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L’anarchisme féminin: Naissance de LA terroriste

L’émergence de la femme terroriste - Épisode 2


L’anarchisme féminin: Naissance de LA terroriste
La Française Germaine Berton (1902-1942). La Russe Sofia Perovskaïa (1853-1881). DR.

L’émergence de la femme terroriste – L’anarchisme


Relire le premier volet

À partir du XIXème siècle, les attentats politiques se multiplient en France, cherchant à fragiliser les régimes et à semer la peur. Contrairement à la Russie où les femmes sont nombreuses chez les nihilistes, en France, leur implication se limite principalement à un rôle secondaire. 

Le plus souvent simple « compagne de » ou « épouse de », les femmes sont plus rarement à l’origine d’attentats. Deux figures retiennent cependant notre attention, Germaine Berton, jeune anarchiste, qui assassine le secrétaire de L’Action Française en 1923 et qui sera acquittée ainsi que Sofia Pérovskaïa, militante russe membre de l’organisation terroriste révolutionnaire Narodnaïa Volia, en français, Volonté du Peuple, qui aida à organiser l’assassinat du tsar Alexandre II de Russie et qui fut la première femme russe pendue pour raison politique le 15 avril 1881 à l’âge de 27 ans.

Des démentes qui ne savent pas ce qu’elles font ?

Germaine Berton a 22 ans quand le 22 janvier 1923, prétextant détenir des informations, elle pénètre dans les locaux de L’Action Française, armée d’un pistolet et abat de plusieurs balles Marius Plateau, chef des Camelots du roi, vengeant ainsi l’assassinat de Jean Jaurès.

Issue d’un milieu populaire, appartenant à la gauche radicale, anticléricale, antimilitariste, très tôt engagée dans les comités syndicalistes, militante, elle affiche ouvertement ses opinions politiques. Elle écrira dans le journal Le Réveil « La France, cette marâtre ignoble qui envoie ses fils crever sur les champs de carnage, est à l’heure actuelle le pays le plus militariste du monde entier. La République, cette salope au mufle barbouillé de sang pourri, craint que les Français n’entendent les clameurs révolutionnaires du peuple russe ».

Durant son procès, elle dira « Parmi les ennemis du prolétariat, j’ai haï les royalistes et les agents provocateurs » mais rares sont ceux à reconnaître dans son geste une action politique, selon l’opinion de la majorité il ne peut s’agir que d’un acte ordinaire, crapuleux, sans dimension politique. On ne retient d’elle que ce qui pourrait discréditer la femme engagée, un rapport judiciaire signale « qu’elle a acquis la plus détestable des réputations » dans les milieux anarchistes en raison du grand nombre de vols qu’elle a commis. On lui reproche une vie de débauche, on la présente comme une adolescente tourmentée. Sa mère la qualifiera de « détraquée ». La presse fait référence à son hystérie, sa violence, sa folie, sa délinquance, sa vie dissolue, s’attache à des traits physiques « son visage de gamine », « son sourire atroce » qui dévoile « des petites dents pointues qui voudraient mordre » mais se refuse à voir en elle la femme de conviction. Même son avocat, Henry Torrès, y voit un acte en réaction à une pulsion passionnelle, reléguant la dimension politique aux oubliettes. 

La presse traditionnelle et la justice se refusent à voir en elle autre chose qu’une simple écervelée d’anarchiste, seul le journal de gauche Le Libertaire dira « son acte solitaire n’est guère étonnant dans la mesure où l’anarchiste n’a besoin ni d’encouragement, ni d’ordre et dispose du courage nécessaire pour accomplir l’idée qui est la sienne ».

Même si l’attentat commis par Germaine Berton s’inscrit bel et bien dans la continuité des attentats anarchistes commis en France entre 1892 et 1894, il sera cependant « rangé » dans la catégorie criminalité de droit commun. Il n’y a qu’un pas pour imaginer que si cet acte avait été commis par un jeune homme de son âge, un tout autre champ lexical aurait été employé pour le décrire, sans doute aurait-on parlé de « virilité », « d’héroïsme », « d’un sourire franc », « d’un homme engagé auprès du peuple » ?

Au terme de son procès qui se déroule en décembre 1923, Germaine Berton sera acquittée, grâce au soutien notamment de Léon Blum et de Marcel Cachin. L’acquittement est justifié par le fait qu’il s’agit d’un acte commis à la suite d’une réaction passionnelle. 

Maria Bonnefoy qui assassinera en 1925 le trésorier du journal L’Action Française, Ernest Berger, connaitra le même traitement, Le Matin du 27 mai 1925 titrera « ce serait une démente », la justice retiendra la folie pour qualifier son acte, elle sera également acquittée.

Ou des militantes qui savent parfaitement ce qu’elles font ?

