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Bécassine CAN not

Quand le « vivre ensemble » se transforme en « souffrir ensemble » pour les derniers habitants historiques de la Goutte d’Or


Bécassine CAN not
Vuvuzela, image d'illustration. DR.

Dans le quartier de Barbès, à Paris, la cinquième édition de la « CAN du 18 » a cassé les oreilles des riverains pendant tout le mois de juin.


De passage chez des amis dans un quartier où naguère elle vécut, Bécassine a vu du pays ; ou plutôt, des pays. Car à la Goutte d’Or, dans le 18ème arrondissement de Paris, entre Barbès, Château Rouge et la Chapelle, il y a un grand square (le Square Léon) doté de terrains de baskets transformés à cette occasion en terrains de foot. Quelle occasion ? La CAN. Prononcez « la canne » et pas celle de Jeanne. La CAN, c’est « la Coupe d’Afrique des nations ». A Paris, donc, se tient tous les ans, au mois de juin, cette fameuse coupe. Cette année, c’était du 1er au 29 du mois.

On entend plus souvent le vuvuzela que l’accordéon, à Paris

Cela ne commence pas toujours à la même heure mais cela a lieu tous les jours quasiment, entre 17 et 20 heures ou 19 et 22 heures. Cela s’annonce par le bruit répété pendant dix bonnes minutes, voire un quart d’heure, de cet instrument venu d’Afrique du Sud : la vuvuzela, dont le nom est aussi charmant que son bruit de corne de brume pour navire en détresse est éprouvant. Puis, les matchs commencent, animés par un Monsieur qui hurle d’un bout à l’autre dans son micro. Parfois, il s’arrête et c’est de la musique qui est proposée, rap ou techno. Les riverains que Bécassine a rencontrés vivent cette période avec un casque sur la tête, mais cela ne suffit pas pour ne pas entendre, et, effectivement, on se croirait à côté du Stade de France.

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Les riverains ont-ils été prévenus ? Aucunement. Leur a-t-on demandé leur avis pour subir en fin de journée un tel assourdissement ? En aucune façon. Mais existent-ils seulement, les riverains ? Quand on lit le papier consacré à cet évènement par l’audiovisuel public[1], on comprend qu’ils comptent pour des prunes. Reprenons justement l’article et voyons ce qui s’y dit : « Les habitants se préparent pour la nouvelle CAN ». Ils s’y préparent d’autant moins qu’ils n’ont été ni prévenus ni concertés. On voit mal dans ce cas comment ils pourraient s’y préparer. « L’Afrique, c’est le continent dont sont originaires la majorité des habitants, même si l’on compte également des communautés d’Europe de l’Est ou des familles n’ayant jamais quitté la France ». La phrase postule que la Goutte d’Or fut toujours ainsi composée, ce qui est faux. Lorsque Bécassine s’y était installée il y a quarante ans, c’était un quartier populaire dans le sens ancien du terme ; c’est-à-dire composé de Français ayant pu venir, comme souvent à Paris, de différentes régions de France, de personnes d’origine étrangère, françaises ou non, majoritairement d’Europe de l’Est ou du Maghreb ; d’où les magasins vendant ces jolies poteries à tajines et ces épiceries fermant tard le soir et permettant d’aller chercher le citron qui manquait. L’immigration africaine a totalement modifié le paysage, et, effectivement, on peut dire qu’aujourd’hui, la majeure partie des jeunes est issue de cette immigration-là. Quant aux  « familles n’ayant jamais quitté la France »  – c’est moi qui souligne – outre que l’expression contient un a priori dont on sent bien le caractère péjoratif : ceux qui ne bougent jamais tandis que le  migrant, lui, se déplace, elle s’avère fausse également. C’est même le contraire. La gentrification aidant, ce sont des « Français d’origine » qui voyagent le plus, car ils en ont tout bonnement les moyens. La phrase suivante pose également problème : « Guinéens, Marocains, Cap-verdiens, Sénégalais, Français, tous les enfants de la Goutte d’Or sont nés à l’hôpital Lariboisière ». Donc, ils sont nés à Paris, y vivent depuis leur naissance et, pour la plupart, ne connaissent pas leur pays d’origine. Certes, s’ils ne sont pas tous de nationalité française, certains doivent l’être ; dès lors qu’un des parents est né en France ou a la nationalité française, soit qu’ils aient pu faire valoir le droit du sol, soit, enfin, qu’ils soient amenés à le devenir à leur majorité. Le fait de les appeler « Guinéens », « Marocains » ou « Cap-verdiens, » les renvoie à leur origine et fait de celle- ci leur identité. C’est d’autant plus curieux que ce sont généralement les gens dits racistes qui font le plus souvent cela ! Par ailleurs, on peut légitimement se demander si c’est là le meilleur moyen de les faire devenir français, eux qui se plaignent si souvent de ne pas être considérés comme tels !

Pauvres gosses

C’est un des paradoxes les plus criants et qui met les enfants dans une situation schizoïde : les enraciner dans leur origine et la culture qui va avec tout en déplorant qu’ils ne soient pas acceptés comme Français à part entière. Que les choses soient claires : Bécassine, qui a des origines multiples, peut y tenir, mais ne s’y résume pas. On comprend également avec cette énumération des pays qu’il s’agit de faire valoir un multiculturalisme qui ferait se côtoyer, sur un même territoire, des communautés pratiquant chacune leur culture. Sauf que la France n’est pas qu’un territoire :elle est un pays avecune histoire et une pratique politique qui n’a rien à voir avec le multiculturalisme ; lequel rend précisément problématique le « vivre ensemble » dont l’article témoigne. Les habitants ont été relégués dans l’ombre et ne furent pas compris un instant dans le fameux « vivre ensemble » ; ce fut, aux dires des amis de Bécassine, un « souffrir ensemble » qui en tint lieu !

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Dernier point et qui n’est pas des moindres puisqu’il oppose depuis des lustres et de manière de plus en plus criante le sport et l’école, et dans le sport le foot en particulier. À ces jeunes désœuvrés comme il est dit, ne pouvait-on, au mois de juin qui est celui des révisions pour le brevet ou le baccalauréat, proposer ces révisions dans le Square Léon, avec, pourquoi pas, un match final pour conclure l’étude préalable ? C’est une proposition que Bécassine fait à l’association Nouvel Air afin que le sport ne soit pas, au nom du « vivre ensemble », ce qui déglingue la scolarité de ces enfants qu’on est censé aider…


[1] https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/barbes-football-nation-la-can-du-18-reprend-pour-une-cinquieme-edition-2976074.html




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