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Le Grand Barnier

Le billet satirique de Denis Hatchondo


Le Grand Barnier
Michel Barnier, débat entre les cinq candidats républicains à la présidentielle, 30 novembre 2021, Saint Denis © ISA HARSIN/SIPA

« Nom, prénom, date et lieu de naissance? » « Barnier Michel le 09.01.51 à La Tronche! » « Où? » « A La Tronche!!! » « Soyez poli jeune homme! Personne suivante! » Mais je suis né à La Tronche!!! » Barnier! Le Barn’s! Et si c’était lui?…


Dès son enfance à La Tronche donc, près de Grenoble, Michel développe une précocité à fatiguer autrui remarquable. Lors des repas de famille il a pris l’habitude, au moment du dessert, de se lever et d’entonner une Marseillaise prépubère qui fait le bonheur de ses parents mais qui gonfle prodigieusement le reste de la tribu. « Un café l’addition » c’est devenu la règle chez les Barn’s et apparentés, afin de s’éviter le stress de fin de banquet.

Sur sa lancée, les semelles bien fartées, il prend sa carte à l’UDR, le parti gaulliste, à 14 ans. Au lieu de l’amener illico chez le psy, papa et maman applaudissent des deux mains. Ce sera le seul et unique triomphe public de sa carrière politique.

Tous les témoignages des survivants et rescapés des meetings et réunions politiques du Grand Barnier convergent: le bougre est un serial killer qui pratique, dans ses discours, involontairement l’hypnose. Beaucoup n’ont pas pu ou voulu se réveiller. Malgré ce lourd handicap à l’oral, le Barn’s par lui-même convaincu de lui-même, entame une ascension fulgurante. Il y a les politiques brillants dont on dit : « ils ont fait une belle carrière ». Pour le Grand Barnier, c’est selon que l’on soit catho (comme lui) ou mécréant. Le catho dira que le Michou aurait battu le record de la traversée de la mer Morte avec ses pieds comme des planches, le mécréant aurait joué les chiffres de sa naissance à l’Euro millions.

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D’une enfance sans histoire, le Miche ne garde que de bons souvenirs à l’exception d’un cauchemar. Le cauchemar de la crêperie. Petit, Barnier était déjà grand. Beaucoup plus que ses copains. La bande avait pris l’habitude de se rendre dans une crêperie de Grenoble, et les gamins attendaient le moment de la commande. Quand la serveuse demandait: « les crêpes ? Sucre ou Grand Marnier? », à l’unanimité moins une, « au Grand Barnier!!! ». Les enfants sont cruels. Depuis quel que soit le lieu, le sujet, dès que Michou entend au détour d’une phrase « le grand… » il ne peut s’empêcher de hurler « au sucre, au sucre! » C’est devenu, avec le temps, sa manière de crier « au secours »! Ce qui, selon le contexte, peut provoquer un malaise certain. Invité par un de ses soutiens, le maire du Touquet Daniel Fasquelle, au salon du livre de la commune, il tombe sur un débat littéraire autour de l’œuvre d’Alain Fournier. Quand l’intervenant va citer Le Grand M…, le Barn’s s’égosille « au sucre, au sucre ». Pendant qu’on exfiltre Barnier, un militant demande au maire si Michou n’abuse pas du bicarbonate…

L’autre obsession du Grand Barnier s’appelle Pierre Mazeaud. Rares sont les hommes politiques à avoir un parcours d’homme aussi charpenté. Mazeaud a pour lui une vie incroyable, jalonnée par les exploits, le gout du risque, les drames et les plus grandes épopées. Il a affronté à mains nues la fureur des éléments. La foudre a percuté sa cordée emportant quatre de ses compagnons. Il est l’un des premiers à planter son piolet au sommet de l’Everest. Son nom est associé au pic des montagnes les plus dévoreuses de chair humaine, gravies à la force des phalanges et du poignet. Il est une légende de l’alpinisme. Professeur de droit le jour, il est le fruit d’une longue dynastie de juristes, il s’encanaille la nuit dans les vapeurs d’alcool, drague les filles sur des notes de jazz et fait la java sous les pavés de Saint-Germain, tout en rêvant des Dolomites. Il s’oppose à la politique coloniale, écrit des brulots sous pseudo dans Le Libertaire, journal anarchiste. Michel Debré le convainc de s’engager dans le parti gaulliste. A ce moment-là, il devient l’insoumis de droite menant de front plusieurs vies, mêlant politique, droit, beuveries avec ses potes pour toujours finir dans son paradis blanc. Alors, en ce jour de 1973, quand le Barnier de 22 ans, en mission auprès du Secrétaire d’Etat chargé de la Jeunesse et des Sports, Pierre Mazeaud himself, le choc des cultures est en marche. Si la fumée monte au ciel, les volutes du cigare de Mazeaud s’accumulent sous le plafond de son bureau. Juste ou le grand Barnier ouvre ses naseaux. Ces deux Savoyards ne sont pas de la même planète. Entre le furet de la vallée et le grizzli des sommets, absolument rien ni personne ne peut établir la connexion.

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Le 30 octobre 2021, Mazeaud, 92 ans, donne une interview au Point. L’hebdo lui décline le casting des candidats à la primaire des LR. Quand vient le tour du Barnier, la sentence du vieux lion est sans appel: un nul, un imbécile. Son coup de griffe est une récidive. Retour en 96. Barnier est président du Conseil général de Savoie. Dans une interview publiée par l’Evènement du Jeudi, le Président de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale Pierre Mazeaud (RPR) s’en prend vertement à plusieurs membres du gouvernement et de la majorité. Le pire, déclare-t-il, après avoir évoqué la situation en Corse, c’est quand j’entends cet imbécile de Barnier parler de fusionner les deux Savoie. Il incite au séparatisme, accuse Mazeaud ! Que s’est-il passé pour que le Barn’s qui ne passe pas pour être un franc-tireur se retrouve dans cette aventure ? Le leader de la Ligue savoisienne, mouvement indépendantiste, un certain Patrice Abeille, qui deviendra le premier chef du gouvernement provisoire de la Savoie, en exil à Genève, passe un accord avec le Miche. Si tu milites pour la fusion nous t’apportons nos suffrages. Ni une ni deux, lancé comme un frelon, Barnier se range à l’injonction de l’Abeille. 7% d’intention de vote, ce n’est pas rien. Las, le vieux lion du haut de sa tanière a anticipé la gesticulation du précieux de La Tronche. Et quand le fauve déverse dans la vallée une avalanche de quolibets, le Grand Barnier qui n’a jamais eu la conviction chevillée au corps, se réfugie dans son chalet. En attendant des jours meilleurs…



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