Un dîner d’Édouard Philippe avec Marine Le Pen, révélé par le journal Libération, indignerait une bonne partie de la classe politique. Pourtant, on peut tout à fait combattre Marine Le Pen en public et dîner avec elle en privé!
Libération a déterré un scandale d’État: des opposants politiques dînent ensemble! Trois pages sentant bon la conspiration sur « les dîners secrets de la macronie et du RN »[1] nous étaient proposées dans l’édition du 10 juillet du journal. Depuis, ces fameux dîners d’Edouard Philippe avec Marine Le Pen ou Jordan Bardella font grand bruit. « Les diners de la honte », « Liaisons dangereuses » a-t-on pu dire en commentaires ici et là.
En réalité, les journalistes de Libé n’ont que deux noms à se mettre sous la dent: Edouard Philippe et Sébastien Lecornu. Plus l’intermédiaire, l’ « agent trouble », Thierry Solère, ex-conseiller du président de la République, remercié pour cause de mises en examen, mais toujours en cour. C’est aussi un proche de Gérald Darmanin…
Une sombre affaire
Le précité a donc reçu MM. Philippe et Lecornu, avec Marine Le Pen, ou Jordan Bardella, ou les deux, on ne sait pas bien, dans l’appartement qu’il occupe avec sa nouvelle compagne (voilà une information de haut intérêt !).
D’après nos fins limiers, qui ont déniché deux témoins, Jordan Bardella aurait été aperçu sortant de son immeuble le 12 juin à 16h30.
Les journalistes citent la minuscule rue parisienne en question, prenant le risque d’exciter des antifas débiles… Sur TF1, Edouard Philippe avoue. Il fait son autocritique, et reconnaît un dîner cordial avec Marine Le Pen. Je veux comprendre. J’aime rencontrer les gens… – On le tient, chef ! Il vient de dire que Marine Le Pen était un être humain.
Verdict de Libé: « De tels rendez-vous ne peuvent être interprétés que comme une compromission avec l’extrême droite ». Mais bien sûr!
Le bal des outragés
Nous avons évidemment eu droit ensuite à la salve habituelle de commentaires outrés dans la classe politique. La députée verte Karima Delli, tout en finesse, se demande: « Qui imagine de Gaulle dîner avec Pétain pour comprendre la France ? » Quant au délicieux Raphaël Arnault (LFI), il estime que « le pouvoir déroule le tapis rouge à l’extrême droite. À la fin, ce sera nous contre eux. Ne rien céder, sinon on est cuit ». Valérie Pécresse et Gérald Darmanin font aussi la fine bouche : on ne dine pas avec le diable.
Est-ce bien sérieux ? Heureusement, on peut combattre Marine Le Pen en public et dîner avec elle en privé. Et Edouard Philippe aurait plutôt dû dire au journal de TF1 je dine avec qui je veux et je vous enquiquine.
La politique est un théâtre. On joue à la guerre civile à la scène, mais à la ville on est collègues. Cela s’appelle la discorde civilisée: nous sommes des adversaires, pas des ennemis. Face au RN, toutefois, cette pratique ne semble pas du tout de mise; on estime que ses représentants ne sont pas dans l’humanité et donc on emploie un discours démonologique. On agite des croix et des gousses d’ail. Vade retro ! C’est la négation du consensus démocratique, qui veut qu’on accepte d’être en désaccord. Le RN représente un tiers des électeurs ? Ce sont des lépreux qu’il ne faut pas toucher, même avec une longue cuillère.
Le pire, c’est que tout le monde applaudit à cet attentat contre la vie privée. Pardon, mais la différence entre le privé et le public est pourtant sacrée: c’est le fondement des sociétés libérales. Rien ne vous oblige à vous montrer toujours tel que vous êtes, et cette comédie sociale est heureuse. L’exigence de transparence est l’habillage du voyeurisme. Demain, dénoncera-t-on un élu qui a une liaison avec un député du RN ? Aura-t-on toujours le droit de dire bonjour à un électeur RN ? Contre « l’extrême droite », tout est permis, on ne parle pas, on cogne.
Ce qui est vraiment d’extrême droite dans cette affaire, c’est ce flicage répugnant.
[1] https://www.liberation.fr/politique/chez-thierry-solere-les-diners-secrets-de-la-macronie-et-du-rn-20240709_XZA6N7NSXNHILFUMKMJ2KIF2VQ/ Le premier dîner révélé par Libération remonterait au mois de décembre et aurait réuni Edouard Philippe et Marine Le Pen, ce qu’ont reconnu et assumé l’ancien Premier ministre sur TF1 ainsi que la députée RN. Un autre aurait été organisé le 16 mars — jusqu’à 2 ou 3 heures du matin, selon nos confrères — avec Sébastien Lecornu et Marine Le Pen. Jordan Bardella aurait enfin été reçu le 12 juin dans l’après-midi, après la dissolution, croit savoir le journal NDLR
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