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Le grand hi-han républicain

S’il permet d’éloigner le RN du pouvoir, le front républicain est une farce un peu vicieuse


Le grand hi-han républicain
Jean-Marie Le Pen qualifié au second tour de l'élection présidentielle, 21 avril 2002 © CHAMUSSY/JOBARD/SIPA

Des candidats se sont désistés dans 215 circonscriptions pour faire barrage au RN, rendant le souhait de Mélenchon de voir le programme du Nouveau Front populaire appliqué gaguesque, rappelle le politologue Renaud-Philippe Garner. Pendant que le « front républicain » permet au RN de se victimiser, et de dénoncer un système qui se liguerait contre lui de manière injuste, les caisses du parti de la droite populiste se remplissent.


Le soir du 7 juillet, face aux résultats du second tour des élections législatives, nous apprenions que le « front républicain » avait très bien fonctionné. Rappelons que ce pacte électoral a pour but de battre un ennemi désigné, en l’occurrence un ennemi de la République. Lorsqu’un parti dit non républicain risque de l’emporter, tous les partis républicains doivent se désister afin de soutenir le candidat républicain le mieux placé pour l’emporter. Le cas d’école est l’élection présidentielle de 2002. Nombre d’électeurs se pincèrent le nez et votèrent pour Chirac afin de « faire barrage » à Jean-Marie Le Pen.

Êtes-vous vraiment certains que le RN ait perdu, et que Mélenchon ait gagné ?

Plus de deux décennies plus tard, nous découvrons que malgré l’efficacité incontestable et la cohérence exemplaire de cette manœuvre électorale, la République serait encore et toujours en danger. Hannibal ad portas! Sur l’autel de la République, on se sacrifia sans mesure. Dans 215 circonscriptions, des candidats se sont désistés afin de « faire barrage » au Rassemblement national. Comme le candidat cauchemardesque a été défait 173 fois sur 215, nous avons la preuve indiscutable que le front républicain est une merveille stratégique.

Les chiffres ne mentent pas et par conséquent le triomphalisme des uns et des autres est parfaitement justifié:

Il est donc inutile, voire pervers, de rappeler que le Rassemblement national est désormais le parti avec le plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale. Certes, la plus grande coalition est celle formée par le Nouveau Front populaire avec 182 députés, mais cela représente l’addition de sept étiquettes/partis. La coalition du gouvernement, composée de huit étiquettes/partis, enverra 168 députés au palais Bourbon. Piteusement, le Rassemblement national et sa seule formation alliée (Les Républicains à droite) n’enverront qu’un rachitique cheptel de 143 députés. Manifestement, ce sont les seuls chiffres qui comptent. Inutile de rappeler qu’avec 126 députés, le Rassemblement national est le parti qui dispose du plus grand nombre de députés, suivis par Renaissance avec 102 et la France Insoumise avec 74. Comme les coalitions sont toujours plus stables et durables que les partis, il faut uniquement considérer les premières et ignorer les seconds. Forcément…

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D’ailleurs, il serait d’une maladresse inouïe de souligner qu’en 2017, le Rassemblement national ne disposait que de huit députés, lui qui longtemps n’en avait pas du tout. Grâce au front républicain, le Rassemblement national endura une humiliation supplémentaire: il décupla ce chiffre et n’envoya que 89 députés à l’Assemblée nationale en 2022. Aujourd’hui, le triomphe du front républicain est sans appel: le Rassemblement national devient le premier parti de France au palais Bourbon.
Oublions les électeurs, car en démocratie représentative l’essentiel, ce sont toujours les élus. Il est mesquin de rappeler qu’au premier tour des législatives de 2022, le parti à la flamme avait récolté un peu plus de 4 200 000 voix. Cette fois-ci, il ne reste à ses dirigeants que leurs yeux pour pleurer, car le premier tour des élections législatives leur rapporte, à eux et leurs alliés, un peu plus de 10 600 000 voix. Osons dire qu’un parti qui ne parvient à rallier que 6 000 000 d’électeurs de plus en deux ans est un parti usé et en perte de vitesse. Ce revers est sans doute attribuable au front républicain.

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Évidemment, il serait hors sujet de rappeler qu’en France le financement public des partis politiques dépend à la fois des résultats du premier tour, et du nombre d’élus. Comme chaque électeur du Rassemblement national lui rapportera 1,6 euro, le parti à la flamme peut s’attendre à pas moins de 17 millions. Une fois qu’on aura ajouté la tranche versée en fonction des élus, le parti nationaliste ne pourra que crier famine… Si les caisses de la droite nationale sont bientôt vides, c’est donc aussi grâce au front républicain…

Évitons toute réflexion qualitative, car la démocratie c’est le suffrage et ce dernier est quantitatif. Conséquemment, il est extravagant de réfléchir à l’unité des coalitions politiques. Nous ne gagnons rien à noter que le Nouveau Front populaire qui nous assure être uni et fraternel n’arrive toujours pas à identifier son candidat pour Matignon un mois après la dissolution de l’Assemblée nationale. Il est vain de noter que les populistes de droite ont eux identifié leur potentiel Premier ministre sans problème. Tout cela est sans intérêt, mais même si c’était pertinent, nous pourrions remercier le front républicain qu’un tel désordre règne dans l’extrême droite.  

La surprise et l’émotion retombées, nous devons nous en tenir aux faits. Le front républicain n’a jamais aussi bien fonctionné. Cette manœuvre électorale a tant de vertus, et n’a aucun vice. Les élections législatives de 2024 ont été l’occasion d’un phénomène remarquable : le fameux barrage républicain s’est métamorphosé en dos d’âne. Le grand stratagème qui devait arrêter « l’extrême droite » s’est révélé si prodigieux qu’il parvient à gonfler ses rangs et remplir ses caisses. Hi-han, la République est sauvée.     




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Docteur en philosophie, professeur adjoint en philosophie à l'Université de la Colombie-Britannique.

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