Les groupies du Kremlin savent depuis longtemps que leur tsar est ceinture noir de judo. Elles ne seront donc pas surprises devant le dernier ippon du maître de toutes les Russies. Mais en Europe et en Amérique, la stupéfaction est totale. Jusque-là c’était simple: Poutine est un ogre nationaliste, une brute sanguinaire au visage blême et terrifiant. Assez facile de mobiliser contre lui.
Expert en intox et en désinformation, Poutine a donc pris les armes de Bernard Kouchner, un sac de riz sur les épaules, pour prendre à contre-pied BHL et ses acolytes: il a demandé à la Croix-Rouge de l’aider à faire face à l’urgence humanitaire. Quel spectacle de voir tous ces camions immaculés, bloqués à la frontière ukrainienne! Une fois que les télévisions furent prises à témoin de l’insupportable blocage humanitaire, quel double scandale que cette frontière et ces camions arrêtés à la douane! Au passage, Poutine envoyait un tout autre signal à sa propre opinion publique : un Russe ne recule devant rien pour sauver les siens.
Ancien officier du KGB, Vladimir Poutine a en effet bien analysé le point faible de son adversaire. Il n’est pas dans l’incurie de ses divisions blindées ni dans sa disette budgétaire. Non, c’est bien au cœur de son opinion publique qu’il faut frapper. Lui poser la question fatale: payer pour Donetsk?
La “guerre humanitaire” si bien conceptualisée par l’ancien ministre des indignations étrangères de Nicolas Sarkozy, a été littéralement retournée par les Russes. Après avoir appelé au sacro-saint “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes” en Crimée, Poutine peut dans le Donbass invoquer un moyen tout aussi efficace de faire douter les masses démocratiques: “la responsabilité de protéger”. Devant le siège de Donetsk, on se serait cru, à front renversé, quelques années plus tôt à Sarajevo, lorsque les chars de Milosevic ceinturaient la capitale bosniaque. N’est-il donc pas du devoir moral de Poutine d’aller sauver ces victimes de la barbarie?
Maître de la communication, à l’égal de ses rivaux occidentaux, Poutine, à la suite de Staline ( lui aussi génial manipulateur) appelle à la grande guerre patriotique antifasciste! De quoi clouer le bec à nos petits reporters parisiens. Il fallait les voir filmer des grands-mères en pleurs, sous les bombes de Kiev, à crier leur haine comme des antifas. Il ne manquait qu’André Glucksmann sur le plateau pour réclamer l’arrêt du massacre ukrainien et le secours des réfugiés russes. Les commentateurs avaient beau hurler à la supercherie, les téléspectateurs regardent les camions blancs et des civils en pleurs. Les paroles s’envolent, les images restent…
Angela Merkel a annoncé en représailles 500 millions pour reconstruire Donetsk et montrer qu’elle aussi vient à la rescousse des russophones bombardés. Mais sa riposte humanitaire entérine le fait que l’agresseur est ukrainien et les victimes russes. Et c’est ainsi que Poutine gagne la bataille de l’opinion. Plus personne ne bougera face à l’incursion de ses chars venus désencercler le Donbass.
Faire la guerre à la guerre humanitaire? Pour les opinions d’Obama, Cameron et Hollande, la situation en Irak est beaucoup plus intelligible, alors on ne va pas en rajouter avec l’Ukraine. Quant à Merkel, elle n’a que ses euromarks pour rassurer les Baltes et les Slaves…pas de quoi arrêter un T90 de l’armée russe, ni d’ailleurs le chômage des Polonais.
*Photo : Jacques Brinon/AP/SIPA. AP20946970_000002.
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