Pour l’ex-directeur du service d’information du gouvernement sous François Hollande, le PS commet une erreur gravissime en se laissant dominer par LFI. « Une rupture dans l’histoire de la gauche depuis l’affaire Dreyfus », selon lui.
Causeur. Au fond, quel est le sens de cette dissolution ? Et en a-t-elle seulement un ? La quasi-unanimité de la classe dirigeante l’a qualifiée d’insensée…
Philippe Guibert. Il est très révélateur que ce retour devant le peuple ait été jugé « insensé ». Cette réaction montre combien notre classe dirigeante s’était accoutumée à l’idée d’un système qui permet de gouverner sinon sans le peuple, du moins avec un peuple contraint. Avant même l’arrivée d’Emmanuel Macron en 2017, le quinquennat et le calendrier électoral aidant, il n’était plus nécessaire de rassembler deux Français sur trois, comme disait Giscard en son temps, pour exercer le pouvoir. Il suffisait de réunir entre 25 % et 30 % des voix au premier tour, d’obtenir une majorité de rejet au second et, les Français déjugeant rarement le président qu’ils viennent d’élire, celui-ci obtenait une majorité absolue ou relative au Parlement.
Ce mécanisme que vous décrivez est en tous points conforme à la Constitution. Pourquoi s’en offusquer ?
Cette gouvernance minoritaire est certes parfaitement légale, mais elle fragilise profondément notre démocratie et son chef, et au fond la légitimité du pouvoir. Jusque-là, les présidents jugeaient qu’ils pouvaient mener la politique qu’ils souhaitaient sans avoir besoin de retourner devant le peuple entre deux scrutins présidentiels. Mais Emmanuel Macron a constaté avec les européennes que ça ne marchait plus, que le budget 2025 était impossible à présenter sans se faire censurer à l’Assemblée, ou faire descendre les Français dans la rue. Le système était au bout du rouleau.
Vous qui venez de la gauche, du PS en particulier, comment avez-vous réagi à la formation en trois jours du Nouveau Front populaire, cette Nupes 2 ?
Avec un profond malaise, et même un sentiment de colère. Je n’ignore rien des tractations politiques, des nécessités de sauver des sièges, de la tambouille politique et électorale. Mais il est impossible de cacher sous le tapis ce qui s’est passé depuis deux ans avec LFI ! Sans parler du NPA… Il y a là une rupture dans ce qui a été la gauche depuis l’affaire Dreyfus. C’était sous-jacent avant le 7 octobre, c’est patent depuis le 7 octobre. Cette union de la gauche, après la Nupes, s’est faite sous emprise idéologique de la gauche la plus radicale. C’est la première fois dans l’histoire des unions de la gauche.
Ne peut-on pas entendre ceux qui disent qu’il faut parfois accepter de s’allier avec Staline pour contrer Hitler ?
Ressusciter la mythologie antifasciste face au RN est à mon avis une erreur d’analyse : nous ne sommes pas dans les années 1930 ! Les mouvements dits d’extrême droite ne sont pas fascistes, ils sont populistes, au sein de démocraties qui ont multiplié les contre-pouvoirs ! Ce sont des mouvements souvent identitaires, dont le moteur est le rejet de l’immigration, et qui puisent leurs électorats d’abord dans le socle sociologique de la gauche de jadis : les classes populaires. Cela aurait dû susciter depuis longtemps une réflexion de la part de la gauche. Il n’en a rien été. Qui s’intéressera aux électeurs lepénistes pour les faire revenir vers une gauche républicaine ? C’est là la clef, mais ce sera un travail de très longue haleine…
Philippe Guibert, Gulliver enchaîné : le déclin du chef politique en France, Le Cerf, 2024.
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