Accueil Édition Abonné «La droite a renoncé à mener le combat culturel»

«La droite a renoncé à mener le combat culturel»

Grand entretien avec Eric Zemmour (2/2)


«La droite a renoncé à mener le combat culturel»
Eric Zemmour © InitialesCK/Eléonore Lhéritier/Reconquête

Relire la première partie.


Causeur. Les élections n’ont pas sacré la reine du bal désignée par les sondages… Pourquoi le RN a-t-il perdu ?

Eric Zemmour. La coalition des partisans du cordon sanitaire a évidemment bloqué sa dynamique. Ce grand retour des castors a étonnement fonctionné. Peut-être grâce aux failles du RN. Depuis des mois, il se disait prêt, avec le fameux « plan Matignon », les 577 candidats déjà sélectionnés, les textes de loi qui auraient déjà été rédigés, etc. La campagne a montré que les dirigeants du RN n’étaient pas prêts. Ils ont changé de programme tous les jours et sont restés sans voix devant les polémiques lancées par leurs adversaires. Car la dédiabolisation leur coupe la voix. Qu’est-ce que la dédiabolisation ? C’est le fait de renoncer à des idées que la gauche estime inacceptables. C’est donc la soumission à l’idéologie de gauche. C’est le pari que fait Marine Le Pen depuis douze ans maintenant, et que je critiquais déjà du temps où j’écrivais au Figaro. Les concessions qu’elle fait à la gauche ne seront jamais assez nombreuses. La gauche ne donnera jamais quitus au RN. Ce n’est jamais assez ; une soumission en entraîne une autre et à la fin que reste-t-il ?

En dehors de ce que veut la gauche, faut-il regretter l’antisémitisme de fin de banquet et autre rivarolades pétainistes de Jean-Marie Le Pen ? Êtes-vous choqué que Marine Le Pen ait déclaré que le nazisme était une abomination ?

Rejeter les quelques nazillons du FN, vous appelez ça une stratégie ? C’est une évidence. Mais faire croire que Marine Le Pen a dénazifié le FN, c’est encore une fois tomber dans le piège de la gauche. Le FN n’était pas un parti de nazis. La nazification de patriotes absolument pas nazis est une des stratégies les plus classiques de la gauche depuis les années 1930. C’est même Staline qui l’a inventée et suggérée à tous les partis communistes européens. Je parle donc d’une machine infernale : de la dédiabolisation qui fait de la gauche l’ultima ratio de la bienséance, rôle qu’elle s’octroie depuis la Révolution française. Faire de la dédiabolisation une stratégie, c’est lui reconnaître ce magistère. Et ça ne sert à rien. Il a suffi de vingt-quatre heures entre le soir du premier tour et le lendemain pour rediaboliser comme jamais le RN. Alors qu’est-ce qu’on tire de ces élections pour aller de l’avant ? Marine Le Pen en tire qu’il faut aller plus loin dans la dédiabolisation, j’en tire qu’il faut aller plus loin dans la crédibilité et l’affirmation de nos idées. La situation est de plus en plus critique, ce n’est pas le moment de mollir. Chez Reconquête nous allons travailler d’arrache-pied sur la formation de nos cadres et l’élaboration d’un nouveau programme.

En tout cas, votre union des droites a du plomb dans l’aile.

Vous avez raison ! Pour faire l’union des droites, comme son nom l’indique, il faut des gens qui veulent s’unir et des gens de droite. Les LR se disent de droite, mais ne veulent pas s’unir. Le RN ne se dit pas de droite et ne veut pas non plus d’alliance avec Reconquête. J’ai décidé de ne plus parler de tactique ! L’union des droites, c’est un moyen, pas un objectif. L’objectif, c’est de sauver la France. Je trouverai d’autres moyens.

Jordan Bardella et Marine Le Pen au palais de l’Élysée, après leur entretien avec Emmanuel Macron en vue de la nomination du prochain Premier ministre, 26 août 2024 ISA HARSIN/SIPA

Qu’avez-vous pensé de l’épisode Ciotti ?

Ciotti a tenté une union avec le RN et je le félicite d’avoir essayé de rompre le cordon sanitaire. Malheureusement, le reste des LR n’a pas eu son courage et le cordon sanitaire est revenu, plus fort que jamais. Au passage, on a assisté à une opération vérité : tous les leaders de LR ont reconnu, une fois de plus, qu’ils demeuraient des centristes, proches d’Emmanuel Macron.

