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Présidentielle U.S : La faute révélatrice de Kamala Harris

Pour unifier son parti, Kamala Harris a dû rassurer son aile radicale


Présidentielle U.S : La faute révélatrice de Kamala Harris
Kamala Harris et Tim Walz, university de Nevada, Las Végas, le 10 août 2024. Jae Hong/AP/SIPA

Est-ce le début de la fin de la lune de miel entre Kamala Harris et l’Amérique ?  Le choix de Tim Walz pour vice-président fait du « ticket » démocrate un duo progressiste ancré dans l’aile gauche du parti. Une aile trop radicale pour une majorité des électeurs. Les médias ont encensé ce choix, pas sûr que les Américains suivent.


Jusqu’à présent tout allait pour le mieux pour Kamala Harris. Elle et les Démocrates avaient réussi leurs coups. Leurs deux coups. D’abord le « coup d’Etat » interne contre Joe Biden. Ensuite leur « coup d’éclat » médiatique pour lancer la campagne de Kamala Harris, candidate présidentielle remplaçante. Mais avec le choix de Tim Walz, Kamala a commis une erreur qui fera peut-être de ce choix le premier tournant de la campagne.

Pour rappel Joe Biden n’a pas renoncé à briguer un second mandat de son plein gré. Il a été convaincu, certains diraient même « forcé » de le faire. Il a été en quelque sorte déposé. Son débat désastreux du 27 juin face à Donald Trump a servi de point de départ et de justification à une campagne coordonnée qui s’est conclue le dimanche 21 juillet par l’annonce de son retrait. Cette campagne a mobilisé l’ensemble de l’appareil démocrate : les donateurs, tel George Clooney, porte-parole du tout Hollywood, les anciennes éminences grises du parti dont David Axelrod, directeur de campagne d’Obama en 2008 et James Carville, son alter égo avec Clinton en 1992 ; les élus du Congrès dont  Nancy Pelosi, ancienne speaker de la Chambre et Chuck Schumer chef des Démocrates au Sénat ; avec l’appui opportun des médias qui dénonçaient soudain à hauts cris ce qu’ils avaient consciencieusement ignoré pendant trois ans, à savoir, les déficiences de Joe Biden… 

Toutefois ce n’est pas l’âge ni les capacités cognitives diminuées de Joe Biden qui ont motivé ce coup d’Etat de palais. C’est la montée de Donald Trump dans les sondages face à l’apathie de Biden. Les Démocrates ont vu se profiler une déroute électorale et ils ont décidé d’agir. Biden aurait-il caracolé cinq points devant Trump dans les intentions de vote, rien de tout cela ne serait arrivé. Les Démocrates lui seraient rester fidèles jusqu’au bout.

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Biden hors course, les Démocrates s’exposaient à une bataille interne pour la nomination. Selon la règle, les quatre mille délégués qu’il avait réunis derrière lui, à partir des suffrages de quatorze millions d’électeurs exprimés tout au long des primaires de l’hiver et du printemps, se trouvaient « libérés » par son retrait. Ils pouvaient soutenir n’importe qui. Sauf si lui-même désignait son successeur et appelait ses délégués à le soutenir. Un peu comme la dernière volonté d’un mourant à laquelle personne ne s’oppose. C’est ce qu’il fit lors de l’annonce de son retrait en invitant le parti à se rassembler derrière Kamala Harris, l’incarnation de la nouvelle génération. Kamala Harris étant sa vice-présidente, une certaine logique de succession était respectée. Et cela satisfaisait les partisans de la diversité puisqu’elle est à la fois femme et Noire, deux minorités « opprimées ».

Le coup a parfaitement fonctionné. En vingt-quatre heures Kamala reçut la promesse du soutien de suffisamment de délégués pour être assurée de la nomination – qui ne sera officialisée que le 19 août à Chicago lors de l’ouverture de la Convention nationale démocrate. Désormais, une nouvelle campagne commençait avec deux priorités. Un, unifier le parti derrière Kamala Harris. Deux, « définir » Kamala auprès de l’électorat.

