Dans ces colonnes, André Markowicz nous a fait part de son angoisse face à la montée d’une haine irrationnelle à l’œuvre dans ce qui est devenu une guerre civile en Ukraine. Témoignage précieux et équilibré. Les mots et leur sens comme mesure de la haine qui s’est installée là-bas. Mais, au-delà de cette montée assez terrible, comment appréhender la réalité et les enjeux de ce qui se passe ? En essayant, ce qui n’est pas facile, d’échapper à cette propagande russophobe poussée en France à son paroxysme, et sans souscrire à celle d’en face qui n’est pas en reste.
La Russie aujourd’hui ? André Markowicz nous dit qu’elle est celle de Nicolas 1er au milieu du XIXe siècle. Une dictature. C’est étrange, car même si ce pays pratique une démocratie éventuellement éloignée de nos standards, c’est la première fois dans son histoire qu’il a atteint un tel niveau. Il n’avait connu jusqu’à présent que des dictatures plus ou moins féroces. Le paysage politique est pluraliste, les élections ont lieu régulièrement et le pouvoir central bénéficie d’un soutien populaire difficilement contestable. Assimiler la pratique du pouvoir de Poutine à celle de Staline ou de Nicolas 1er, voire d’Ivan le terrible n’est pas convaincant. Ce grand pays, de vieille civilisation et d’un haut niveau culturel est sorti il y a 20 ans d’une série de tragédies pour certaines terrifiantes. Il y a encore 25 ans, c’était une grande puissance dont, quoi qu’on en pense, les habitants étaient fiers même s’ils rejetaient la dictature. L’effondrement et l’éclatement ont constitué dans un premier temps plus une humiliation qu’une libération. Les 10 premières années sous la direction d’un ivrogne corrompu ont été celles de la souffrance et de l’avilissement ou en tout cas vécues comme telles. L’incontestable succès populaire de Vladimir Poutine ? Il a reconstruit un État et redonné à ce peuple sa fierté. Même s’il s’appuie sur un nationalisme et un patriotisme exacerbé. Ce que Lénine appelait le « chauvinisme grand russe ». Sans oublier l’énorme traumatisme de la deuxième guerre mondiale et l’extrême sensibilité de la Russie au sentiment d’être à nouveau vulnérable. Alors, si les dirigeants de l’UE se dispensaient des provocations dangereuses, et notre presse des rodomontades imbéciles ?
L’Ukraine ? André Markowicz nous dit : « Il n’y avait jamais eu de haine entre les Russes et les Ukrainiens. » Est-ce si sûr ? L’Ukraine actuelle est une mosaïque issue de siècles tumultueux. Pour s’en tenir à la période récente, il faut quand même rappeler que les troupes allemandes furent reçues en libérateur en juin 1941 dans l’Ukraine de l’Ouest. Que l’Allemagne trouva facilement comme dans les pays baltes, des auxiliaires zélés pour la Shoah. Après la libération en 1944, des maquis antisoviétiques conséquents ont été constitués et ont mené la vie dure à l’Armée Rouge jusqu’au début des années 50. L’Est a toujours été russophile, quant à la Crimée, terre russe, chacun sait dans quelles conditions Kroutchev la rattacha à l’Ukraine en 1954.
Que s’est-il passé depuis un an ? Les États-Unis, violant leurs engagements, selon lesquels les anciens pays « socialistes » du glacis n’étaient pas appelés à rejoindre l’OTAN, ont mis en œuvre une stratégie systématique d’élargissement de celle-ci. On comprend pour la Pologne et les pays baltes cette envie du parapluie américain. Mais pour l’Ukraine, État tampon, résidu branlant du glacis, il fallait proscrire la tactique de l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Et pourtant, première déstabilisation, financée par les États-Unis en 2007 (la révolution orange). Portant au pouvoir une spectaculaire bande de voyous. Chassés par les élections présidentielles régulières en 2010. Ianoukovitch Président légitime, conscient de l’état de faillite de son pays et de sa dépendance économique et énergétique vis-à-vis de voisin Russe a finalement décidé de ne pas souscrire à l’accord d’association exclusive que lui proposait l’UE. Pour les États-Unis, ce fut le casus belli. Et l’organisation d’un coup d’État à l’ancienne. Un ambassadeur américain à la manœuvre, une élégante secrétaire d’État US pilotant sans vergogne et procédant elle-même au casting des dirigeants installés par le putsch. Une pluie de dollars pour acheter les consciences, et des mercenaires de Black Water pour les provocations. Face aux manifestations de Maïdan un accord tripartite entre l’Europe, l’Ukraine et la Russie avait conclu à l’installation d’un gouvernement de transition. Violé dès le lendemain par un coup de force immédiatement entériné par l’UE et les États-Unis. Le prétexte, un massacre à l’occasion d’une tentative des manifestants de prendre d’assaut les bâtiments gouvernementaux. On sait maintenant, grâce à la presse allemande qu’il s’agissait d’une provocation orchestrée par les putschistes. L’essentiel des victimes ayant été abattu par des mercenaires à leur solde. Ce gouvernement comprenait un tiers de membres d’organisations carrément nazies influentes dans l’ouest du pays. Sa première décision fut d’interdire l’usage de la langue russe parlée par 40 % des ukrainiens et massivement majoritaires dans l’est. La deuxième fut de signer l’accord d’association avec une UE empressée. La troisième de laisser entendre que l’Ukraine demanderait son adhésion à l’OTAN. Tout ceci fit extrêmement plaisir à la Russie, qui, toute confiance évanouie, s’empressa de réagir en mettant la Crimée et Sébastopol à l’abri. On entendit à cette occasion beaucoup de glapissements de ceux qui avaient approuvé toutes les violations du droit international par les États-Unis depuis 30 ans. Les provinces de l’est ukrainiens demandèrent alors la séparation. Bien que les éléments d’une négociation sur la fédéralisation fussent sur la table, les excités de Kiev répondirent par des bombardements et des massacres de civils.
