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Tour: et si le vrai gagnant n’était pas le vainqueur?


Tour: et si le vrai gagnant n’était pas le vainqueur?
Le Slovène Tadej Pogacar à Nice, 21 juillet 2024 © Shutterstock/SIPA

Le Slovène Tadej Pogacar a fait la démonstration de sa suprématie sur le Tour de France, dimanche, en remportant sa troisième Grande Boucle ainsi que le contre-la-montre final à Nice. Mais, il ne parvient pas à éloigner les soupçons de dopage qui pèsent sur lui.


Avec une déconcertante voire insolente facilité qui laisse perplexe, le flamboyant Tadej Pogacar a donc, sans surprise, remporté son troisième Tour, qui s’est caractérisé par une série de « premières fois » tout en restant fidèle à lui-même, devançant celui qui, précisément, l’avait dépouillé de la tunique jaune les deux éditions précédentes, le coureur à « la triste figure », l’humble et pudique Jonas Vingegaard.

Ainsi, au terme de cet intermède, le coureur slovène a rejoint les clubs très exclusifs des trois triples vainqueurs du Tour (Lemond, Bobet, Thys) et des sept ayant inscrit à leur palmarès le doublé Giro-Tour (Coppi, Anquetil, Merckx, Hinault, Roche, Indurain et Pantani). Il bat aussi le record, anecdotique, de Merckx du plus grand nombre de jours vêtu du maillot de leader (37), la même année, cumulés sur ces deux compétitions.

Il a imposé sa domination sur ce Tour en gagnant cinq des sept étapes de montagne au menu de cette 111ème édition dont les deux pyrénéennes et les deux alpestres majeures. Et pour consacrer celle-ci, il a remporté l’ultime et difficile contre la montre de 33 km entre Monaco et Nice avec plus d’une minute d’avance sur le second qui n’était autre que Vingegaard.

Il a également explosé, lors de la 15ème étape, le 14 juillet, le record de l’ascension au Plateau de Beille (Pyrénées) que détenait Pantani qui, de notoriété publique, ne roulait pas à l’eau claire, ce qui immanquablement ne pouvait que relancer le soupçon récurrent de dopage. D’après l’information d’un site anglais faisant référence à la matière, reprise par la presse française, le dopage auquel aurait recours Pogacar, et aussi dit-on Vingegaard, consisterait à inhaler du monoxyde de carbone, technique qui augmenterait le VO2max, à savoir la capacité à absorber de l’oxygène.

Présomption d’innocence

Dans le cyclisme, comme dans la société, la présomption d’innocence doit prévaloir. Tant qu’un coureur n’est pas déclaré positif, il est négatif. Mais ce principe n’interdit pas pour autant de soulever de légitimes questions. Car il y a eu le précédent Lance Amstrong, septuple vainqueur déchu qui avait déjoué tous les contrôles pourtant très stricts tout au long de sa carrière. Balancé par ses anciens équipiers pour des questions de fric, il avait fini par reconnaître qu’il se dopait à l’EPO[1]. Il convient de préciser que l’inhalation de monoxyde de carbone n’est pas inscrite dans la liste des produits proscrits.

Pour le moment, laissons donc de côté ce délicat sujet et posons la question iconoclaste qui s’impose. Le classement général de ce Tour ne serait-il pas en trompe-l’œil ? Et si finalement le vrai gagnant du Tour ne serait pas le vainqueur mais le vaincu ? A savoir Vingegaard.

Logiquement, d’un point de vue médical, il n’aurait pas dû prendre le départ à Florence. Ce qui ne l’a pas empêché de tenir la dragée haute à Pogacar.

Le 4 avril, sur le Tour du Pays Basque, dans la descente du col d’Olaeta, il chute lourdement dans un virage à plus de 80 km/h. Pneumothorax, contusions pulmonaires, fissure du sternum, fractures de la clavicule gauche et de plusieurs côtes : il s’est cru mourir, a-t-il confié, lui, habituellement si avare de paroles. En principe, sa saison s’arrêtait là. Douze jours d’hôpital en soin intensifs, dix semaines de rééducation, le remettaient sur pied. Faire l’impasse du Tour était impensable pour le sponsor, en l’occurrence Wisma, une société norvégienne d’informatique. Pour celle-ci, il était impératif qu’il défende son titre conquis l’année précédente pour la deuxième fois consécutive. Alors, sans qu’il ait disputé la moindre course en trois mois, on l’a aligné au départ, de plus avec une équipe amoindrie, surtout par l’absence de son ange gardien en montagne, l’Américain Sepp Kuss, et par un Wout van Aert à peine remis d’une grave chute (lui aussi !) sur le Tour de Flandres. Son équipe sera cependant une des seules trois équipes à terminer au complet à Nice, il faut le souligner, la preuve d’une solide cohésion de celle-ci.

En revanche, Pogacar était arrivé, lui, entouré d’une impressionnante force de frappe entièrement dévouée, qui s’était bien rodée sur le Giro, remporté par ce dernier avec la même aisance qu’il a gagné le Tour : l’équipe des Emirats Arabes Unis (UAE, son sigle en anglais), où l’argent ne fait pas problème. La plupart de ses équipiers pourraient être leaders dans d’autres équipes. Mais la carrière d’un cycliste étant courte et aléatoire, ils préfèrent un substantiel salaire à une hypothétique gloire. Elle perdra un coureur mais terminera première au classement par équipe.

