On pourrait gloser à l’infini de la sincérité de Marine Le Pen. Il est de bon ton d’opposer un vieux FN rabougri, vichyssois et antisémite à un nouveau Front rajeuni, plus islamophobe qu’anti-immigrationniste, et quasi-libertaire sur les questions de mœurs[1. Le silence assourdissant de Marine Le Pen sur le mariage gay, relégué à un « non-sujet », semble confirmer cet anti-sociétalisme primaire, sans doute non dénué d’arrière-pensées électorales.], à la manière du néerlandais Geert Wilders[2. Ouvertement plus libéral que Marine Le Pen, ce qui ne l’empêche pas de s’être allié au Front national.]. C’est aller un peu vite en besogne et oublier que la mue « républicaine » du FN plonge ses racines dans le mégrétisme des années 1990. Il y a déjà une quinzaine d’années, à la veille de son putsch avorté, le futur « félon » Bruno Mégret affûtait ses armes métapolitiques au sein du parti, mettant au point un triptyque idéologique national-républicain en rupture avec les vieilles synthèses d’un Jean-Marie Le Pen[3. Qui transigeait volontiers avec les néo-libéraux, étatistes, nationaux-révolutionnaires, néo-païens et autres chrétiens tradis de son parti avec l’habileté d’un François Hollande, période Solférino.] Mais, en politique, l’habit fait le moine : l’itinéraire néo-droitier de Mégret, conjugué à son maigre charisme, eut rapidement raison de ses ambitions. Une fois son père en pré-retraite, Marine Le Pen put donc reprendre le flambeau de la rénovation en faisant assaut d’antilibéralisme, avec le succès que l’on sait.
Au faîte de la gloire électorale avec ses 25% aux Européennes, la présidente frontiste affronterait une opposition interne incarnée par l’attelage Marion Le Pen/Aymeric Chauprade, réputé plus droitier et conservateur que le courant Philippot. Au sein de la liste francilienne Chauprade aux Européennes, la petite musique morale de la Manif pour tous résonnait fort, ce qui explique une partie du succès frontiste dans l’Ouest parisien. Rebelote trois mois plus tard, à quelques mois du congrès automnal, Aymeric Chauprade vient de publier un long texte doctrinal. On ne se refait pas : le géostratège part de la « grande politique » internationale pour déterminer ses prises de position nationales. En bon schmittien, il désigne d’abord l’ennemi : le fondamentalisme islamique sunnite, de Gaza à Toulouse. N’hésitant pas à rompre avec la ligne pro-arabe de Jean-Marie Le Pen, Chauprade condamne tout à la fois les jets de roquettes sur Israël et l’antisémitisme. Sans pour autant signer de chèque en blanc à l’Etat hébreu, il range Israël au rang des alliés de la France[4. Ce raisonnement à trois bandes rappelle l’essai de Guillaume Faye La nouvelle question juive (2007), révélateur de la mutation des Identitaires français, devenus pro-israéliens par rejet de l’islam.], aux côtés des Etats-Unis, qu’il définit toutefois comme l’adversaire idéologique de notre vieux pays étatiste. Dans sa croisade contre l’islamisme sunnite, le russophile Chauprade propose de s’allier avec les minorités, notamment chiites, du Moyen-Orient, esquissant un partenariat entre Israël et l’Iran que la France pourrait encourager en s’émancipant de la tutelle américaine. Au passage, dans son refus de l’« immigration zéro », qu’il n’estime ni souhaitable ni possible, le chroniqueur du choc des civilisations suggère d’accorder l’asile aux chrétiens d’Orient persécutés, par « préférence civilisationnelle ».
C’est là que le programme se corse. Chose que peu d’analyses ont notée, l’eurodéputé frontiste promeut « l’inversion des « mauvais » flux migratoires. Et je crois que la solution passe par l’établissement du droit du sang, l’abolition du regroupement familial (…) et une politique migratoire de choix (choisir ceux qui apportent à la France). » En termes moins châtiés, cela s’appelle un retour au Front national des années 1980, influencé par les travaux du Club de l’Horloge sur le code de la nationalité et la « remigration » d’une partie des enfants d’immigrés. Un programme aussi draconien ne piétine pas forcément les plate-bandes marinistes, puisque la dirigeante frontiste annonce régulièrement vouloir « inverser les flux migratoires », sans préciser sa pensée. Est-ce à dire que les enfants et petits-enfants d’immigrés ont vocation à retourner sur la terre de leurs ancêtres lorsqu’ils violent le code pénal ? Sur quelles bases légales ? Une grande partie des fils et filles de la troisième et quatrième générations ne détenant que la nationalité française, il paraît délicat de les congédier du territoire comme le premier salafiste étranger venu.
En rédigeant ce manifeste on ne peut plus clair, Aymeric Chauprade a-t-il voulu influencer la future plate-forme politique du FN ? Ou n’exprime-t-il que les positions de l’aile droite du parti ? La réponse ne va pas de soi. À Marine Le Pen de la donner.
*Photo : Michel Euler/AP/SIPA. AP21569118_000010.
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