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Maroc: le quart de siècle de Mohammed VI

La doctrine dite de « l’islam du milieu » a fait ses preuves en matière de déradicalisation


Maroc: le quart de siècle de Mohammed VI
Le roi Mohammed VI, à la Mosquée de Rabbat en 2019 © Gregorio Borgia/AP/SIPA

Le roi, qui vient de célébrer ses 60 ans, est monté sur le trône il y a un quart de siècle. Où va le Maroc ?


Vingt-troisième dynaste alaouite, Mohammed VI a eu la lourde tâche de succéder à son père Hassan II le 23 juillet 1999. Il était alors âgé de trente-cinq ans, un âge parfait pour accéder au trône, suffisamment jeune pour être dynamique tout en bénéficiant de l’expérience d’une petite vie d’homme.

Vingt-cinq ans plus tard, que retenir de son règne et de l’évolution des relations franco-marocaines ? Pays clé des équilibres méditerranéens et sahéliens français, le Maroc partage avec nous une riche histoire commune ainsi que des diasporas actives présentes dans les deux pays. L’élection récente de la députée « ciottiste » Hanane Mansouri, d’origine marocaine, en témoigne d’ailleurs : les liens unissant la France au Maroc sont plus complexes et plus profonds qu’on ne le croit parfois.

Un royaume à l’abri de l’islam politique ?

Pourtant, diverses incompréhensions mutuelles ont émaillé ces dernières années. Longtemps « acquise », la relation franco-marocaine a souffert de non-dits et de batailles d’influence préjudiciables. Nous aurions pourtant tout intérêt à entretenir ce partenariat fécond mais aussi essentiel pour notre vie géopolitique et économique. Pôle de stabilité au sein du monde méditerranéen et arabe, le Maroc affiche désormais un visage moderne et décomplexé.

Il a su d’ailleurs résister aux printemps arabes comme à la montée de l’islamisme politique. Fait inédit, les islamistes du Parti de la Justice et du développement ont été appelés au gouvernement et ont dirigé le pays pendant une décennie avant de quitter le pouvoir par le jeu électoral et démocratique, sans aucune violence. C’est le signe d’une nation résiliente et mature qui compte d’abord sur les indicateurs économiques et les réformes politiques.

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Afin d’éviter la gronde de la rue, le royaume chérifien a su aussi moderniser sa constitution en 2011, alignant progressivement ses institutions sur le modèle des monarchies parlementaires européennes, avec un plus large pouvoir exécutif accordé au roi qui est aussi le commandeur des croyants, de la même manière que nos rois étaient de « droits divins » sur l’idée de Saint-Paul que « toute autorité » émanait de Dieu lui-même. Les pouvoirs et la représentativité du chef du gouvernement marocain ont substantiellement augmenté. Les gouvernements sont désormais toujours issus de la formation politique ayant remporté les élections, ce qui a probablement évité les violences constatées par exemple en Tunisie.

Une diplomatie française tiraillée entre Alger et Rabat

Cette nature monarchique qui assure une continuité historique et garantit un arbitrage équilibré entre les tendances politiques est aussi sûrement ce qui fait parfois du Maroc un pays mal aimé par son voisin algérien et certaines oppositions de gauche en France. Parfois tiraillée entre Alger et Rabat, la diplomatie française semble aujourd’hui entendre de nouveau les bénéfices qu’elle peut tirer d’un apaisement et d’un renforcement des partenariats économiques, comme militaires ou encore religieux. En effet, la doctrine dite de « l’islam du milieu » a fait ses preuves en matière de déradicalisation et les coopérations sécuritaires ont conduit encore récemment à déjouer des attentats terroristes comme à arrêter le meneur du gang marseillais des Yodas (Félix Bingui, chef du gang Yoda, l’un des deux principaux clans du narcobanditisme de la ville, arrêté le 8 mars au Maroc).

Sur le plan des mœurs, la politique de la Moudawana a permis d’améliorer la place et les droits des femmes dans une société encore traditionnelle. Bref, les choses avancent et les vingt-cinq dernières années ont été le théâtre de profondes mais discrètes transformations d’un pays qui entend avoir une place pleine et entière dans le concert des nations modernes, ce que l’organisation de la Coupe du monde 2030 avec l’Espagne et le Portugal ne dément pas. Les chiffres sont d’ailleurs éloquents. Le PIB du Maroc est passé de 46,27 milliards $ en 1999 à 130,91 milliards $ en 2022. Une croissance de 183%. Sur la même période, le PIB par habitant a plus que doublé sur la période, passant de 1627 dollars à 3442 dollars en 2022. Il s’agit aussi du second pays le plus industrialisé d’Afrique, notamment dans le domaine automobile où Renault produit les modèles Dacia depuis la méga usine de Tanger.

Un pays très inégalitaire

Restent néanmoins des défis importants à relever. Si le nombre de Marocains vivant sous le seuil de pauvreté absolue a ainsi chuté, passant de 15,3% en 2000 à seulement 1,7 % en 2019, le Maroc reste frappé par les inégalités. Ainsi, les 10% de Marocains les plus aisés concentrent encore onze fois plus de richesses que les 10% les plus pauvres. Le chômage des jeunes reste aussi important, entrainant notamment des départs vers l’Europe. Après avoir modernisé son pays et l’avoir doté d’une économie libérale ne dépendant pas des ressources naturelles, Mohammed VI semble vouloir placer la suite de son règne sous le signe d’une plus grande justice sociale. Et si le Maroc devenait le premier grand pays musulman à adhérer à la social-démocratie ?

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L’autre chantier se situe dans le cadre des relations internationales, singulièrement avec l’Algérie avec laquelle les rapports se sont dégradés considérablement ces cinq dernières années. Jouant la carte de l’équilibre entre signature des accords d’Abraham et aide humanitaire concrète aux Gazaouis, le Maroc a aussi le problème du Sahara à régler où la présence du Front Polisario complexifie tout. Son plan d’autonomie de 2007 est, selon de nombreux observateurs, une issue potentiellement positive qui entraînerait la reconnaissance de la souveraineté du royaume sur la région. La France ira-t-elle plus loin dans cet épineux dossier ? La question soulève en tout cas les passions.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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