Bien qu’amoindri physiquement, Vingegaard était cependant armé mentalement pour se lancer à l’assaut d’une citadelle considérée comme inexpugnable, comme il le fit dans la montée vers le plateau de Bielle avec dans sa roue Pogacar qui lui porta l’estocade à une encâblure du sommet. En fait, il a tenu ferme jusqu’à l’avant-pénultième étape, Embrun-Isola-2000, qui franchissait vendredi le point culminant de la Grande boucle, le col de la Bonette (2802 m, 22,9 km à 6,9%). Dans la dernière ascension, à 5 km de l’arrivée à Isola-2000, Pogacar a décoché une de ces attaques qui sont sa marque, digne d’un missile, laissant sur place ses deux suivants au général, Vingegaard, Evenepoel, 24 ans, dont c’est la première participation, maillot blanc du meilleur jeunes, ex-champion du monde sur route et contre la montre, vainqueur de la Vuelta 2022.

Vingegaard s’accroche à la roue de ce dernier et sauve à la souffrance sa place de second mais se retrouve à 5’03 du maillot jaune.  Si à la sortie des Pyrénées avec 3 mn de retard, c’était encore jouable, avec 5 mn de débours face à un Pogacar impérial, là la messe était dite.

Le lendemain dans l’avant-dernière courte mais piégeuse étape, Nice-Col de la Couillole, Evenepoel, 3ème au général à 2mn, veut lui chiper la seconde place, le harcèle à deux reprises. Alors, ayant retrouvé son coup de pédale d’avant, Vingegaard place un contre imparable et s’en va vers le sommet à 5km environ avec dans sa roue Pogacar qui ne prend aucun relai. On le comprend, la dispute pour la seconde place n’est pas son affaire. Mais, l’élégance, à l’instar autrefois d’un Indurain, aurait voulu qu’il le laissât franchir en premier la ligne d’arrivée. Que nenni ! Néanmoins Vingegaard a pris 53 secondes sur Evenepoel… devancera encore celui-ci dans le contre la montre, confortant sa place de second et prouvant que, malgré les séquelles de sa chute, il avait encore de la réserve et un caractère qui n’abdique pas.

Faux héros

La presse en général a eu les yeux de Chimène pour Pogacar, le prodige, le nouveau Mercks, le cannibale, tout sourire, rayonnant, chaleureux, mais, revers de la médaille, en réalité égoïste et suffisant, condescendant comme tous ceux qui se sentent supérieurs aux autres, à vrai dire une sorte de Macron du vélo. Non, le vrai héros, discret, modeste, de ce Tour a été indubitablement Vingegaard, le revenant de ce qui a failli être son au-delà. Sa performance sur ce Tour, privé d’une partie de ses moyens physiques mais pas mentaux, annonce un Tour 2025 cette fois à armes égales. Avec un larron à l’affût : Evenepoel. Il a dit à la presse belge qu’il va revenir mais pour la gagne…

Ce Tour des « premières fois » (premier départ d’Italie, première arrivée pas à Paris, première victoire d’étape d’un Africain noir, entre autres…) a ajouté une exceptionnelle « première fois ». En effet, pour la première fois de son histoire, hormis le blanc d’Evenepoel qui revient à la Belgique, les trois autres maillots distincts, le jaune, le vert et à pois, reviennent, eux, à trois petites nations cyclistes, Slovénie, Erythrée, et Equateur, qui il y a encore à peine dix ans n’étaient pas présentes sur le Tour, confirmant ainsi sa mondialisation. Les grandes puissances cyclistes d’antan (France, Belgique, Pays Bas, Italie, Espagne…) ont dû se contenter à faire de la figuration en limitant leurs ambitions à des victoires d’étapes. La Belgique en a décroché cinq, la France trois, et les autres sont rentrées bredouilles… Et Cavendish, le flibustier des lignes d’arrivée, a sauvé l’honneur sourcilleux de la Grande Bretagne en inscrivant à son palmarès le record de 35 victoires d’étapes, reléguant Merckx à la seconde place avec une de moins, un record qui n’est pas près d’être obsolète…

Enfin, le Tour demeure toujours, contre vents et marées, une grande fête populaire ainsi que l’atteste la foule enthousiaste qui se presse année après année sur son itinéraire et les audiences télé. Samedi, la veille du contre la montre finale, 4,34 millions téléspectateurs, pas tous que des fans de vélo, étaient devant leur écran, soit 41,8 % « de part de marché ». Peu de programmes peuvent se targuer d’une pareille audience. Comme quoi que le Tour est autre chose que du sport. Mais quoi ? Aux philosophes de nous apporter la réponse.


[1] Erythropoïétine médicament qui augmente les capacités physiques d’un individu de 10% en augmentant la quantité des globules rouges. Les stages en altitude sont en quelque sorte une forme d’EPO naturel. (Prochainement un article sport et dopage : un concubinage remontant à l’Antiquité qui perdurera)  




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écrivain et journaliste français.

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