C’est une tout autre fin que connaitra Sofia Pérovskaïa. Le 13 mars 1881 (calendrier grégorien), le tsar Alexandre II est assassiné par des nihilistes. Sur le banc des accusés, presque autant de femmes que d’hommes. Depuis les années 1850, les Narodniki, membres de l’organisation Narodnaïa Volia se sont engagés dans une véritable chasse au « gibier impérial ». Parmi les accusés, une jeune aristocrate, Sofia Pérovskaïa, qui a dirigé l’attentat contre le tsar, en prenant la tête du groupe après l’arrestation de son compagnon, Andreï Jeliabov.

À peine âgée de 20 ans, elle commence à militer et à participer à des manifestations interdites. Elle fera partie du procès des 193 activistes populistes anti-tsaristes en 1877 à Saint-Pétersbourg, mais grâce à l’intervention de son père, aucune suite ne sera donné à l’affaire… En 1879, elle participe à une tentative de faire sauter le train impérial, la tentative d’attentat échouera, elle réussit à s’échapper et rentre dans la clandestinité. De retour à Saint-Pétersbourg, elle rejoindra l’organisation Narodnaïa Volia et s’engage auprès de son compagnon dans la préparation de l’attentat contre le tsar. Sofia n’incarne pas la suiveuse, la compagne de, la femme manipulée, ou la déséquilibrée, elle est titulaire d’un diplôme de professorat et d’assistante médicale, mais la femme pleine de conviction dans un idéal politique, elle sera arrêtée le 22 mars 1881.

« On a arrêté le 22 à Saint-Pétersbourg une certaine Sophie Perovslaïa qu’on recherchait depuis 1878. Elle a avoué qu’elle avait pris part, sous le nom de Soukhoroukoff, à l’attentat commis à Moscou le 1er décembre 1879 contre l’empereur Alexandre II, et qu’elle avait dirigé, après l’arrestation de Jeliabov, l’attentat commis le 13 de ce mois-ci »,écrira le Journal des débats politiques et littéraires.

Durant le procès, le correspondant allemand du Kölnische Zeitung écrira « Sofia Perovskaïa témoigna d’un courage remarquable. Ses joues conservaient le même teint rose, et son visage, toujours sérieux, sans la moindre trace de quelque chose feinte, plein de courage et sans vrai limite du sacrifice de soi. Son regard était clair et calme, il n’y avait pas l’ombre d’aucune affection »

Pendant l’audience Sofia expliquera ses motivations: « Ça a été seulement quand le gouvernement opposa à leur action des mesures répressives, que le parti se vit obligé, après de longues hésitations, de recourir à une lutte politique contre les institutions existantes de l’empire, parce qu’elles étaient le principal obstacle au but qu’il avait en vue. Bien que la majorité du parti blâmât cette lutte, elle n’en fut pas moins entreprise et poursuivie principalement par des moyens de terrorisme. L’obstination à attenter à la vie de l’empereur fut provoquée par la conviction qu’il n’y avait pas d’espoir de le voir changer de conduite à l’égard du parti, ou de politique à l’intérieur ». Le raisonnement est construit et éclairé, la lutte sociale et uniquement elle. « Par des moyens terroristes », le mot est lâché, Sofia se qualifie elle-même de terroriste.

« Ce matin, à six heures, après une délibération qui a duré trois heures, le tribunal a prononcé son jugement. Tous les prévenus ont été condamnés à la peine de mort par pendaison. La sentence qui frappe la femme Perowskaïa sera soumise à la sanction impériale, par ce motif que la condamnée appartient à la noblesse ». Le tsar refuse la grâce, Sofia sera exécutée par pendaison avec les autres condamnées le 15 avril 1881 devant 100 000 personnes, devenant la première femme en Russie pendue pour des raisons politiques, passant à la postérité et célébrée après la révolution de 1917.

Les contemporains de Germaine Berton tendent à nier son combat politique, à lui refuser toutes capacités intellectuelles à s’engager et à agir, préférant se retrancher derrière des arguments ordinaires pour une femme que l’on qualifie d’ordinaire ayant commis un acte ordinaire. Il est tellement plus confortable de voir en elle, une jeune démente dysfonctionnelle, réservant ainsi encore pour un temps la qualité de terroriste aux mâles. 

40 ans plus tôt, les contemporains de Sofia Pérovskaïa n’avaient pas hésité à s’affranchir de cette doxa, en la reconnaissant comme une femme capable de penser par elle-même et d’agir de manière libre et sans contrainte. Est-ce à dire que sa mort est une victoire pour les femmes ? Sans doute que non, mais elle ouvrera la porte à la reconnaissance plus tardive de la femme terroriste, ni héroïne, ni monstre social.




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Psychanalyste - juriste

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