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Attention : travail !

Le programme du NFP? Nulle trace des notions de production et d’innovation


Attention : travail !
François Ruffin à Amiens, lors de la soirée électorale du premier tour des législatives, le 30 juin 2024 © Jeanne Accorsini/sipa

La valeur-travail (Arbeitwert) était un concept central chez Marx. Elle a quasiment disparu du logiciel du Nouveau Front populaire qui lui préfère les allocs et la hausse du SMIC. Et dire qu’en 1936, Léon Blum revendiquait « l’espoir, le goût du travail, le goût de la vie » !


Juin 1997. La gauche prend le pouvoir à la faveur d’une dissolution surprise décidée par le président Jacques Chirac. Les trente-cinq heures sont la mesure phare du nouveau Premier ministre Lionel Jospin. Une réforme non seulement critiquée par la droite et les chefs d’entreprise, mais aussi par quelques poids lourds de la majorité.  « Ce n’est pas en travaillant moins qu’on en sortira », s’inquiète Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, tandis que Jack Lang, alors président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, redoute une «  législation trop rigide ». Le camp du progrès social n’est pas unanime. Certains, à gauche, ne croient pas qu’émietter le gâteau soit de bonne politique. Ils préféreraient donner la priorité à l’expansion économique.

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Janvier 2017. La primaire socialiste bat son plein. Parmi les sujets de clivage entre les candidats : le revenu universel.  Parfois défendue par des libéraux, la mesure séduit une partie du peuple de gauche et se trouve au cœur du programme de Benoît Hamon. Face à lui, Arnaud Montebourg refuse cette dérive et brandit le « redressement productif » comme mot d’ordre. Las, il n’obtient que 17% des voix et se retrouve piteusement éliminé dès le premier tour.  Finalement qualifié face à Manuel Valls au second tour, Benoit Hamon remportera l’investiture avec son projet de société Netflix-cannabis-canapé-pour-tous. Puisque la bataille économique a été perdue, il n’y a plus qu’à offrir un super RSA à la France entière.

Redistribution et pensée magique

Sept ans plus tard, dans la précipitation de la dissolution, qui défend encore la valeur-travail à gauche ? Si l’on se penche sur le programme du Nouveau Front Populaire, nulle trace des notions de production et d’innovation. Le volet économique, dans lequel La France Insoumise est à la manœuvre, ne parle que de redistribuer les richesses, développer la voiture électrique, fermer des centrales nucléaires, maîtriser l’inflation et la hausse du SMIC, le tout saupoudré de pensée magique quant au potentiel des énergies renouvelables. Il faut réécouter Anne Hidalgo, en 2017, annonçant qu’à l’occasion des Jeux Olympiques 2024, des capteurs solaires permettraient « sans aucun doute » de récupérer l’énergie des sportifs et des spectateurs.

Faute donc d’aller chercher la croissance avec les dents, la nouvelle gauche compte redresser le pays en faisant les poches des riches. Les Insoumis proposent ainsi de créer une nouvelle tranche d’imposition sur les héritages : au-dessus de douze millions, on prend tout. La plupart des lecteurs de Causeur s’estimeront à l’abri de la confiscation. Qu’ils ne fanfaronnent pas trop vite : face à Benjamin Duhamel sur BFMTV, le 22 juin dernier, Mathilde Panot précisait (dans une grande imprécision) que les impôts augmenteraient pour les salaires au-dessus de 4000 euros. C’était la fameuse barre qui définissait les riches selon François Hollande, lors de la campagne présidentielle de 2007. Une nouvelle convergence entre les gauches réputées jusque-là irréconciliables.

Paul Lafargue versus Karl Marx

Au sein du Nouveau Front Populaire, seul le Parti communiste fait tâche, si l’on ose dire, en défendant, mezzo voce, le productivisme. En septembre 2022, dans une tribune publiée dans les colonnes du Monde, son secrétaire national, Fabien Roussel déclarait : « La gauche doit défendre le travail et le salaire et ne pas être la gauche des allocations, minima sociaux et revenus de substitution ». Soit une certaine cohérence idéologique avec les paroles de l’Internationale : « Ouvriers et paysans, nous sommes/le grand parti des travailleurs/La terre n’appartient qu’aux hommes/l’oisif ira loger ailleurs ». Tandis qu’au même moment Sandrine Rousseau préférait invoquer le « droit à la paresse », en allusion au titre d’un menu essai de Paul Lafargue, publié en 1883, qui préconise des journées de travail de trois heures. En 1868, l’auteur avait épousé Laura Marx, fille de Karl, union qui, dit-on, n’enchanta pas complètement l’intéressé.

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Entre le lumpenprolétariat et les bobos adeptes de l’otium des anciens, une alliance de classes s’est ainsi constituée, qui enjambe et écrase les autres catégories sociales. Il faut dire que parmi les figures de La France Insoumise et des Écologistes, peu suintent l’huile de coude, les bleus de travail, le métro aux heures de pointe. L’an dernier, le sondeur Jérôme Fourquet a montré dans son essai La France d’après (Seuil) que, dans la banlieue rouge de Paris, et notamment en Seine-Saint-Denis, les anciens maires tôliers ou chaudronniers ont été remplacés peu à peu par des consultants en marketing. Sandrine Rousseau, diva des Verts ? Professeur d’économie qui disparaît, d’après ses élèves, six mois sur douze de la fac de Lille. Sophie Binet, patronne de la CGT ? Révélée en 2006 lors de la fronde contre le CPE, a fait ses classes dans les rangs de l’UNEF. Manuel Bompard, leader des Insoumis ? Apparatchik devenu à vingt-quatre ans secrétaire national de l’ancien Front de Gauche. Louis Boyard, benjamin des députés de gauche ? S’est surtout distingué dans le trafic de stupéfiants avant d’entrer au Palais Bourbon. Sofia Chikirou, plus proche collaboratrice du gourou Jean-Luc Mélenchon  ? Autre apparatchik, passée par le PS après avoir été, un temps, tentée par le sarkozysme. A La France Insoumise, il n’y a que François Ruffin pour se faire le héros et le héraut des classes laborieuses. Une position qui explique sans doute sa mauvaise réputation dans les rangs du mouvement.

Été 2024 - Causeur #125

Article extrait du Magazine Causeur




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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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