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Jean Cau, résistant

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (1)


Jean Cau, résistant
Le journaliste et écrivain Jean Cau, 1985 © ANDERSEN ULF/SIPA

Dans Croquis de Mémoire, Jean Cau offrait avec un style incomparable les portraits de Sartre, Mitterrand, de Gaulle, VGE, Gaston Gallimard et beaucoup d’autres…


En ces temps fuligineux, le maquis s’impose. Ici, il s’agit d’un vrai maquis, celui qui résista, les armes à la main, au nazisme qui avait alors les dents du loup enragé. On peut entendre, dans le crépuscule où flottent les parfums d’été, le cliquetis des fusils qu’on nettoie en attendant la bataille. Les chênes qui abritaient les jeunes maquisards n’ont pas grandi puisque ce sont des chênes nains.

Un livre sous les yeux : Croquis de mémoire, de Jean Cau, dans la précieuse collection « la petite vermillon » des Éditions de la Table Ronde. Jean Cau (1925-1993), comme beaucoup d’autres écrivains, est tombé dans l’oubli. Mais il vient d’avoir droit à sa biographie[1], ce qui redonne un peu de verdeur à son œuvre. Jean Cau fut longtemps le secrétaire de Jean-Paul Sartre. Il est à gauche dans le Saint-Germain-des-Prés très à gauche. Ce fils de prolétaire occitan, khâgneux, a le goût des voyages. Il devient grand reporter à L’Express, puis au Figaro et à Paris-Match. Il écrit des romans et obtient le Goncourt, en 1961, pour La pitié de Dieu. Puis il franchit le Rubicon à la fin de de la guerre d’Algérie. Il épouse la cause du général de Gaulle, c’est-à-dire celle de la France. Il voit venir le dynamitage des valeurs de l’Occident, l’effondrement de la verticalité au profit de l’horizontalité faite de mensonges, de lâchetés et d’imposture. Il devient résistant quand Satan étend son ombre.

A lire aussi, Christopher Gérard: Jean Cau, l’aristo-païen

Croquis de mémoire, donc, pour retrouver le style caustique de Jean Cau. On y croise quelques figures qui comptèrent au siècle dernier. À commencer par François Mitterrand, le Machiavel de Jarnac, éternel adversaire du général de Gaulle. « Je verrai son crâne se déplumer, note Cau, son teint blanc tourné à l’ivoire, sa taille s’épaissir, sa démarche se faire plus lente et lourde et son menton se tendre, comme pour effacer les plis du cou et respirer, au-dessus des ambitions, l’air rare du pouvoir. » Rien de commun avec Pompidou, l’homme qui transforma les rêves de grandeur en désir de posséder un réfrigérateur et une télévision. Pompidou, « génial ébéniste de soi-même », écrit encore Jean Cau. VGE ne trouve pas grâce à ses yeux, cela va sans dire. Il y avait de Gaulle. C’est tout. Cau : « Cet animal ne ressemblait à aucun autre exemplaire de sa race et tout de lui, tête, corps, allure, voix, gestes, était singulier. L’homme rit, on le sait. Or, de Gaulle, l’imaginez-vous riant ? Et, allons plus loin dans l’inimaginable, riant aux éclats ? »

De la fenêtre de son bureau, Gaston Gallimard, quatre-vingt-douze ans, regarde l’automne tomber sur le jardin. Jean Cau lui demande pourquoi il n’écrit pas ses mémoires. Réponse de l’éditeur : « Parce que je ne veux pas ruiner ma maison en disant tout ce que j’ai vu, tout ce que je sais. » Puis il « massacre » quelques-uns des écrivains qui ont rempli les coffres de la « banque centrale ». Drieu la Rochelle, qui restera au guichet durant la Collaboration, conserve l’affection du vieil homme. « Il n’a écrit aucun livre qui soit achevé mais il était généreux. Il aimait. » À propos de la gauche, Jean Cau lâche ses coups. Exemple : « Nous assistâmes, en ces temps (guerre d’Algérie et du Viet-nam, premières années du règne de De Gaulle) à la fabrication à la chaîne, sur un modèle-type qui pourrait être, en sa perfection, le journaliste Jean Daniel, du ‘’crucifié de Gauche’’ ». Quant à Sartre, il lui apprit « à résister, casqué de je ne sais quel acier, aux coups les plus durs de son influence. En somme, à jeter les roses par la fenêtre. »

Ces portraits, lus sous le noisetier planté par André, mon grand-père, sont rafraîchissants comme une menthe à l’eau. Cau mourut le 18 juin 1993. Le destin aime les signes forts.

Jean Cau, Croquis de mémoire, collection « la petite vermillon », La Table ronde.

Croquis de mémoire

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[1] Ludovic Marino et Louis Michaud, Jean Cau l’indocile, Gallimard.



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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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