Blasphème!

Même Mélenchon, qui décidément pousse à l'interdiction du blasphème, déclare ne pas avoir aimé une séquence polémique de la cérémonie d'ouverture des JO...


Blasphème!
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L’épiscopat français a dénoncé une “outrance”! Lors de la cérémonie d’ouverture des JO, la DJ obèse entourée de drag-queens, Leslie Barbara Butch, représentait-elle Jésus, avec son auréole dorée ? La polémique fait rage depuis ce weekend. Thomas Jolly, le metteur en scène, déclare maintenant que son inspiration ne venait pas de la Cène biblique… mais de Dionysos, dieu de la fête et du vin. Quoi qu’il en soit, les chrétiens ont tort de se montrer outrés devant cette fausse transgression woke. Et voici pourquoi.


Il est parfaitement normal de se moquer du christianisme. C’est même banal, pour ne pas dire cliché, ennuyeux, insignifiant. Tout comme il est désormais banal de ne se moquer que du christianisme, mais ça, en revanche, ce n’est pas normal.

Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, le monde entier a reconnu une parodie de la Cène de Léonard de Vinci. Et ceux qui nous disent depuis « mais non, ha, ha, c’était le Festin des Dieux de Jan van Bijlert, les gueux et les fachos n’ont rien compris » illustrent à merveille l’un des traits les moins sympathiques de l’esprit français, la suffisance ricanante des petits marquis poudrés tournant un brave valet en ridicule – référence pour référence, je rappelle à ces beaux esprits que dans la tradition du théâtre français, c’est le valet qui finit par gagner.

Polémique sur l’œuvre parodiée

D’ailleurs, même des acteurs de cette scène ont dit avoir joué la Cène, y compris l’actrice principale, et l’un des co-auteurs de la cérémonie au moins semble partager leur avis. Alors très franchement, si vous organisez un spectacle mondial et que personne ne comprend vos références, pas même vos collègues et vos acteurs, c’est que vous vous êtes planté. Ce qui n’est pas un crime, mais autant le reconnaître honnêtement. Le premier demi-habile venu peut taper « tableau évoquant une œuvre célèbre » sur Google pour s’inspirer du résultat, et lorsque tout le monde y reconnaîtra la référence initiale plutôt qu’une référence à une référence à la référence, s’exclamer « ho, ho, ils n’ont pas la ref’, c’est que ces patriotes en carton ignorent tout de la culture française qu’ils prétendent défendre, et toc, je suis vraiment le plus malin. »

Mais qu’importe, au fond. Le monde entier a pensé voir une parodie de la Cène, et a réagi à une parodie de la Cène. Ceux qui ont aimé comme ceux qui n’ont pas aimé, ceux qui en font l’éloge comme ceux qui condamnent. Même si ce n’était pas le but des organisateurs (et il est permis de rester sceptique), c’est donc une bonne occasion pour réfléchir à la question du blasphème.

Le droit de se moquer des religions, des dogmes, des tabous, en somme le droit au blasphème (on me permettra d’épargner au lecteur un long débat théologique sur ce qui est ou n’est pas précisément un blasphème), fait partie de ce dont la France peut être fière. Et qui, référence olympique et olympienne, nous vient de la Grèce Antique : le plus ancien texte connu de la littérature européenne, l’Iliade, se moque d’un dieu (Arès) et l’insulte (la fin du Chant V est un modèle du genre). Alors faire l’éloge du droit au blasphème lors d’une fresque sur la France, sa culture et son histoire, donner aux bigots du monde entier une petite leçon à la manière d’Homère, de François Villon, de Rabelais, des Mousquetaires provoquant Richelieu, de De Funès, d’Astérix, de Coluche et de Le Luron, c’est oui, un très grand oui, mille fois oui. Même si, et j’entends l’argument, il est permis de se dire que ce n’est pas le moment, et qu’inviter toute la planète chez nous à l’occasion des JO pour le plaisir de choquer l’écrasante majorité de nos invités n’est pas forcément faire honneur à notre culture.

Apologie du conformisme

Seulement, et dans tous les cas, ce n’est pas ce qui a été fait vendredi soir. Si telle était l’intention, parodier le christianisme avec des drag queens en apôtres et une femme obèse incarnant Jésus, et parodier seulement le christianisme, dans le Paris des bobos, des surmulots et des QR codes, ce n’est pas un éloge du blasphème mais une apologie du conformisme. Presque une figure imposée, sans originalité et surtout sans courage, servilement soumise aux orientations idéologiques du pouvoir en place. Et c’est encore plus convenu et insipide s’il s’agit d’une représentation post-moderne de l’Olympe : si Dionysos était bleu en référence à Shiva c’est bien vu, mais tout le reste fait pâle figure à côté de l’humour baroque d’Aristophane. Et si, comme l’affirme maintenant le metteur en scène, le but était « une cérémonie qui répare, qui réconcilie » (alors qu’il y a peu il déclarait que c’était un acte de « résistance » face au RN), force est de constater que c’est complètement raté : « réparer » la susceptibilité perpétuellement froissée des wokes n’est pas « réconcilier » les factions irréconciliables de la France, et encore moins du monde. Mais revenons au blasphème, source de la polémique si ce n’est de la scène/Cène/Seine.

