Certes, tout le monde dira que c’était « un monstre sacré », « une légende du cinéma ». Mais il ne faut pas oublier qu’il était aussi un gaulliste et un patriote, fier et amoureux de la France.
Acteur, certes, mais avant tout un homme d’honneur et de fidélité, de parole brève, qui fut, derrière des yeux glaçants de beauté, des yeux de givre bleu, un homme-braise : une braise ardente d’amour, de vérité, de passion, d’engagement filial, un homme-cri, cri muet de l’âme navrée et du souvenir meurtri, cri porté en silence, cri retenu, comme fait le loup de Vigny.
Un homme décent, pudique à l’extrême, un homme soucieux de la dette symbolique, attaché aux liens invisibles et immatériels de la transmission et de la parole donnée ou reçue, de l’affection.
Un nostalgique et un non-commerçant, c’est-à-dire de toute façon déjà un voyou pour notre époque actuelle.
Un homme du respect et de la distance, fuyant la fusion et ses mensonges simulacres, un dangereux aristocrate naturel venu du peuple, un non-transparent, un mystère.
Un homme-mystère, oui et qui emportera toujours du Mystère. Nous n’aimons pas, nous autres, ce qui n’est pas mystérieux. Nous n’aimons pas les bons, les gentils, les objectivables et les objectivés, les gens qui sont rendus, ou se sont rendus, ceci ou cela par désir d’emporter l’adhésion ou de plaire. Delon n’était pas « sympathique ».
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Nous aimons les « monstres indéfinissables » de Pascal, d’autant qu’ils ont le talent, le charisme, la grâce même, dont souvent Delon sut faire preuve dans quelques chefs-d’œuvre.
Dur, arrogant, imbu de lui-même, lit-on parfois. Sûrement. Et le contraire aussi.
Bourreau des cœurs ? oui mais bourreau, à l’évidence et avant tout, de lui-même, bourreau ombrageux, consumé sans gémir par ses propres démons et son enfance chaotique. Un sale caractère ? Non, du caractère. « Un homme sans défauts est une montagne sans crevasses : il ne nous intéresse pas » dirait René Char.
Nous aimons l’infini de la Question, nous aimons, parmi les êtres, ceux dont nous ne faisons pas le tour. Les escarpés. Les indéfinissables qui rayonnent, les grands déçus et les misanthropes, les solitaires magnifiques.
Alain Delon, l’indéfinissable
Les énigmes à eux-mêmes et aux autres. Ceux qu’on connaît bien et qu’on ne comprendra vraisemblablement jamais : il y aura toujours un reste, un trouble, un possible. Nous aimons ce qui nous échappe et qu’on n’a pas stabilisé bêtement. Delon n’est pas un objet défini.
Un homme imparfait et droit, un homme viril, fort et fragile, un tigre souple avec, à peine passante, la séduction magique et ambiguë du féminin reprise par l’autorité brusque ou belliqueuse du mâle.
Un homme, acteur fascinant, qui brûlera longtemps dans ses films et dans les souvenirs car il incarna la France.
Car, oui, épris profondément de Romy ou Mireille, icônes et fées délicieusement vivantes et proches du cinéma de la France des années 70-80, il fut aussi un amoureux de la France : un vrai gaulliste, un patriote, n’ayant jamais eu honte de faire savoir hautement qu’il aimait son pays et le visage singulier de celui-ci.
Un non-vendu, en somme.
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