L’unification a été obtenue en rassurant l’aile gauche du parti, la plus radicale, la plus rebelle, la plus exigeante et la plus bruyante. Kamala Harris dans ses premières déclarations a défendu le droit à l’avortement sans limite, pour signifier son féminisme sans réserve; le droit à une protection de santé renforcée via une extension de « l’Obama-care », le programme d’assurance santé mis en place par Barack Obama à partir de 2010 ; le droit des séniors à une retraite et une protection sociale (droit que personne ne conteste mais qui est menacé par la faillite des caisses sociales) ; le besoin de créer des « emplois verts » et de lutter contre l’inflation. Enfin elle a confronté le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu sur le besoin d’un cesser-le-feu à Gaza, une demande chère à l’aile propalestinienne du parti.

Ensuite il fallait « définir » Kamala. « Définir » dans le jargon politique américain, c’est installer dans l’esprit des électeurs l’image, sommaire mais durable, d’une personnalité. C’est une étape cruciale dans une campagne. Un peu comme de faire une première impression à un nouvel employeur ou à ses futurs beaux-parents. On a rarement deux occasions de le faire.

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Kamala est certes vice-présidente depuis 2021 mais elle a été largement invisible, au cours des presque quatre années passées. Les Américains moyens qui ne suivent pas l’actualité politique de près ne la connaissent pas. Les démocrates avaient l’occasion de la présenter sous l’éclairage de leur choix. Ils ont choisi l’enthousiasme pour la campagne, la générosité pour les démunis, et la fermeté face aux extrémistes, c’est-à-dire Trump. Ils ont mis l’accent sur sa personne, pas sur ses idées. Sur sa réussite en général, pas sur ses accomplissements particuliers. Et pour cause, ils sont inexistants. 

Les Républicains ont tenté de présenter aux électeurs un contre-portrait de Kamala Harris. D’offrir leur propre définition du personnage. Ils sont souligné ses penchants ultra-progressistes – sur l’immigration clandestine qu’elle veut décriminaliser ; sur l’assurance-santé qu’elle veut nationaliser ; sur la peine de mort qu’elle veut bannir ; sur l’avortement qu’elle veut légaliser sur tout le territoire fédéral ; sur le cannabis qu’elle veut légaliser ; sur la police dont elle a voulu réduire les budgets  (« defund the police ») durant les émeutes de 2020… 

Leur narratif, pourtant basé sur des déclarations passées et des faits documentés, n’a pas été entendu. Pas au-delà de leur propre base. C’est le problème des Républicains. Ils ne bénéficient pas d’une chambre d’écho, constituée par les grands médias, comme en bénéficient les Démocrates. C’est une bataille où ils partent avec un handicap dont ils doivent tenir compte. 

Mais c’est Kamala Harris elle-même qui est, involontairement, venue à leurs secours. Car elle a dû prendre une première décision capitale : se choisir un colistier. C’est-à-dire un candidat à la vice-présidence des Etats-Unis. Son choix s’est porté sur un certain Tim Walz, gouverneur du Minnesota. Et ce choix en dit long sur Kamala elle-même. Avec quinze jours à peine pour se décider, la liste des prétendants s’est rapidement réduite à deux personnalités, offrant à Kamala deux options radicalement différentes. D’un côté Josh Shapiro, gouverneur de la Pennsylvanie. De l’autre Tim Walz.

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Josh Shapiro est le jeune (47 ans) et très populaire gouverneur démocrate de la Pennsylvanie, l’un des « Etats clés » de l’élection présidentielle. Etat clé parce qu’au résultat à la fois incertain et déterminant. La Pennsylvanie, état industriel du Midwest, compte vingt « grands électeurs ». A lui seul il pourrait faire la différence le 5 novembre. Le scrutin s’annonce très serré, et celui de Trump ou de Harris qui remportera cet Etat fera un grand pas vers la victoire. Il aurait été logique que Kamala Harris fasse de Josh Shapiro son colistier pour s’attirer les grâces des électeurs de cet Etat et le mettre dans son escarcelle.

Toutefois Josh Shapiro est un démocrate plutôt centriste. Il est aussi juif et a toujours défendu vigoureusement Israël dans son conflit avec le Hamas. Le choix de Shapiro aurait déplu à l’aile pro-Hamas du parti Démocrate avec le risque de voir la Convention Nationale, qui débutera le 19 août prochain, perturbée par des manifestations voire des heurts, autour de la situation au Proche-Orient, comme ce fut le cas en 1968 au sujet d’une autre guerre, celle du Vietnam. Le spectacle de cette division aurait été du plus mauvais effet à la télévision et aurait sans doute ruiné les chances de victoire des démocrates. Kamala Harris a donc préféré ne pas prendre ce risque. Par conviction, ou par prudence, elle s’est donc inclinée devant l’aile radicale anti-israélienne du parti Démocrate. Avec l’espoir que celle-ci se tienne coi, au moins le temps de son couronnement à Chicago. Par sûr que ce pari fonctionne. Sa réunion publique à Detroit le 6 août a été perturbée par une poignée de manifestants pro-Hamas.

