Rentrée littéraire. Dans son nouveau livre, Thibault de Montaigu reconstitue son étonnant arbre généalogique, et se questionne en particulier sur un étrange grand-père tombé lors de la Grande guerre. Savoureux.
Déjà, rien que pour la couverture du livre, on a envie de le lire. Il a une bonne bouille, avec sa tignasse jais de futur rebelle, le petit garçon qui tient son cartable coloré en rouge avec des fermetures jaunes. On reconnaît Thibault de Montaigu, auteur d’un remarquable roman intitulé La Grâce, prix de Flore 2020, regard malicieux et sourire enjôleur ; sans oublier les pompes qui brillent. Il a quoi, neuf ans, l’âge où l’on a tout compris de la vie. Après, c’est pour confirmer. On a envie de le lire, et on a raison. Car c’est une sacrée aventure à laquelle il nous convie, l’aventure de sa famille, en particulier de son père et de son étrange arrière-grand-père, Louis, capitaine des hussards fauché en 1914 dans une charge de cavalerie totalement anachronique. Une dinguerie, comme dirait l’autre. Nous sommes happés par le style enlevé comme celui de Paul Morand, père de ce courant littéraire qui n’en est pas un, les hussards, justement, avec les fils Nimier, Déon, Laurent, Blondin, un père indigne, compromis avec Laval, honni de De Gaulle, mais grand écrivain – relisez surtout ses nouvelles. Nous sommes pris par le rythme des chapitres jamais trop longs, car Thibault de Montaigu est un virtuose de la vitesse maîtrisée. On ne décroche pas.
Thibault s’occupe de son père grabataire et aveugle. Ça pourrait virer au pathos, mais non, l’auteur tient son rang. L’homme a du charisme, il a vécu comme un Casanova, et fini ruiné. Dans son fauteuil roulant, perforé de tuyaux, il continue de porter un pull en cachemire bouffé par les mites. Thibault est l’ainé, il s’occupe bien de son géniteur, c’est un fils attentionné. Un jour, le vieil homme arthritique lui parle de son arrière-grand-père et lui demande d’écrire un livre dont l’ancêtre serait le sujet. Il dit : « Tu te rends compte : une charge à cheval, sabre au clair, contre des mitraillettes et des canons. Il faut en avoir quand même ! » C’est en effet romanesque. C’est surtout suicidaire : ça cache sûrement quelque chose. Montaigu hésite. C’est qu’il a commencé un livre sur Buzz Aldrin, le deuxième homme à avoir marché sur la lune. Comme l’écrit avec justesse l’auteur : « Seulement un écrivain ne choisit jamais son sujet ; c’est l’inverse qui est vrai. » L’enquête commence alors. C’est en réalité l’enquête des origines. Avec finesse, Montaigu évoque, à propos de son père, Œdipe : « (…) la cécité est son châtiment pour avoir méconnu ses origines. » Œdipe ignore qui sont ses parents. L’inceste et le parricide deviennent les conséquences d’un mal qui nous ronge tous : « le mépris du passé, l’effacement des origines, la tentation de croire que nous ne devons tout qu’à nous-mêmes. » Diablement actuel. Thibault de Montaigu va tenter de reconstituer l’arbre généalogique familial. C’est indispensable, ce n’est pas sans risque. Mais n’est-il l’arrière-petit-fils d’un hussard ? L’ouvrage devient alors vital pour combler la perte des siens. À la mort d’Emmanuel, son père, il « ne gardera rien de lui. Sauf ce livre où en me penchant peut-être j’entendrai son cœur battre encore un peu… »
Il y a donc ce face à face entre le fils aîné et ce père qui n’est pas exempt de reproches. « L’homme est ce qu’il cache : un misérable petit tas de secrets », a écrit André Malraux. Mais est-il pour autant responsable ? Louis n’est-il pas le vrai responsable ? Pourquoi cette charge peut-être pas si héroïque que ça ? Thibault, à la fin de son enquête, cite Teilhard de Chardin, jeune prêtre jésuite officiant comme brancardier durant la Première Guerre mondiale : « Aller en ligne, c’est monter vers la paix. »
Écrire ce livre, c’est vivre en paix avec soi-même.
Thibault de Montaigu, Cœur, Albin Michel.