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Un petit Balzac, pour l’été, pourquoi pas?

« Honorine », un roman d'amour énigmatique


Un petit Balzac, pour l’été, pourquoi pas?
Honorine et Maurice, illustration de Édouard Toudouze, 1897. DR.

Balzac traite, dans cette nouvelle énigmatique, de la sexualité dans le mariage, de l’incompatibilité des êtres, de la passion, avec une netteté et un tact salutaires sans aucun des clichés crus voire pornos dont nous abreuvent nos romans contemporains. Et ce roman est très mystérieux. Qui est Honorine ? Peut-être, rien du tout, une construction mentale? En tout cas, ce roman est d’une sobriété classique éblouissante.


Au bord de la mer, à Gênes, une soirée de mai 1836, le consul de France, Maurice de l’Hostal, marié à une belle Génoise, Onorina, reçoit des amis sur la terrasse de sa villa. On parle littérature et la conversation en vient à l’adultère de la femme dans le mariage. On disait alors « la faute ». C’est alors que le consul revient sur son passé quand, âgé de vingt ans, il était, à Paris, le secrétaire du comte Octave, un homme politique puissant.

Tout pour s’entendre, mais…

Elle s’appelle Honorine. Elle a épousé le comte, plus âgé qu’elle, qu’elle a quitté au bout d’un an et demi pour un amant qui l’abandonne. Elle vit désormais d’un commerce de fleurs sans se douter que c’est son mari qui pourvoit à tout. Le comte a pris pour secrétaire le fils d’un ami, Maurice, qu’il charge de veiller sur sa femme, et de la ramener à lui. Maurice accepte le rôle de go between et d’espion. Sur cette trame romanesque, Balzac construit un récit encadré, sobre et énigmatique.

Honorine et Octave ont tout pour s’entendre : un amour réciproque, le sens du devoir, une belle âme, le même goût ardent du plaisir. Lui est un haut magistrat. Honorine, une jeune fille de son époque, faite pour le mariage sans l’avoir vraiment désiré. Quant à Maurice, étudiant en droit, romantique, épris de littérature, il accepte le rôle « d’oiseleur » au risque de tomber amoureux d’Honorine —ce qui arrive.

Rendu fou par le départ d’Honorine, amoureux fou de sa femme, le comte lui a pardonné et attend son retour. Elle, vit dans le souvenir de sa passion. Fous donc de passion l’un et l’autre mais non l’un de l’autre, les deux époux ont en partage une faculté d’analyse d’eux-mêmes peu commune dont témoignent leurs lettres respectives et leurs entretiens avec Maurice. Mais plus l’analyse s’enrichit, plus s’accroît le mystère d’Honorine.

On ne connaît que son prénom. Poétisée par son mari qui l’a connue enfant, puis érotisée et fétichisée par lui. Sublimée par Maurice qui voit en elle une beauté fascinante et troublante, elle est pour le lecteur une énigme. Une femme libre ? Une courtisane ? Un fantasme ? Même si elle a le sens de l’honneur en partage avec Octave, le trou noir des années avec son amant dont on ne connaît rien, crée un mystère jamais éclairci.

Cœur mystérieux

Loin des lieux balzaciens du pouvoir ou de l’argent et de ce qui aurait pu être un mélo à trois, Balzac fait un roman qui a la rigueur d’une tragédie. On pense à La princesse de Clèves et à Bérénice. Le drame est formulé clairement par chacun des époux : « Il m’est impossible de pénétrer dans ce cœur. La citadelle est à moi et je n’y puis entrer » dit Octave, et Honorine : « Je ne puis pas aimer le comte. Tout est là, voyez-vous.» On l’aura compris, Balzac pose explicitement le sujet de la mésentente sexuelle dans le mariage. Honorine ne supporte pas l’amour physique avec son mari : le sujet est audacieux.

Le début est une ouverture au sens musical. Puis la narration fait alterner des conversations sur l’adultère —qui reflètent à merveille la société— des lettres et des descriptions. L’austérité de l’hôtel du Marais contraste avec le jardin de la rue Saint-Maur, la mer ouvre un espace voluptueux à ces lieux clos. C’est Camille Maupin, alias George Sand, qui dit la morale de l’histoire en parlant de Maurice : « Il n’a pas encore deviné qu’Honorine l’aurait aimé. » Honorine, dont Maurice vient de dire qu’elle était « un beau cadavre à disséquer. »

Si Honorine se sacrifie au devoir et à la religion, gardons-nous d’en faire une féministe. Et de faire du comte un malade possessif voire un machiste. Admirons plutôt comme un romancier entre dans l’intériorité d’une femme et le mystère des êtres. Dans Sarrasine, Balzac posait déjà cette question : l’amour peut-il subsister dans le mariage en dehors d’une sexualité réussie ? Ce n’est pas nouveau chez lui : il suffit de lire Mémoires de deux jeunes mariées ainsi que Beatrix, qu’il écrivait en même temps qu’Honorine.

Balzac dit avoir écrit cette nouvelle en trois jours. Qu’il y ait mis tout lui-même est une évidence dont témoigne le prénom de l’héroïne. Roman ou nouvelle, en tout cas, c’est un chef-d’œuvre de sobriété et de mystère. Et lisons les autres nouvelles de Balzac, toutes disponibles en GF, qui sont de vraies perles.

224 pages.

Honorine

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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