Feu vert à la négociation et contre-offensive surprise, Zelensky joue au plus fin mais en a-t-il les moyens ? Analyse de Victor Juin
Dans l’ombre des JO, les acteurs du conflit ukrainien n’ont pas chômé. Entre premiers pas diplomatiques et offensive surprise en territoire russe, le conflit a connu deux développements apparemment contradictoires. Pendant ce temps, les Européens, en dehors de l’action, regardaient les JO.
Le premier acte fut diplomatique et est passé très largement inaperçu. En deux mots, Kiev a donné le feu vert à des négociations avec la Russie. En visite à Guangzhou le 24 juillet dernier, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, M. Dmytro Kuleba, a déclaré à l’issue de trois heures de discussion avec le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi que « […] Kiev était prêt à entrer en négociation avec Moscou à un certain stade, une fois que la Russie sera prête à négocier en bonne foi », selon le communiqué du ministère ukrainien des Affaires étrangères. S’il déclarait dans la foulée ne pas encore discerner un tel état d’esprit à Moscou, le pas le plus important a été franchi : l’Ukraine accepte désormais de négocier avec les Russes, ce qui était exclu il y a encore quelques semaines. Côté russe, cela fait des mois que Poutine s’y est déclaré disposé et a énuméré ses conditions.
Les Chinois travaillent en silence
La rencontre de Guangzhou s’est inscrite dans une séquence soutenue du ministre Wang Yi qui a rencontré tour à tour en juillet des délégations russes et ukrainiennes en Chine et ailleurs à l’étranger, comme lors du forum sur la sécurité régionale de l’ASEAN au Laos (27 juillet 2024). Aucun tweet accrocheur, aucune communication tapageuse après chaque entretien. Sobrement mais efficacement, les Chinois font de la diplomatie. Une discipline aussi ancienne que les Jeux Olympiques, qui se pratique sans tambour ni trompette, exige patience et discrétion. Les Chinois ne portent pas de jugement de valeur, parlent à tout le monde, écoutent, puis utilisent leur influence pour amener les deux parties à poursuivre les discussions préalables à une négociation directe. Tout l’inverse de ce que fait l’Europe en somme. Nous y reviendrons.
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Cette ouverture ukrainienne ne devrait surprendre personne. Le Président Zelensky lui-même avait déjà envisagé cette possibilité il y a un mois. La réalité du terrain et les perspectives de long terme y sont bien sûr pour quelque chose. Le temps joue contre l’Ukraine. Plus grand monde ne croit à une victoire de la vaillante mais petite armée ukrainienne. Celle-ci manque d’armes et d’hommes alors que l’arrière manque d’électricité en raison des lourdes frappes russes sur les infrastructures du pays. L’actualité de ces derniers jours ne modifie hélas pas cette tendance de fond.
Pari militaire risqué
Le second événement est militaire et ne manque pas de panache. L’offensive ukrainienne en territoire russe a surpris tous les observateurs, à commencer par les Russes. Une opération culottée et réussie, du moins jusqu’à présent, qui a entraîné l’évacuation de plus de 150.000 personnes et l’occupation d’une langue de terre étirée sur trente kilomètres. Un camouflet pour le Président russe et son état-major. Mais au-delà de la prouesse militaire, quel est l’objectif du Président Zelensky ? Difficile de le percevoir avec clarté. Vladimir Poutine a son avis sur le sujet : « L’ennemi cherche à améliorer sa position de négociation à l’avenir », a-t-il déclaré lors d’une réunion télévisée le 12 août.
Possible, mais pas garanti que cela marche. Car l’armée ukrainienne aura probablement du mal à tenir ses positions en territoire russe où elle a engagé des milliers de troupes aguerries et du matériel de qualité qui risquent de lui manquer dans les prochaines semaines dans le Donbass où l’armée russe continue de grignoter du terrain. Si l’Ukraine subissait de lourdes pertes et évacuait tout le territoire acquis, le gain à la table de négociation risquerait d’être bien maigre le moment venu. Ce coup d’éclat pourrait alors devenir le chant du cygne d’une armée vaillante mais manquant de profondeur. Le pari est dans tous les cas risqué.