Aujourd’hui, le paysage médiatique est beaucoup plus ouvert qu’il y a trente ans : il y a les médias Bolloré… et Causeur ! Pourquoi la gauche, beaucoup moins florissante électoralement, conserve-t-elle son hégémonie culturelle ?

Nos idées ont désormais un diffuseur médiatique non négligeable. D’ailleurs, nos adversaires ont compris qu’il fallait d’urgence attaquer le diffuseur. Mais la gauche conserve l’hégémonie culturelle, car elle tient l’école, l’université, les médias, la justice, le cinéma, le monde de la culture, les financements publics, la plupart des réseaux sociaux et leur pouvoir de censure. Avec cela, la gauche endoctrine la masse, en particulier, les jeunes générations, comme au temps de la Révolution culturelle chinoise, quand les jeunes étaient instruits contre leurs propres parents ! Vous voyez, l’hégémonie culturelle n’a pas besoin de la majorité électorale, même si elle la prépare.

L’attaque terroriste contre la synagogue de La Grande-Motte montre que la haine des juifs, attisée par une partie de la gauche, est aujourd’hui décomplexée. Beaucoup de Français juifs se demandent s’il y a un avenir pour eux en France. Et vous ?

Beaucoup de Français se demandent s’il y a un avenir pour les Français en France ! Si on veut lutter contre l’antisémitisme, il faut arrêter l’immigration musulmane. C’est un principe de précaution. Il y a un antisémitisme culturel systémique, comme on dit, dans le monde musulman. C’est un phénomène très documenté, notamment par l’historien Georges Bensoussan, spécialiste du monde arabe, ou par David Littman qui raconte la condition des juifs au Maghreb. Plus il y aura de musulmans en France, plus il y aura d’antisémitisme. On était sorti de l’antisémitisme européen depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on l’a ramené nous-mêmes sur notre sol par l’immigration. Il faut arrêter.

Revenons à vous. Beaucoup de gens semblent partager votre diagnostic. Pourquoi ne vous élisent-ils pas reine du bal ?

Permettez-moi l’optimisme : c’est déjà un progrès ! C’est même la première étape. Il y a quelques années, on me contestait le diagnostic. Je pense tout simplement que l’élection présidentielle structure la vie politique et les rapports de forces pour les cinq années qui suivent. Il y a comme une inertie attachée à ce résultat. En arrivant deuxième en 2022, Marine Le Pen a pris la tête de l’opposition. On peut faire beaucoup de choses pendant cinq ans, mais pas renverser cette hiérarchie. En 2027, les compteurs seront remis à zéro, les Français seront disponibles, comme à chaque élection présidentielle, pour écouter et comparer : l’électorat redevient mobile. Les jeux seront à nouveau ouverts. D’ici là, revenons aux fondamentaux : les idées, les convictions, les tempéraments. C’est ce qui fait l’essence de la politique, pas les partis, ni les sondages.

Cependant, n’êtes-vous pas un peu obsessionnel ? Tout n’entre pas dans le tuyau du grand remplacement.

C’est vous qui parlez ! Pour vous taquiner, je dirais qu’obsédé vient du latin obsedare qui signifie assiéger. Oui, je pense que la France est assiégée par une civilisation étrangère et qu’il est tout à fait légitime d’être obsédé par cela. Je ne cherche pas à faire entrer tous les problèmes dans une théorie, mais certains grands phénomènes historiques s’imposent et transforment tout. Prenons l’exemple de l’école. Ce n’est pas l’immigration qui a causé son effondrement, c’est l’idéologie. À partir de 1945, dans tous les pays occidentaux, on a subordonné le principe de méritocratie à l’objectif supérieur de démocratisation et de réduction des inégalités. Mais l’arrivée de millions d’enfants issus de cultures maghrébines ou africaines, avec des parents qui parlaient très mal français et, pour la plupart, n’avaient pas le culte du savoir, a aggravé les choses. Les idéologues de gauche se sont employés à adapter l’enseignement à ce nouveau public ; cela a produit un effet boule de neige. De même, l’immigration n’est pas responsable de la désindustrialisation française, de la baisse du temps de travail, de la baisse de la compétitivité, de l’insistance mise sur la consommation au détriment de la production : tout cela, c’est l’œuvre des élites françaises. Mais le fait est que beaucoup d’immigrés ne travaillent pas (le taux d’inactivité est de 40 % chez les Algériens contre 26 % chez les Français) et qu’on fait venir des immigrés pour consommer, que cette consommation n’est pas financée par leur travail, mais par les allocations sociales, que l’on finance par la dette. Enfin, on s’étonne que nos services publics n’aient plus l’efficacité d’antan, et bien sûr que les 35 heures, la bureaucratisation et la tyrannie des normes n’y sont pas pour rien. Mais on oublie qu’ils subissent aussi l’arrivée annuelle de 500 000 personnes, très consommatrices de services publics. Ils ploient sous le nombre. En somme, comme pour l’école, les immigrés aggravent nos propres problèmes.

