Jean-Paul Brighelli et Alain de Benoist dissèquent avec précision les idéologies aux commandes de la machine à broyer le passé, mais l’existence de ces grands courants dévastateurs et le zèle des contremaîtres à la manœuvre ne doivent pas absoudre le citoyen de base de sa responsabilité dans la lubrification de cette machine à démonter le temps.
Dans un article récent Jean-Paul Brighelli, inspiré par l’éditorial d’Alain de Benoist, nous rappelle une nouvelle fois que « derrière cette éradication scolaire de l’Histoire, il y a le rêve des européanistes de liquider la mémoire de la France ». Ces deux auteurs ont depuis longtemps parfaitement cerné et explicité les cheminements idéologiques qui font du passé, ici, un « motif de repentance » et là, un récit à effacer. Dans nos écoles primaires, les ravages sont effectivement palpables. Ils affectent désormais, chez les jeunes élèves, la construction du rapport au temps mais ne sont pas les seuls facteurs de sa désagrégation.
Ceux qui ont eu la curiosité d’ouvrir les derniers livres d’histoire conçus pour le primaire ont pu prendre conscience de l’effet dévastateur des programmes concoctés sous le quinquennat Hollande. Cette explosion de la chronologie des faits en un vaste collage déstructuré d’images, construit, au mieux, un kaléidoscope lacunaire dans l’esprit des élèves. Ils n’apprennent plus l’Histoire, ils « questionnent le temps », cultivant insidieusement l’idée que seul compte le fait de poser la question et que, la réponse se trouvant dans quelque Wikipédia dématérialisé, l’effort d’une mémorisation structurée est inutile. A cette pixellisation de l’Histoire, s’ajoutent les effets délétères d’une soumission aux écrans toujours plus importante : zapping permanent et culture de l’impulsion verbale ramènent peu à peu nos cerveaux vers l’instantanéité et le caractère périssable du langage propre à l’Homme d’avant l’invention de l’écriture.
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La dissolution des repères atteint jusqu’au temps de l’école qui, aujourd’hui, ne fait plus sens. L’obligation d’ouvrir la porte à tout retardataire et l’absence de moyens de sanctionner les parents désinvoltes permettent arrivées et départs à la carte. Portés par l’individualisme et la société des loisirs, les tarifs promotionnels de voyage tiennent lieu de justificatifs pour amputer le temps scolaire de façon significative, par des départs en vacances aléatoires. L’ordre donné d’une « relation usagers » apaisée, devenu critère d’évaluation des enseignants et directeurs, a fini par les contraindre à accepter de faire de l’exceptionnel, une règle.
Mais à ce relativisme de planning et à la destruction orchestrée de l’apprentissage de l’histoire de France, motivée par des pédago-idéologues soucieux de faire du passé table rase, s’ajoutent également les gouttes d’eau d’initiatives individuelles. Dans nos écoles, par petites touches, sous la pression communautaire ou par simple anticipation d’un risque potentiel de conflit, s’effacent les marqueurs temporels de notre culture. Ce peut être les contes traditionnels, vecteurs de lien intergénérationnel et éléments de transmission du patrimoine qui disparaissent au profit d’éphémères produits de littérature enfantine, car leur étude obligatoire a été retirée des programmes de maternelle par Najat Vallaud-Belkacem. Ailleurs, c’est Noël qui disparaît : plus de sapins à colorier, encore moins d’étoiles. Là, plus de frises sur les œufs de Pâques, plus de couronnes, ni de galettes. Le monde enseignant se découvre la racine chrétienne honteuse, même lorsqu’elle est sécularisée et que ses effets sont purement culturels. Ce même questionnement s’invite chez certains acteurs du monde politique qui s’interrogent publiquement sur le caractère discriminant de jours fériés pourtant eux aussi amplement sécularisés. Désormais, c’est au tour de la fête des mères et de celle des pères d’être effacées ou renommées « fête des gens qu’on aime » par des enseignants trop frileux pour simplement proposer aux enfants de couples homosexuels de faire deux cadeaux. Il est pourtant paradoxal de refuser de garder la tradition de certaines fêtes au nom d’une minorité qui a souhaité elle-même voir ses unions appelées selon le terme traditionnel de « mariage ».
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L’utopie du paradis multiculturaliste est à ce prix : chacun doit pouvoir vivre selon son tempo. La volonté de faire rayonner le mythe d’une diversité joyeuse conduit le décisionnaire politique comme certains acteurs de terrain à faire disparaître les points de frictions potentiels. Dès lors, l’écrin commun ne peut se concevoir qu’a minima et l’effacement des références temporelles est en marche : fragmentation du passé, relativisme du présent. Il est particulièrement cruel de constater que l’école, qui fut, jusqu’à il y a peu, le lieu de construction d’un référentiel partagé, devient un outil de dissolution et d’effacement des marqueurs traditionnels du temps français. Le temps, cette impalpable dimension qui se matérialise au quotidien dans un référentiel différent selon les points du globe et les époques, est une des incarnations du commun qui unissent une société. Il participe de cet « imaginaire des peuples » dont la déstabilisation peut, selon Stéphane Rozès, conduire à des tensions ou à la guerre. Face à un tel constat, expliciter les forces idéologiques à la manœuvre pour « vaporiser » le passé est un premier axe d’action. Refuser, à son petit niveau, le grand effacement en est un autre. Les discrètes résistances enseignantes pour maintenir un enseignement substantiel de l’Histoire malgré les programmes indigents doivent se vivre la tête haute, la lecture doit se pratiquer dans des documentaires historiques et des textes du patrimoine, les frises chronologiques richement illustrées doivent tapisser les murs des classes. De leur côté, les parents d’élèves doivent oser manifester leur désappointement lorsque les fêtes qui rythment avec profit le temps des enfants ou les contes qui unissent les générations disparaissent. Soyons donc, chacun, grain de sable et non lubrifiant dans les rouages de la machine à démonter le temps dont les intellectuels nous ont démontré la présence.
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