Les Européens spectateurs des JO et du reste
Ces deux événements, les Européens y ont assisté en spectateurs. S’ils en ont été informés, ils n’ont pu qu’accompagner le mouvement et non peser sur lui. Car, sur le terrain militaire autant que diplomatique, seul l’avis de Washington compte.
Militairement, si les Européens se gardent, à juste titre, de critiquer Kiev, pas sûr qu’ils soient très emballés de voir des chars allemands, des VAB français ou autres véhicules hollandais rouler en direction de Koursk pour frapper en Russie même. Encore une ligne rouge qui tombe. Quelques dirigeants politiques, à Varsovie ou à Londres, doivent se féliciter de l’opération. Mais le scepticisme et l’expectative domine sûrement dans l’ensemble de l’Europe et notamment au sein des états-majors. La discrétion des chancelleries européennes, si promptes en d’autres circonstances à communiquer leur soutien à Kiev, en est la preuve. Diplomatiquement, les pays européens sont encore plus aux abonnés absents. Pourtant, ils sont les premiers impactés par ce conflit, politiquement, stratégiquement et économiquement et sont directement concernés par son issue diplomatique. Mais aujourd’hui, c’est la Chine qui semble diriger le bal diplomatique. Et même si Pékin a manifesté son vif mécontentement devant l’incursion ukrainienne en territoire russe qui complique ses efforts et retardera le début des discussions indirectes ou directes, entre Russes et Ukrainiens, il est crédible que la Chine restera à la manœuvre. Les Européens, eux, resteront dans l’antichambre.
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Comment pourrait-il en être différemment ? Si elle le voulait, l’UE serait incapable de faire ce que fait la Chine actuellement. D’une part parce qu’on ne peut pas négocier au nom de 27 pays qui ne partagent pas le même point de vue et dont plus d’une vingtaine reçoivent leurs instructions directement de Washington. Il n’y a pas de diplomatie qui tienne dans ces conditions. D’autre part, parce qu’avec ses postures intransigeantes, ses sanctions tous azimuts et ses listes d’indésirables, en gelant les avoirs russes, et en soutenant sans réserve le mandat d’arrêt émis par la CPI contre le président Poutine qui leur interdit de facto toute rencontre à haut niveau, les Européens s’excluent eux-mêmes de tout rôle diplomatique. Or, il n’y a pas de conflit qui ne se termine un jour par un accord négocié. La paix se fera donc sans nous.
Il etait une fois la diplomatie francaise
Il n’y a pas si longtemps, Paris maîtrisait parfaitement cet art de la diplomatie et de la négociation internationale. Mais pour le pratiquer, il faut être prêt à serrer toutes les mains sales, à parler à tout le monde et à écouter toutes les parties, sans jugement de valeur. C’est parce que François Mitterrand acceptait que ses diplomates serrent la main des Khmers rouges à Paris ou à Bangkok que la France a réussi à ramener la paix au Cambodge il y a trente ans. C’est en parlant à Saddam Hussein et ses sbires que la diplomatie française de Jacques Chirac obtenait de l’Iraq qu’il coopère avec les Nations unies pour son désarmement dans l’espoir d’une réintégration dans la communauté internationale qui n’a finalement jamais vu le jour du fait de l’invasion américaine.
La France n’était ni pro-khmers rouges, ni pro-Saddam Hussein. Elle savait simplement que tout conflit finit toujours à la table de négociation et qu’une expédition militaire aggrave souvent le problème qu’elle voulait résoudre. C’est ce que Dominique de Villepin rappela aux Américains et au monde entier lors de son discours historique au Conseil de sécurité, le 14 février 2003. C’était il y a vingt ans…
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Restent donc les Chinois. Et naturellement les incontournables Américains. S’ils passent leur temps à adopter des postures morales et à disqualifier leurs adversaires, ces derniers continuent de pratiquer parallèlement une diplomatie à trois bandes et sont capables de dealer avec leurs pires ennemis avant de bousculer leurs propres alliés dès qu’ils décident de siffler la fin de la partie. Chinois et Américains négocieront-ils avec les Russes les conditions de la paix en Europe ? Une hypothèse assez probable. Mais rassurons-nous. L’UE sera conviée à signer l’accord et, bien sûr, à payer le coût de la reconstruction. Encore un grand succès de l’Europe puissance en perspective.