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Délicieuse Adrienne Pauly

La chanteuse un peu gouailleuse cherche-t-elle toujours un Jules?


Délicieuse Adrienne Pauly
La chanteuse Adrienne Pauly © Eddy Brière

La chanteuse est de retour avec un troisième album


Adrienne Pauly a des cheveux bruns qui ont décidé que la fausse anarchie était une vraie élégance. Elle porte sur elle une persistante jeunesse qui côtoie la mémoire d’un passé mouvant ; son exubérance est faite de timidité, ou bien est-ce l’inverse, je ne sais plus. Ce sont les premières impressions qui me sont venues en la rencontrant. Si tant est que l’on sache les regarder et les entendre, les êtres nous imposent leur rythme et leur mélodie en quelques secondes. J’arrivais rue de l’Odéon essoufflé par l’appréhension que ma nature m’impose depuis toujours. Dès le départ, Adrienne se livre par touches, comme ces enfants malins et hésitants qui vivent dans leur tête sans jamais rester vraiment seuls. Comme on leur coupe trop souvent la parole, écoutons-la.

(c) Yann Orhan

Une grande enfant

Elle raconte alors son parcours musical cabossé, se remémorant anecdotes, échecs, avec humour et tendresse, sans jamais s’épargner. Le succès de J’veux un mec, les maisons de disques, les collaborations avortées ou déçues, et puis cette rencontre lumineuse, en 2014, avec Gaby Concato, producteur et compositeur de son second album, sorti en 2018, ainsi que du dernier intitulé Et comment tu trouves que j’me trouve ?!. « Si je trouve la bonne personne, je suis fidèle. » Elle continue : « Je n’ai pas vraiment eu d’apprentissage musical. Je fais les textes et les mélodies en m’aidant de quelques accords de piano. Mais ensuite, j’ai besoin de trouver quelqu’un, puis que l’on se trouve. »

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Son dernier disque semble une errance passant d’atmosphères western (les tremolos de guitare de La Nuit et son « La nuit on dort / Et moi je mords ») aux ambiances disco fluorescentes (on pense aux guitares de Nile Rodgers dans le titre Message à tous les mecs). Sans doute est-ce là son meilleur disque, sinon celui qui lui ressemble le plus. Il a été enregistré loin de Paris, dans une maison de campagne, et l’on y retrouve cet étonnant mélange de sauterelle gouailleuse et de phœnix désabusé. En Adrienne Pauly se télescopent et conversent face-à-face la légèreté pétillante et les larmes séchées ; un éclat de rire cassé et un bouchon de Champagne qui file dans l’œil d’un serveur cravaté.

Pas forcément très metoo

Je pense au Simple et tendre de Trenet (« J’ai grandi en écoutant Trenet »), comme un doux cri des blessés de la vie. Kundera, lui, disait que la tendresse est «la frayeur que nous inspire l’âge adulte». Il n’est pas impossible qu’Adrienne Pauly apprécie cette phrase qui lui correspond au moins un peu. Notre conversation à la terrasse de ce café semble une promenade immobile. Pêle-mêle, elle cite Screamin’ Jay Hawkins, Elvis Presley, Marilyn Monroe, mais aussi Fréhel (« J’aimerais reprendre La Môme Catch-Catch »), et Gainsbourg (« LE génie »), sans oublier Michel Jonasz et Alain Souchon. Il y a là son panthéon, sa chambre intérieure aux photographies punaisées sur les murs de son âme. Nos admirations sont un reflet de nous-mêmes et Adrienne Pauly, contrairement à beaucoup de nos contemporains, aime admirer et n’a pas peur de le dire. C’est une noblesse. Elle n’a pas peur non plus d’être à contre-courant en adressant un hommage amical et amoureux aux hommes dans son Message à tous les mecs, à qui elle dit merci (elle ajoute du tac-au-tac : « Mais aussi, soyez gentils avec les filles ! ») : « Tout ce qui se passe actuellement à ce niveau est vachement triste. Ce qui m’intéresse, ce sont les individus. C’est grâce aux autres que je crée. La cancel-culture et tout ce truc m’embête. »

L’écriture est pour elle un petit exutoire : « Dans une chanson, on peut dire ce que l’on tait dans la vie. En trois minutes, ce sont des petites nouvelles mélodiques que l’on écrit. » La table noire où nous sommes accoudés est installée sur un trottoir où défilent les passants. Quelqu’un s’arrête, reconnait Adrienne, lui parle, avant de retourner escalader la rue de l’Odéon à l’aide de ses escarpins fatigués : « J’écris en observant les autres, en les écoutant parler. C’est comme ça que j’ai commencé. Je notais les mots des uns et des autres. J’ai d’ailleurs toujours un journal qui s’appelle Les Mots Des Autres, et dans lequel se trouvent les phrases qui m’amusent et me touchent des êtres que j’ai croisés. » La conversation s’anime et Adrienne a l’air de me dire de balancer mes questions et de laisser notre discussion suivre sa route avec liberté.

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Nous abordons tous les sujets. De Françoise Hardy (« J’ai été attristée par sa mort. C’était une romantique qui luttait contre sa lucidité ») à Jacques Dutronc (« Un sociologue de génie ») ; de John Fante qu’elle adore à Charles Bukowski. Nous avons la joie de partager une admiration commune pour Paul Léautaud, qu’elle se met à imiter merveilleusement. Adrienne Pauly se drogue aux autres. Sa came, son obsession, c’est l’humain. Elle retourne la conversation en me questionnant sur mes affaires sentimentales. Je lui découvre alors un goût indélébile pour la romance. Les siennes et celles des autres. Violentes, passionnées, ratées: peu importe. Devant moi, se dessine la personnalité singulière de celle qui est la seule à pouvoir réunir, à sa façon, Fréhel et Catherine Ringer. La vie s’accélère, se pimente auprès de ceux qui repeignent la vie de leurs couleurs. Il serait dommage de s’en priver.
Au moment où le soleil s’éteint et mon verre se fane, Adrienne Pauly traverse le boulevard Saint-Michel. Au loin, elle s’échappe dans des petites rues tièdes. Sans doute, a-t-elle croisé des passants qui auraient eu mille histoires à lui raconter. En attendant de la retrouver parmi la foule de ses concerts, je ne doute pas que la vie lui apporte encore bien d’autres chansons.

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