Son choix s’est donc porté sur Tim Walz, homme de 60 ans, gouverneur du Minnesota depuis 2018, après avoir été représentant de cet Etat au Congrès. Le Minnesota n’est pas un Etat clé. Le candidat Démocrate l’a emporté à toutes les élections présidentielles depuis 1976. En 2020 Joe Biden y a battu Donald Trump de sept points, 52% contre 45%. Sur le plan strictement mathématique le choix de Walz n’apporte donc rien au « ticket » démocrate. Par contre Walz est un ultra-progressiste, d’ailleurs soutenu par Bernie Sanders, et lui et Kamala Harris sont en parfait unisson sur les grandes questions qui divisent la société américaine aujourd’hui : immigration, énergie, avortement, santé, éducation, genre, etc. En choisissant Walz, Kamala a donc révélé ce qu’elle pense vraiment et là où elle veut emmener l’Amérique, au-delà de ses déclarations de circonstance et du portrait flatteur ciselé à souhait par les médias. Ceux qui s’interrogeaient encore pour savoir si elle était plutôt « modérée » ou plutôt « radicale » ont leur réponse. C’est une radicale, comme Walz qui se revendique comme tel.

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Tim Walz rejette toute restriction au droit à l’avortement, y compris, quant à l’avancement de la grossesse. En France la limite est de seize semaines ;

Il veut rendre l’enseignement universitaire totalement gratuit, c’est-à-dire à la charge des contribuables ;

Il a instauré au Minnesota un programme de repas gratuits dans toutes les écoles ;

Il a fait du Minnesota un Etat refuge (« sanctuary state) pour les adolescents « transgenres ». Cela signifie qu’un mineur peut se rendre au Minnesota pour y subir une opération chirurgicale pour changer de sexe, et que l’Etat n’interfèrera pas avec sa décision, et ne coopèrera pas avec d’autres Etats pour l’en empêcher ;

Il a également fait installer des tampons hygiéniques dans les toilettes pour garçons des écoles publiques. Pourquoi une telle absurdité ? Au cas où des lycéennes transgenres – nées filles mais se prenant pour des garçons – les utilisent. Il y a gagné le surnom de « Tampon Tim ».

Le Minnesota de Tim Walz est un Etat où les repris de justice incarcérés conservent le droit de vote. Dans beaucoup d’autres ce droit leur est retiré le temps de leur incarcération.

Tim Walz est opposé à la pratique du « fracking », la fracturation hydraulique qui a fait exploser la production énergétique des Etats-Unis. Il est partisan d’une transition énergétique et a subventionné d’innombrables entreprises pour développer, aux frais du contribuables, l’économie verte. 

Il est favorable à la légalisation de la marijuana à usage « récréatif ».

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En outre, la droite américaine l’accuse de vouloir restreindre la liberté d’expression et d’avoir, durant le Covid, ouvert un « numéro vert », donc une ligne de téléphone gratuite, invitant ses concitoyens à dénoncer leurs voisins s’ils venaient à enfreindre le confinement. Ron De Santis, le gouverneur républicain de la Floride, a parlé d’une « snitch line », une « ligne des balances ».

Les grands médias ont salué le choix de Kamala Harris, au prétexte que Tim Walz serait un « homme simple issu du peuple » (« folksy » en anglais), preuve que mêmes les Démocrates sont conscients de la vague populiste qui déferle sur l’Amérique. De leur côté, les Républicains ont été plutôt rassurés. Ils savent maintenant à qui ils ont affaire. A charge pour eux de faire comprendre aux Américains les implications du ticket Harris-Walz sur la société, l’identité et l’avenir des Etats-Unis.

Cet article a été publié pour la première fois, dans une version plus longue, sur le blog de Gerald Olivier.

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est un journaliste franco-américain, éditeur du blog "France-Amérique, le blog de Gérald Olivier" et auteur en 2013 de "Kennedy le Temps de l'Amérique" aux éditions Jean Picollec

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