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À propos d’un refus d’obtempérer

"Violences policières", ressentiment et alliance des frustrés...


À propos d’un refus d’obtempérer
Image d'archive © FRED SCHEIBER/SIPA

Le récit médiatique entourant les «violences policières», à la mode depuis la mort de George Floyd aux États-Unis en 2020, est mis à mal par la mort du gendarme Éric Comyn.


La mort tragique d’un gendarme à Mougins (06) à l’occasion d’un contrôle, tué par un multirécidiviste capverdien en liberté nous rappelle les vingt-quatre mille refus d’obtempérer par an et la mort de Nahel, « petit ange parti trop tôt ». Une fois de plus, la France est divisée.

La police et la gendarmerie, pour la majorité des lecteurs du Monde, de Libération, de Télérama, des Inrocks, pour les intellectuels et militants issus de la diversité, pour ce qui reste du peuple de gauche, pour la France insoumise surtout, sont des corps réactionnaires peu soucieux des libertés publiques. Pour tous ces gens-là, les violences policières actuelles en rappellent d’autres : celles contre le peuple révolté ou affamé, contre les ouvriers en grève devant les portes des usines, contre les Juifs sous le régime de Vichy, les Arabes pendant la guerre d’Algérie, les immigrés dans les bidonvilles…

Pensée manichéenne

Or la vision qu’ils présentent est tronquée ; pire, elle est manichéenne. Elle répartit les principaux protagonistes d’une situation – la police, les victimes du racisme – dans deux catégories distinctes : les « bons » et les « mauvais », les victimes et les coupables, ceux qui font les frais de provocations et d’humiliations, d’un côté, ceux qui jettent à terre, menottent, rouent de coups et arrêtent injustement, de l’autre. Mais que l’on ne se pose pas la question, de savoir d’où viennent les attitudes et les comportements des policiers, ce qui peut éventuellement les expliquer – ce qui n’a rien à voir avec les excuser – voilà qui est effarant. Prendre les gens pour des victimes, à la longue, c’est les prendre pour des imbéciles en les dépossédant de tout désir, objectif ou intention.

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Dans les affaires de refus d’obtempérer la pensée manichéenne fait d’ores et déjà fi de la complexité des situations, du rôle des émotions dans la vie sociale et des manipulations politiciennes. Oui, il y a du « racisme » dans la police comme il y a de la haine chez les racailles « racisées » contre la police, représentants d’un Etat honni. Dès l’entrée en école de police chez les élèves policiers, dans le huis-clos des commissariats, il y a ce racisme qui s’explique parce que venant de milieux populaires très touchés par la crise et par l’effondrement des valeurs d’ordre et de civilité chères à ces milieux, les gardiens de la paix ont une clientèle de plus en plus colorée du fait de l’immigration de masse et de la délinquance presque toujours étrangère ou issue de l’immigration. Par ailleurs, la relation pour le moins délicate à l’autorité de beaucoup de jeunes, musulmans, gauchistes ou anarchistes, crée sans cesse des tensions, des violences parfois graves et un harassement de policiers laissés souvent seuls au front, sans soutien véritable des hiérarchies et des politiques qui leur donnent des injonctions contradictoires et absurdes, dans l’espoir d’éviter des troubles beaucoup plus graves.

Les militants antipolice recherchent-ils la justice, ou une guerre raciale ?

La publication de la vidéo de la mort brutale de George Floyd écrasé par le genou d’un policier blanc avait provoqué autrefois de nombreuses manifestations violentes un peu partout aux États-Unis et en Europe et la naissance du mouvement « Black lives matter »… A Paris, des milliers de personnes avaient défilé pour Adama Traore et contre les « violences policières ». La cause avancée pour ces indignations, ces colères et ces violences, c’est un combat pour la justice et contre le racisme. Mais en arrière-plan, c’est une guerre civile qui s’annonce, une guerre des races qui ramène à la surface les ressentiments et les rancœurs identitaires de populations agrégées par la haine. Cet antiracisme qui prétend combattre les injustices et la haine est, en fait, une nouvelle forme de fascisme.

Assa Traore, Paris, 7 mai 2021 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Dans l’histoire du siècle passé et de l’histoire tout court, ce n’est pas une nouveauté. Toutes les périodes de crise ont vu naître le besoin de trouver une raison unique aux malheurs des individus, broyés par le cours des événements. La tentation totalitaire, c’est la promesse d’un monde purifié délivré du Mal.

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« Les Représentants du peuple seront impassibles dans l’accomplissement de la mission qui leur est confiée : le peuple a mis entre leurs mains le tonnerre de la vengeance, ils ne le quitteront que lorsque tous ses ennemis seront foudroyés. Ils auront le courage énergique de traverser les immenses tombeaux des conspirateurs et de marcher sur des ruines, pour arriver au bonheur de la nation et à la régénération du monde. » (Proclamation des Représentants à Lyon, le 15 frimaire, an II.) Cette tentation totalitaire se renforce aujourd’hui très rapidement. Elle va même jusqu’à enrôler des enfants dans son combat idéologique. Ce qui la caractérise, c’est qu’elle prône la disparition ou la mise à l’écart de ceux qui sont censés représenter le Mal. Hier, les Juifs, les bourgeois, les Tutsis au Rwanda. Aujourd’hui, l’homme blanc, le policier, le juif supposé sioniste.

Frustrations identitaires

Elle a pour partisans et acteurs deux groupes d’individus: les déshérités, véritables ou imaginaires, musulmans des quartiers pour la plupart et les frustrés. Cette alliance des frustrés qui se veulent responsables du sort de ceux qu’ils voient, à tort ou à raison, comme des victimes et des opprimés et, d’autre part des déshérités est réellement explosive. L’histoire a toujours réuni ces deux groupes de personnes dans un élan qui s’est voulu révolutionnaire. Les déshérités ont réellement besoin de lutter pour la justice et l’égalité. Ce fut le cas, entre autres, des ouvriers et des paysans, victimes des inégalités, du chômage pendant la révolution industrielle dans les temps qui précédèrent l’émergence des mouvements prolétariens. C’est toujours le cas dans de nombreux endroits de la planète. Ils apportent dans ces mouvements un peu de raison et des raisons de combattre. Les frustrés qui ne sont pas de véritables déshérités, écrivaillons, journalistes, enseignants, techniciens, communient dans une jalousie commune et cherchent maladivement à réparer ce qu’ils considèrent comme une injustice de la vie. Ils vont diriger le combat des déshérités et transformer le combat des déshérités en une lutte pour de nouvelles dominations. Ils vont vouloir écraser les imposteurs qui ont pris la place qui leur est due en raison du mérite qu’ils s’attribuent. Cette alliance des frustrés et de ceux qui se considèrent comme des déshérités prépare des conflits futurs qui n’opposeront pas seulement des cultures et des civilisations mais à l’intérieur même des sociétés, en Occident comme en Orient, des groupes humains séparés par leurs conceptions culturelles, religieuses, par leurs conditions sociales ou ethniques et dont certains se considèrent comme des victimes de complots fomentés par des ennemis tout puissants et maléfiques.




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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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