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Faire l’éloge du blasphème, en France, en 2024, ce serait au minimum rendre hommage à Charlie Hebdo, à Samuel Paty et à Mila. Et si on veut de la créativité et de l’audace, casser les codes et réellement blasphémer, il faut faire comme Molière et tourner en dérision les idéologies en vogue au moment où on monte son spectacle. Un éloge du blasphème et de la liberté, aujourd’hui, c’est donc se moquer des migrants de François plutôt que du Christ de Léonard (ou de l’Apollon de Bijlert), c’est se moquer des Divines Valeurs de la Très Sainte République, des (néo)féministes, de l’éco-anxiété, de l’antiracisme, des lois mémorielles, de la soif de censure de Thierry Breton, des LGBTQI+, de la diversité et de l’inclusion. C’est OSS 117 et Gaspard Proust, c’est le livre de Dora Moutot et Marguerite Stern, c’est le collectif Némésis trollant les manifestations de gauche, et si on veut bien regarder ailleurs qu’en France, c’est Ricky Gervais et le film Lady Ballers (dont la bande-annonce à elle seule est une pépite). Ça, c’est transgressif.

Et ça peut être beau, la liberté et le blasphème, ça peut être élégant, ciselé, poétique. Ça peut être dans l’esprit des Jeux Olympiques, un élan vers l’excellence et la grandeur. Ici, François Sureau impérial rappelant que « il est des haines justes ». Ailleurs, les Iraniennes magnifiques, cheveux au vent, filles des héroïnes du Shahnameh défiant les hordes de Zahak. Ça peut être simple sans être vulgaire, comme quand des apostats de l’islam partagent de modestes photos de verres de vin et de plateaux de charcuterie, douceur de vivre et dignité des humbles.

Le triomphalisme de la gauche est ridicule : d’accord, vous vous êtes fait plaisir avec un grand spectacle à votre propre gloire financé par les impôts des petites gens. Vous avez exaspéré les réacs, et vous avez de quoi snober tous ces beaufs qui ne connaissaient même pas Bijlert, tu vois, ce célèèèèèbre artiste (dont vous-mêmes ignoriez l’existence), et ces ploucs qui croient encore qu’un plan cul à trois et un triangle amoureux ce n’est pas tout à fait la même chose. Bravo, félicitations, et repassez-vous la séquence « ah, ça ira, ça ira » quand vous ne comprendrez pas pourquoi le RN n’arrête pas de monter : le tiers-état contribuable vit souvent assez mal l’arrogance des privilégiés ultra-subventionnés, voyez-vous.

Mais certaines indignations de droite sont tout aussi ridicules : vous vous attendiez à quoi, franchement ? Critiquez, analysez, mais de grâce ne surjouez pas l’émotion. Et réjouissez-vous, le monde entier a vu qu’un artiste mélenchoniste et un historien déconstructeur disposant d’un budget colossal, malgré quelques moments vraiment réussis, n’arrivent pas à la cheville du Puy du Fou, de ses bénévoles et du roman national.

Et les réactions de l’Église sont un effarant coup contre son camp. Ne se moquer que du christianisme est facile, petit, mesquin, c’est entendu. On a néanmoins le droit, et heureusement, de se moquer du christianisme. Vous avez vu ou cru voir Jésus représenté par une DJ obèse, la belle affaire ! On nous explique maintenant qu’elle était censé incarner Apollon, comme s’il était moins grave de parodier un des dieux de Plutarque plutôt que le dieu de Torquemada. Mais est-ce vraiment l’essentiel ? Qu’il y ait eu un enfant au milieu des drag queens n’est-il pas une question un tantinet plus sérieuse ? L’Église passe son temps à encourager la dislocation de l’Europe dans le multiculturalisme : assumez maintenant, on reconnaît un arbre à ses fruits (Matthieu 7:15-20). N’oubliez pas qu’un peu partout la criminalisation du blasphème est avant tout une arme contre les chrétiens, et visant à faire taire ceux qui osent dénoncer ce au nom de quoi les chrétiens sont persécutés. Pensez à Asia Bibi, et évitez de hurler avec les foules haineuses qui voulaient la mettre à mort en la traitant de blasphématrice. Pensez à ceux qui, aujourd’hui, en France, apostasient l’islam pour se convertir au christianisme et subissent pressions, harcèlement, menaces, violences. Défendre leur liberté de proclamer leur foi alors que cela choque leur communauté d’origine, c’est aussi défendre la liberté de Thomas Jolly et Philippe Katerine de vous choquer avec leur mise en scène de Jésus/Apollon et Dionysos/Shiva.

Et c’est aussi, évidemment, défendre notre liberté de dire que nous n’avons pas aimé ce spectacle, et n’en déplaise à l’Arcom, que nous allons continuer à blasphémer contre la gauche, ses tabous et ses idoles.




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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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