Aujourd’hui si l’est de l’Ukraine, est à feu et à sang. La Crimée, quant à elle, est particulièrement calme…
Bien évidemment, les Russes soutiennent les russophones, n’ayant aucune envie d’avoir les gens de « Secteur Droit » et Svoboda à leurs portes.
Comment les Américains et les Européens ont-ils pu à ce point faire preuve d’amateurisme ? Comment ont-ils pu s’imaginer qu’une manœuvre aussi grossière et aussi attentatoire aux intérêts d’une grande puissance, puisse ne pas provoquer sa réaction ?
Une hypothèse est celle de la volonté d’un affrontement avec la Russie, celle-ci devenant encombrante sur le plan international comme l’ont montré les affaires de l’Iran et de la Syrie. Après l’escroquerie libyenne, les Russes ont clairement fait savoir (avec les Chinois) qu’on ne les y reprendrait plus. Est-ce que cela veut dire que la guerre est intégrée comme une hypothèse plausible ? La lecture du procès-verbal de la commission du Sénat américain ou Victoria Nuland (Mme fuck the UE) s’est fait déchiqueter à cause de sa « faiblesse » est assez terrifiante. Le vocabulaire (électoral) de Madame Clinton est de même nature. Le crash du MH17 fut immédiatement attribué à Vladimir Poutine lui-même. Force est de constater aujourd’hui qu’il n’y a plus que la Russie qui s’intéresse aux résultats de l’enquête. Les forces de Kiev ont empêché l’accès à la zone de crash. Les États-Unis aux moyens de surveillance ultrasophistiqués, ont jusqu’à présent été bien en peine de fournir la moindre des preuves que John Kerry prétendait pourtant posséder. Silence pesant désormais, le couvercle est refermé. Il est probable, comme pour l’utilisation du gaz sarin en Syrie où l’on sait maintenant que ce sont les rebelles qui l’ont utilisé, que l’on finira par apprendre que ce sont bien les forces de Kiev qui ont abattu l’avion de ligne.
Tout cela commençait à susciter des inquiétudes chez les gens sérieux en Occident : anciens ministres, diplomates, chercheurs, militaires.
Qu’il existe entre les ukrainiens de l’Ouest et les ukrainiens de l’Est, des haines pour l’instant inexpiables, ne saurait constituer une surprise. Ils sont sur la ligne de front. De part et d’autre soumis à la propagande, chantant malheureusement des airs que nous connaissons.
Seulement, les va-t-en-guerre occidentaux, sont désormais confrontés à un triple problème :
• Cette stratégie est très peu populaire dans nos pays. Mourir pour Donetsk dans une guerre nucléaire ? Euh … Ensuite, Vladimir Poutine, malgré la diabolisation, bénéficie d’un courant de sympathie chez nous. À droite parce que c’est un homme de droite (patriote, autoritaire, viril), à gauche parce qu’il fait la nique à l’impérialisme américain.
• Les sanctions américaines servilement relayées par l’UE vont se retourner contre nous. Et cela risque de nous coûter très cher.
• Comme les choses vont très vite, un nouvel empire du mal a brusquement émergé en Irak et pour les opinions occidentales, l’islamisme radical est bien l’ennemi principal. Et là, les Russes sont clairement nos amis, emmenant dans leurs bagages, l’Iran et la Syrie. Poutine ayant soutenu l’intervention israélienne à Gaza au nom du droit à se défendre, cela va quand même être assez compliqué de lui envoyer des bombes sur la figure.
Angela Merkel l’a parfaitement compris : elle vient de se rendre chez Porochenko pour lui demander de mettre de l’ordre dans sa boutique. Le mainstream médiatique français, définitivement le plus lamentable, nous a présenté cette visite comme une marque de soutien au président ukrainien. Non, Merkel, les Russes elle connaît. Et comme ce sont les Allemands qui commandent l’UE, la chancelière est allée donner ses ordres.
*Photo : Efrem Lukatsky/AP/SIPA. AP21614930_000013.
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