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L’affirmation d’un terrorisme féminin décomplexé

L'émergence de la femme terroriste - Episode 3


L’affirmation d’un terrorisme féminin décomplexé
Avis de recherche pour Nathalie Menigon d'Action directe, 20 novembre 1986. SIPA

                   Les années de plomb : ces femmes qui font le choix des armes. Voir les Episodes 1 et 2


La dernière partie du XXᵉ siècle est marquée par l’engagement massif des femmes dans les organisations politiques, parmi les plus célèbres, Nathalie Ménigon et Joëlle Crépet à Action directe en France, Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin à la RAF (Rote Armee Fraktion /Fraction armée rouge) en Allemagne, Adriana Faranda et Barbara Balzerani dans les Brigades Rouges en Italie.

Les médias titreront :

« Chasse aux femmes en RFA », Libération, 6 août 1977.

« Le sexe des anges de la terreur », Le Monde, 9 décembre 1977.

« Les tigresses des BR », Paris Match, 19 mai 1978.

« Terrorisme : l’empire des femmes », Le Point, 7 septembre 1981.

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Les années 70-80, dites « les années de plomb », consacrent l’avènement du terrorisme féminin, principalement en Europe, période qui correspond aussi à une profonde mutation sociale notamment avec l’émancipation des femmes. Toutes ces organisations acceptent le recours à la violence, en vertu de l’idéologie d’extrême gauche à consonances marxistes, comme une nécessité pour faire avancer l’histoire. La violence comme mode d’expression contre la bourgeoisie, contre l’Etat et ses symboles, qu’elles abhorrent !

Penchons-nous sur le cas d’Action directe. Action directe est une organisation politique française d’extrême gauche, des communistes révolutionnaires, c’est ainsi qu’ils se définissaient, sœur jumelle de la RAF, résultat de la fusion des membres des GARI (Groupes d’action révolutionnaire internationalistes), des NAPAP (Noyaux armés pour l’autonomie populaire) et des Brigades internationales, issues de la Gauche Prolétarienne (GP), qui prônait le recours à la violence comme arme politique. Ces organisations n’hésitent pas à commettre des attentats, mitrailler des édifices publics et des sièges de sociétés, assassinant et attaquant des banques pour financer leurs projets. Proches des autres groupes armés européens et palestiniens, elles créent une véritable coopération logistique et financière entre elles.

C’est en 1979 qu’Action directe va commencer à revendiquer en son nom ses attaques, nom emprunté à l’anarcho-syndicalisme du début du XXᵉ siècle. 1ᵉʳ mai 1979, à Paris, le siège du Conseil National du Patronat Français est mitraillé, une première action qui ouvre le bal à d’autres contre tout ce qui peut représenter l’Etat et le capitalisme. Le groupe sera démantelé en 1987, 150 personnes sont impliquées à des niveaux différents. Plusieurs dizaines de femmes avaient rejoint les rangs d’Action directe. Des peines allant jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité seront prononcées.

La réalité inconcevable de la femme tueuse

Nathalie Ménigon, une des figures principales d’Action directe, est condamnée en 1986 et en 1989 à la réclusion criminelle à perpétuité pour les assassinats de René Audran et de George Besse. Elle était également la compagne de Jean-Marc Rouillan, autre grande figure du mouvement. Le Figaro dans un article du 16 septembre 1986 la présente comme « sa compagne », faisant référence à Jean-Marc Rouillan, alors que lui est qualifié de « cerveau ». Une femme capable de penser, d’organiser et de commettre un attentat, une réalité inconcevable. Dans un autre article du 15 septembre 1980, Le Figaro qualifiera le duo Menigon-Rouillan de « couple fou du terrorisme ». Nathalie, l’amoureuse, celle qui suit naïvement son amant. Le Monde dans un article du 15 janvier 1989, relate les propos de l’avocat général lors du procès des assassins de Georges Besse: « le plus horrible, le plus choquant, c’est que les tueurs soient des tueuses, deux jeunes femmes passionnées, déterminées, en apparence insensibles et qui n’ont pas agi pour des raisons personnelles mais uniquement pour abattre ce qu’elles appellent un symbole ». Le Monde toujours dans un article du 16 mai 1986, à propos de Joëlle Crépet, écrira « victime d’un aveugle engagement, moins idéologue que passionnel ». L’engagement politique est relégué au bénéfice de la passion. La passion ce tourbillon qui ferait tourner la tête de toutes les femmes, terroristes comprises ! Ce qui choque, ce n’est pas l’action de tuer, on tue pour se défendre, pour manger et même par amour, ce qui choque c’est que le tueur soit une femme.

Mais toujours pas de femme, activiste, engagée dans une action politique, un peu comme l’anarchiste Germaine Berton des décennies avant. Les années de plomb soulèvent le problème de l’acception dans notre société de la violence politique des femmes. Agissent-elles par conviction ? Sont-elles de simples « compagnes de » ? Sont-elles naïves et faibles ? Suivent-elles par amour ? Sont-elles psychologiquement déviantes ?

