Seul un insensé peut jouer à la roulette belge (toutes les balles dans le barillet) en croyant pouvoir gagner. Un chef d’État si peu perméable à l’assaut du réel et aux attentes de son peuple est un homme clos qui ne se fie qu’à lui-même et à ses cireurs de bottes. Emmanuel Macron est ce narcisse esseulé.
Emmanuel Macron est-il fou ? Oui, fou. « Fada », comme il dit. Depuis le 9 juin et sa dissolution rageuse de l’Assemblée nationale, annoncée cinquante-huit minutes après l’annonce de la défaite de son mouvement aux élections européennes (14,6 %), la question se pose. Elle obsède son camp traumatisé qui, dans l’instant du verdict, a vu venir le crash. Mais l’« esprit de défaite » n’habite pas ce président haut perché, enamouré de lui-même. Ce soir-là, l’homme blessé (« cela m’a fait mal », avouera-t-il) se persuade de « prendre son risque ». Il se convainc de susciter un sursaut de confiance autour de sa personne, comme il le fit en agitant la peur du Covid (« nous sommes en guerre ») et comme il aimerait tant le faire en attisant les braises d’un conflit généralisé contre la Russie. Macron pense, ce 9 juin, jouer le coup fumant qui le replacera en sauveur face au RN. Ne s’est-il pas engagé à en être le rempart ?
Ce soir-là, Macron laisse donc sa photographe, Soazig de la Moissonnière, fixer et diffuser auprès des médias les mines atterrées de ses ministres et de la présidente de l’Assemblée, réunis pour entendre son bon plaisir, avalisé en coulisses par une bande de drôles. Selon Le Monde, quelques jours plus tard, le chef de l’État aurait dit fièrement : « Je prépare ça depuis des semaines et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils vont s’en sortir. » Mais la grenade allait évidemment rouler sous son fauteuil. Il a fallu attendre le 30 juin, premier tour des législatives, pour qu’il en mesure la première déflagration avec un RN à 33,1 %, un Nouveau Front populaire à 27,9 % et une Macronie défaite à 20,8 %, ne pouvant donc survivre qu’au prix d’accords avec la coalition « diversitaire » préemptée par Jean-Luc Mélenchon.
Seul un insensé peut ainsi s’amuser à la roulette belge (toutes les balles dans le barillet) en croyant pouvoir gagner. Un chef d’État si peu perméable aux assauts des réalités et aux attentes de son peuple indigène est un homme clos qui ne se fie qu’à lui-même et à ses cireurs de bottes. Macron est ce narcisse esseulé. Dès lors, comment ne pas s’interroger sur sa démesure égotique, sa négation des obstacles, sa fascination pour la foudre, son attirance pour la transgression, sa jouissance dans le caprice, son mépris des contradicteurs, son plaisir à agiter les peurs, sa propension à se défausser sur les autres ? Comment ne pas s’alarmer de son immaturité d’enfant-roi qui, pareil au jeune Abdallah de Tintin, jette ses pétards et trépigne d’être contrarié. Bref, comment ne pas se demander si Macron tourne rond ? C’est le Figaro Magazine qui, le 14 juin, pose directement la question au roi sans divertissement : « – Que répondez-vous à ceux qui disent ça ? Êtes-vous fou, comme ils le prétendent ? – Non, pas du tout, je vous le confirme, je ne pense qu’à la France. C’était la bonne décision, dans l’intérêt du pays. Et je dis aux Français : n’ayez pas peur, allez voter. »
Mais de quoi les Français auraient-il peur, sinon des foucades d’un personnage de roman qui s’ennuie d’attendre son destin ?
À dire vrai, Macron n’est pas le seul à avoir perdu la tête. Certes, il n’a jamais voulu entendre l’exaspération des Oubliés qui ébranlent le vieux monde politique. « Je ne sens pas la colère », déclare-t-il en 2018 à la veille de la fronde antiparisienne des gilets jaunes, puis en 2023 alors que les agriculteurs ruent dans les brancards. C’est en province que la révolution du réel s’est échauffée. Cependant, ce président déphasé est aussi le produit de la crise de la politique, victime des idéologies bavardes et hors-sol. Les « élites » sont contestées pour avoir montré un même dérèglement intellectuel, incompatible avec le bon sens des Français ordinaires.
Si le pays « marche sur la tête » – slogan qui fait florès dans la France rurale depuis la dernière révolte des agriculteurs –, ce n’est pas seulement depuis le macronisme et son mépris de la piétaille. La date peut être fixée à 2005 avec le vain rejet de la Constitution européenne par référendum. Depuis lors, des docteurs Folamour, de droite ou de gauche, n’ont cessé de transformer la douce France en un laboratoire d’expérimentation d’une société ouverte aux minorités tyranniques. Ceux qui ont répété « l’immigration est une chance pour la France », en accusant de racisme leurs opposants, sont comptables de la crise civilisationnelle qui porte Jordan Bardella contre Jean-Luc Mélenchon. Le 9 juin, 93% des 35 000 communes ont mis le président du RN en tête. Seules les métropoles déracinées adhèrent au rêve d’une « nouvelle France » islamisée. Quand Mélenchon explique (Le Figaro, 21 juin) qu’« un grand brassage ne produit qu’un seul peuple », il revendique une fable que les réalités démentent, mais que Macron partage. Ces deux-là défendent un mondialisme contesté, sauf dans les grandes villes vidées des anciennes classes populaires.
Reste la question : la guerre civile, évoquée par Macron pour justifier son utilité rassurante, est-elle évitable ? Le président a réussi la « clarification » qu’il espérait en fracturant davantage la France des déracinés et celle des enracinés. Le choix d’Éric Ciotti, président LR, de s’unir avec le RN a percé le mur qui interdisait l’union des droites. Les intimidations morales des médias et autres donneurs de leçon impressionnent d’autant moins que le Nouveau Front populaire a montré son visage hideux. « On va à l’essentiel », a expliqué François Hollande pour rallier ce front de la honte, en faisant de l’antisémitisme de LFI un point de détail. Cette gauche perdue, alliée à l’islamo-gauchisme et aux antifas adeptes de la violence de rue, est prête à tout pour imposer sa vision d’une société postnationale. « Ceux qui s’appellent “Français de souche” posent un sérieux problème à la cohésion de la société », a prévenu Mélenchon le 15 juin. Cela s’appelle une menace. Or « trois Français sur quatre restent d’origine majoritairement française et de culture provinciale » (Michel Auboin). Ceux-ci ont encore de la suite dans les idées : ils n’ont pas, eux, la folle intention de s’effacer.