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Sicile: voyage en mondialisation 2024

La France va-t-elle suivre la Sicile dans la dégringolade ?


Sicile: voyage en mondialisation 2024
Eruption du volcan Etna, à Catane, en 2001 © OLYMPIA/SIPA

Lors d’un séjour à Catane, en Sicile, au pied de l’Etna, le médecin Jean Lacau St Guily a découvert une ville qui fait tout pour accueillir les touristes en essayant de cacher sa vraie misère. Une vision du sort qui nous attend en France? Récit.


Avec Palerme, Catane fait partie des grandes villes de l’île ; elle est couverte des constructions des rois normands, de couvents et de merveilleuses églises, d’un duomo fameux, de monuments et de places baroques, de ruines grecques et romaines. Son avenue principale, la via Etnea avance sur trois kilomètres droit sur l’Etna et les dernières maisons de la ville sont présentes jusque loin sur ses flancs ; son fils chéri est Bellini, l’auteur de Norma et l’opéra qui porte son nom est un haut lieu de l’art lyrique. Catane est somptueuse. Superbe et décrépite. Baroque et lépreuse. Sale. Les bâtiments sont presque partout au bord de l’écroulement… En y marchant même dans les lieux les plus touristiques, j’ai pensé au Paris pré-haussmannien que Balzac décrivait sous forme de rues fétides et sombres, malsaines et suintantes, du côté de la Seine ou vers Denfert.

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Mais pourtant que d’efforts à Catane (et plus encore à Palerme) fournis pour être à la hauteur de la mondialisation heureuse. Tout affichage est bilingue italien et anglais (plus personne ne parle un mot de français) : un Américain peut descendre de son avion et, où qu’il soit, pourra s’exprimer en claironnant son américain le plus arrogant ; aucune appétence aux langues subalternes nécessaire, on lui dira bien quelques mots de base avec l’affreux accent italo-globish (je ne sais pas pourquoi l’italien va si mal aux autres langues, surtout l’anglais). L’Américain s’en fout, au pire il se contentera de dire « do you speak our langage ? ». Il y a street-food marqué sur toutes les devantures de trattoria, c’est ce qui est demandé pour faire moderne, la nourriture de rue… Les mobilités nouvelles individuelles (les trottinettes, etc.) se poussent du col avec persévérance. Comme la voiture rejetée aux périphéries, ainsi les vieux, les vieilles personnes, celles qui survivent à l’ancienne ; ils se fichent des nouvelles mobilités, de l’anglais, de la street food, des food stores aux murs de brique. Ils se sentent vite indésirables. Ils font bizarre dans les rues piétonnisées où glandent les jeunes touristes et les retraités des voyages en groupe. Dans les rues mondialisées de Sicile, dans les jolies citées baroques, il y a des poubelles pour le tri sélectif, mais partout ailleurs, le long des routes, des autoroutes, des rues sans attraits, les ordures sont éparpillées en masses, par millions de tonnes, car personne ne les ramasse. Il n’y a pas d’Etat, seulement des municipalités qui cherchent à faire bonne figure dans les sites des guides de voyage d’Amérique, sur les réseaux sociaux climato-sensibles et chez les influenceurs d’Instagram. Pas d’Etat, parce que l’Etat, c’est la mafia qui prenait sa place depuis toujours. Il y a moins de mafia peut-être, mais ils ont laissé les rats. La peste va bien finir par revenir. Marseille, ça a l’air riant à côté, parce qu’il y a encore de l’Etat, même si les immeubles s’y effondrent aussi. Ça glisse. Paris prend bien le chemin. Avant on disait que la France faisait exactement ce que faisait l’Amérique avec 10 ans de retard. Maintenant, c’est la Sicile qu’on suit mais dans la dégringolade.

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C’est quand même long de tomber, on se souvient de la sortie du Prince Salina dans le Guépard que nous allons pouvoir revoir ces jours-ci en hommage à Delon : « Nous fumes les guépards et les lions ; ceux qui nous remplaceront seront les chacals et les hyènes… tout cela ne devrait pas pouvoir durer, cependant cela va durer toujours ; le toujours humain, un siècle, deux siècles… et après ce sera différent mais pire… » Elio Vittorini qui fut le premier éditeur à lire le roman était un homme de gauche qui pensait comme l’interlocuteur du Prince que « cet état de chose ne durera pas car notre administration nouvelle, agile et moderne, changera tout ». Bien entendu, il refusa à Lampedusa de l’éditer. Nous, nous savons que cette administration ne changera rien mais précipitera toujours un peu plus la ville dans ce désir de décor, de boursouflure, de mimétisme mondialisé… se faire reconnaître comme un des leurs… au milieu des maires modernes, ceux qui se cooptent à travers le monde en se congratulant. Je ne sais pas qui est le maire de Catane, je connais juste le maire (on dit peut-être la mairesse ?) de Paris et celui de quelques villes-monde comme ils disent. Au jeu de l’oie général, on a dû être gagnants, cette année : vous organisez les JO, grâce à cela Paris ressemble mieux à ce que prescrit Emily in Paris, vous avancez de dix cases.

Je raconte cela mais il est possible que ce soient les grands incendies ultimes des bords de la Méditerranée, Sicile en premier, qui nous emportent globalement tous dans la même fournaise.



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