Du point de vue de l’immigré, il est légitime de chercher à venir en France.

C’est rationnel, mais ce n’est pas moral.

Ce n’est pas immoral.

Je trouve que si. C’est immoral de quitter son pays plutôt que de l’aider à devenir plus fort. C’est immoral de profiter d’un pays, voire de l’attaquer, alors que ce pays vous a accueilli.

La plupart des êtres humains sont immoraux dans ce cas, car la plupart privilégient le sort de leurs enfants à celui de leur pays.

Ce n’est pas vrai. En 1914, les Français n’ont pas fait ce calcul-là, ils n’ont pas émigré en masse. Et ils ont construit un pays magnifique pour leurs enfants.

Campement de migrants devant la mairie du 18e arrondissement de Paris, demandant « une mise à l’abri » à la veille de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, 24 juillet 2024. SOPA Images/SIPA

L’étranger qui vient en France n’est pas responsable du système qui a été mis en place pour l’attirer. Pourquoi attaquer les immigrés plutôt que l’immigration?

Une fois qu’ils sont chez nous, ils ont une responsabilité individuelle. Au nom de quoi n’aurait-on pas le droit de critiquer ceux des immigrés qui profitent de notre générosité sans travailler, ou ceux qui violent, qui poignardent et qui tuent ? Mais s’ils sont là, c’est bien de la faute de la politique française. Et il faut dire que notre système devient de plus en plus fou ! Pendant l’été, la Cour nationale du droit d’asile a décidé que TOUTES les femmes afghanes pouvaient bénéficier du droit d’asile en France, du fait de leur traitement par les talibans. C’est-à-dire qu’il n’y a même plus besoin d’examen individuel de leur cas ! Elles obtiennent d’office le statut de réfugiée ! N’oubliez pas que grâce au regroupement familial, les enfants et les maris pourront également les rejoindre en France. En clair, grâce à nos juges, les 40 millions d’Afghans sont désormais les bienvenus en France !

Beaucoup de femmes afghanes méritent la protection de nos lois, non ?

Votre esprit de contradiction vous égare ! Je ne sais pas si vous mesurez ce que je viens de vous dire. Les femmes afghanes sont victimes de l’islam depuis mille ans, est-ce pour cela qu’il faut accueillir toutes les femmes afghanes ? Et puis toutes les femmes du monde musulman, et tous les homosexuels ? Cela va faire du monde ! Le droit d’asile,c’est Victor Hugo et Soljenitsyne. Ce n’est pas tous les persécutés des pays musulmans. Au nom de quoi les gens de la CNDA peuvent-ils prendre de telles décisions qui engagent le pays plus que toute décision prise par le Parlement ? Ces gens n’ont pas été élus, personne ne les connaît. C’est un scandale démocratique.

Faisons un détour par l’Angleterre et les émeutes. Cela ne va pas aider votre combat contre l’immigration que des gens agressent des immigrés dans les rues.

Qu’ont dit ces émeutiers anglais ? Enough is enough – « trop, c’est trop ». Un fils de migrants rwandais venait d’assassiner trois fillettes. Et ce n’est pas la première affaire de ce genre qui émeut l’Angleterre ! Le peuple britannique a voulu sortir de l’UE pour arrêter l’immigration. Et les élites anglaises ont stoppé l’immigration européenne, mais accru l’immigration extra-européenne. C’est contre cette entourloupe que les Anglais se révoltent. Cette révolte est légitime dans son objet. Et immédiatement, des militants d’extrême gauche et des islamo-gauchistes, renforcés par la police anglaise, sont partis de toute l’Europe pour faire le coup de poing contre ces Anglais. La justice a été d’une rare férocité avec ces gens qui défendaient le droit de l’Angleterre de rester l’Angleterre.

