne » Michel Barnier ne s’en est pas mal sorti. Sa passation de pouvoir entre lui et Gabriel Attal était touchante et digne. Et surtout y affleurait une forme de sincérité et de simplicité extrêmement intéressante. On était loin des mots ronflants dont l’emphase et la puissance servent avant tout à masquer la réalité de l’inaction du pouvoir. Certains se sont beaucoup moqués de l’expression « les gens d’en bas ». Surtout à gauche. Alors même que cette gauche les méprise et n’écoute plus ces gens depuis longtemps, tant elle est persuadée que le peuple est con et qu’elle a les meilleures solutions pour faire son bonheur malgré lui. Eh bien curieusement, c’est le techno qui trouve la voix de la sincérité pour en parler. Son expression était peut-être un peu vieillotte, datée, ancien monde, mais les accents dans la voix du Savoyard montraient qu’il croyait aux mots qu’il prononçait, là où trop souvent les politiques utilisent les mots comme des leurres. Il y avait là quelque chose d’apaisant et de rassurant dans les premiers pas de cet homme placé par les circonstances au poste de Premier ministre.

Il n’en reste pas moins que le chantier qui s’ouvre devant lui est titanesque et qu’aucune des conditions ne sont remplies pour qu’il puisse espérer réussir. Il n’a pas de majorité, et doit gérer un président dont le discernement est inversement proportionnel à sa capacité d’initiative, et qui est en plus prompt à mettre des excréments dans le ventilateur, même dans sa propre maison. Notre problème est qu’une situation politique bloquée c’est comme une cocotte-minute sous pression. Il faut donc gagner du temps pour empêcher que la logique de tension que cela implique ne finisse par affaiblir considérablement l’Elysée. Il faut donner au monde politique un os à ronger et une tête à faire tomber autre que celle d’Emmanuel Macron. Il faut donc occuper les médias et leur fournir un abcès de fixation. Mais à part se donner le temps de bien compter les briques en attendant de se prendre le mur, que peut faire Michel Barnier ? Dans une société fracturée où dans la perspective de 2027 chacun va vouloir donner des gages aux plus radicaux de son camp, la conjonction de l’hystérisation des enjeux et de l’impuissance du politique risque d’exacerber frustrations et revendications alors même que la crise budgétaire et les menaces extérieures réduisent toute marge de manœuvre. Face à ces réalités, si Michel Barnier arrive déjà à relancer le dialogue entre les forces politiques et à prendre en compte les attentes des Français sans brutaliser la société, il aura fait œuvre utile et aura amené quelques grammes d’espoir dans un monde de brutes.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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