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L’apparition de cette violence féminine, de ce terrorisme « féminin », remet en question l’ordre traditionnel et conventionnel établi, en cherchant des explications sociologiques ou psychologiques pour justifier cette anomalie de la nature du genre féminin. Force pourtant est d’admettre que la décision idéologique demeure la principale motivation de ces femmes, qui ont rejoint les mouvements européens d’extrême gauche. A cela s’ajoute la composante de la colère contre les générations précédentes qui ont collaboré avec le nazisme et le fascisme, avec à la fois le désir de punir et de réparer (voir Mélanie Klein et Joan Rivière, L’amour et la haine. Le besoin de réparation, Petite Biblio Payot) ! Si la répression a été la même pour les hommes et les femmes d’Action directe, si Nathalie Menigon et ses sœurs ont été jugées en droit à égalité avec les hommes du groupe, le jugement médiatique et populaire en revanche a été tout autre.

Fait remarquable pour être relaté, en mai 1976, Ulrike Meinhof, membre des FAR, se suicide dans sa cellule pendant sa détention, son cerveau sera prélevé et examiné par le médecin légiste, un ancien nazi (!), « afin de rechercher un lien entre sa structure et les agissements commis par Ulrike ». A-t-on eu l’idée de procéder à de telles recherches sur le cerveau d’Andreas Baader ? Etranges méthodes qui rappellent celles de Lombroso à une autre époque.

La femme, simple « suiveuse »?

La violence appartient aux hommes, elle est leur monopole, la femme est l’exception. Ces femmes qui affichent leur violence de manière décomplexée remettent en question le couple homme-femme en les sortant de la zone dans laquelle on les avait enfermées.

Les médias ont joué un rôle majeur dans la pérennisation des stéréotypes sexuels en relatant et en décrédibilisant l’engagement des femmes terroristes. On remarque une tendance à évacuer la dimension politique des faits qui leur sont reprochés et qu’elles revendiquent. On met en doute la sincérité de leur engagement et de leur motivation. Joëlle Crépet sera qualifiée de « victime d’un aveugle engagement, moins idéologue que passionnel ». Les journaux les présentent comme des « suiveuses », des « amoureuses », comme le célèbre couple formé par Bonnie et Clyde, on tente de trouver une explication à cette anormalité par le prisme de l’amour, quand d’autres seront qualifiées par la presse « de démentes ». « Cet homme qui part et ne dit rien à sa femme, elle qui s’inquiète : c’est vieux comme le monde. Leur amour était fait de ce qu’elle ne savait rien. Elle était le repos du guerrier ».  Et de lancer au tribunal, pour justifier sa demande de relaxe : « Vous ne pouvez pas condamner une femme simplement parce qu’elle a aimé ! », Le Monde, 21 janvier 1989. S’agissant de Paula Jacques, compagne de Claude Halfen, tous deux membres d’Action directe, le caractère politique de son engagement est éclipsé, oublié, sous le couvert des sentiments amoureux et de la naïveté, voire même de l’exploitation de la faiblesse de la femme, caractéristique liée à son sexe !

Lors de l’assassinat de George Besse, les médias ont souligné que ces femmes, pour donner un sens à leur existence étaient prêtes à tuer plutôt que de donner la vie, renvoyant ainsi la femme à sa fonction biologique de procréatrice. L’homme a pourtant cette même fonction de reproduction mais qui soulignerait la fonction biologique de l’homme comme incompatible avec son engagement ?

Cette représentation classique de la femme par les médias était presque rassurante, en réaffirmant la différence entre le masculin et le féminin, clef de voûte de la structure de la société telle qu’elle s’est construite, elle cantonnait chaque genre dans sa fonction naturelle. Aux femmes la vie, aux hommes la mort !

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Les médias pousseront l’ancrage du stéréotype en rappelant le rôle de ménagère des membres d’Action directe. Dans un article du 16 mai 1987, Le Monde souligne que pendant une planque « Joëlle Aubron avait planté des tomates et elle en faisait des conserves soigneusement rangées dans le cellier ». Une certaine manière de reléguer la femme à autre chose qu’à son engagement politique. Aux femmes les fourneaux, aux hommes le combat !

Les discours médiatiques ont renforcé la terroriste dans la catégorie « femme ». Mais la femme terroriste est avant tout une terroriste. Amoureuse, suiveuse, démente, ménagère, dans tous les cas la tendance place la femme hors du champ politique et idéologique. La femme gêne, on cherche à la disqualifier, quelle que soit la cause, elle part perdante au regard des médias qui ignorent son engagement. Elles renversent les stéréotypes liés au genre et mettent en lumière l’anormalité de leurs actions qui engendrent le dysfonctionnement de la société.

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