Beaucoup de Français redoutent comme vous de voir la France qu’ils aiment disparaître, mais voudraient des solutions douces.

La solution que je propose est beaucoup plus douce que celle qui consiste à laisser le djihad se développer sur notre sol, à accepter l’ambiance de guerre civile, à mentir effrontément sur la nature de l’immigration musulmane et, in fine, un jour, et bien trop tard, se résoudre à intervenir de manière violente, dramatique – ou bien, car ce sera la seule alternative, à être vaincus. Je fais tout pour nous l’épargner. Je pense que les Français ont compris que je ferai ce que je dis. Ils savent que chez les autres, ce n’est que du théâtre et que, contrairement à eux, j’aurai le tempérament nécessaire pour régler la question.

Prétendez-vous sauver la France contre elle-même ?

Le général de Gaulle dit : « La seule fatalité, ce sont des peuples qui n’ont plus la force de se tenir debout et qui se couchent pour mourir. » C’est pour conjurer cette fatalité que je me suis engagé en politique.

Il se dit beaucoup que vous êtes un bon analyste, mais un mauvais politique.

J’entends la critique. Si la politique, c’est changer d’avis tous les jours parce que les sondages changent, faire des coups, dire et ne pas faire, oui, je ne suis pas un bon politicien. Mon ami Gilles-William Goldnadel avait dit : « Zemmour ne sera jamais un vrai politicien parce qu’il ne veut pas mentir. » Je le remercie pour ce beau compliment !

Quelle piètre opinion de la politique !

Qui a permis à l’immigration et à l’islam de conquérir la France ? La politique, contre l’avis des Français. Qui a effacé les frontières ? La politique, contre l’avis des Français. Qui a fait des travailleurs des esclaves du fisc ? La politique, contre l’avis des Français. Et peu importe que ce soit la droite ou la gauche, car c’est encore et toujours la politique, la matrice unique de nos malheurs.

Le problème de la France, c’est cette politique. La politique qui brise la liberté, la vérité, la créativité, la prospérité, la souveraineté. La politique qui torture la pensée du peuple à coups de mensonges. La politique qui s’est insérée dans les moindres interstices de notre vie privée. La politique qui paralyse l’action du peuple à coups de lois et de prélèvements. La politique qui envahit tout, s’empare de tout, détourne tout, tord tout, dénature tout, abîme tout, annule tout. La politique qui ruine le pays. La politique qui remplace le pays. La politique qui déclasse le pays. La politique qui embrigade le pays. La politique est l’ennemie du peuple. Une révolution antipolitique est nécessaire.

Vous, l’admirateur de Churchill, Napoléon, De Gaulle, ne croyez plus à la politique pour civiliser les conflits ?

Ce que les Français appellent « la politique » en 2024, ce n’est ni Churchill face au nazisme, ni Napoléon recréant le Droit, ni De Gaulle rendant à la France sa grandeur. Ce qu’ils appellent « la politique », c’est un labyrinthe sans fin d’hypocrisies, d’incompétences et de ratages. Ils veulent abattre les murs de ce labyrinthe. Moi aussi. Je veux le faire avec eux et pour eux. Et nous retrouverons peut-être un jour la grande politique, mais pas avant. Il faut sortir le pays du « Tout est politique » imposé par les soixante-huitards ! Ils ont tout politisé, ils ont tout dénaturé, ils nous enferment dans une logique totalitaire. Il faut dépolitiser l’école, la culture, le cinéma, l’économie, la chambre à coucher, l’humour, les relations entre les hommes et les femmes, la fiscalité, la famille, la propriété, l’écologie, la justice. Il faut dépolitiser tout ce qui a été tragiquement politisé par la gauche. Vous allez m’entendre le dire souvent dans les mois qui viennent : la politique est l’ennemie du peuple. Ce n’est pas une formule en l’air. C’est ce que pensent les Français. Nous allons faire tomber cette Bastille.

Septembre 2024 - Causeur #126

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Michel Barnier, technocrate fade au carré?
Article suivant La droite sans gazole ni vachettes
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération