Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour la Fête Nationale, il a exhumé quelques trésors parfumés à l’huile solaire de sa malle de voyage: un tour d’Italie avec Giono, un été avec Claude Nori, Saint-Tropez croqué par Sempé, des vacances fatales signées Giardino et même un été fripon, donc cochon.
Les voyages m’ennuient. Aujourd’hui, ma sédentarité est perçue comme suspecte par les autorités. Mon immobilisme estival pourrait être assimilé, en ces temps de purge, à un isolationnisme, donc à une forme de sécession intérieure. Gare à celui qui ne quitte pas la France en juillet et en août ! Je n’ai pas soif d’autres paysages et d’autres cultures, d’un ailleurs fantasmé, j’ai une bibliothèque à ma disposition. Elle me suffit.
La littérature, remède au surtourisme
C’est le seul luxe des professions écrivantes, l’évasion à moindre coût, sans les aéroports climatisés et le tourisme arnaquant, les plages huileuses et les péages surchauffés. Mes guides s’appellent Giono et Sempé, cette année. Leur dépaysement est à portée de main, je tourne les pages, et je pars loin. Sans faire le plein d’essence et surtout sans me lever en pleine nuit pour atteindre un hypothétique charter, dans une plaine morne, au Nord de Paris, tel un mouton en transhumance et en maltraitance.
Ce dimanche, j’ai choisi pour tous les oubliés de l’Autoroute du soleil et les recalés des compagnies aériennes, des destinations archiconnues, de Rimini à Venise, du sable varois au Musée des Offices, du rabâché par les guides verts, bleus ou rouges, du prémâché pour des voyageurs casaniers et vraiment très peu aventuriers. Ces lieux n’intéresseront pas les baroudeurs à la Philippe de Dieuleveult, ni les blasés des pages « Tourisme » des magazines.
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Leur popularité les dessert. On pense les connaître tellement ils ont été labourés par des millions de marcheurs, souvent indifférents à leur beauté fanée. Pour saisir l’émotion derrière le banal, le friable derrière le vulgaire, il faut s’abandonner aux écrivains, dessinateurs ou photographes. Eux captent des choses qui nous dépassent. D’abord, partons en Italie, avec Giono en 1954, l’année où il entrait à l’Académie Goncourt. Il n’a guère quitté les environs de Manosque, cet employé de banque exemplaire. « Pendant plus de cinquante ans, c’est à peine si j’ai bougé » écrit-il, dès l’entame de son voyage qui le mènera à Milan, Venise, Padoue, Bologne et terminus Florence, en Renault 4CV découvrable. Giono est un voyageur ombrageux qui déteste la foule mais qui sait écrire sur les hommes de la rue. Il avoue aimer les déserts, les prisons et les couvents. On ne va pas s’ennuyer avec lui. Il fuit le divertissement et respire seulement sur les hauteurs de Briançon. Chez Giono, la langue est ample et perfide, il est rosse dans la douceur, le berger se révèle en Machiavel montagnard. Son récit vaut pour mille détails sur la vie quotidienne des Italiens, dactylos, sténos, épiciers et prêtres, je me régale de la dernière scène de ce voyage chez un coiffeur de Florence qui lui inspire un passage admirable : « Ici, on fabrique simplement les têtes coiffées du peuple. Pas de subtilités. Comme partout ailleurs, on me propose « bien dégagé derrière et rafraîchi sur les côtés ? ». J’opine. » Voilà à quoi ressemble, en quelques phrases, un grand écrivain de langue française.
Sensuelle Italie
Restons de ce côté-ci des Alpes pour se (re)plonger dans le recueil de Claude Nori, Un été italien, best-seller qui date de 2001 et dont la fraîcheur nous porte toujours vers une certaine mélancolie. Peu de livres de photos, à l’exception de ceux de Didier Ben Loulou, l’autre grand artiste de la Méditerranée, nous rendent heureux et tristes à la fois, comme un dernier baiser consenti à l’ombre d’une cabine de plage, avant de repartir. Les Italiens de Nori sont gracieux et tendres, ils sont naturels, qu’ils soient de jeunes amoureux ou de vieux qui trinquent sur une toile cirée, en bande de copains ou avec la mamma, ils s’agrègent, ils sont bien ensemble et nous avec. L’Italie de Nori a les cheveux mouillés, des filles pudiques dévoilent leur marque de bronzage, un grand-père porte son petit-fils avec délicatesse, les beaux mecs enfilent des lunettes noires et roulent en cabriolet Alfa, on rit, on se baigne, on se bécote sur les nattes publiques, les parkings sont remplis de Vespa, on élit une miss et on se perd, les yeux dans la mer, dans cet album de famille.
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Pour capturer une Italie plus vénéneuse et sensuelle, Vittorio Giardino, dessinateur et coloriste de génie, nous propose quelques histoires dramatiques dans Vacances fatales, notamment celle intitulée « Sous un faux nom » qui se déroule à Capri. Sa planche (page 34) est l’une des plus suggestives et des plus charnelles de sa production. Sans rien dévoiler de l’intimité de la personne, il nous montre, en sept cases, une brune en hautes espadrilles, nous ne voyons d’elle que son profil, plus bas, une fine cheville, puis on remonte sur son rouge à lèvre, elle allume une cigarette et nous savons qu’elle nous fera souffrir et que nous aimerons ça.
Rentrons à la maison et faisons une halte au port de Saint-Tropez, Sempé y a consacré un ouvrage en 1968, entre Monsieur Lambert et Marcellin Caillou. C’est spirituel et cruel comme ces deux hommes murs qui marchent sur une plage et l’un dit à l’autre : « J’ai essayé le christianisme… Puis le socialisme… Maintenant, je vais essayer l’érotisme… ». Si vous souhaitez faire monter la température du 14 juillet de quelques degrés, je vous conseille Été fripon (pour public averti) qui réunit plusieurs dessinateurs (Goetzinger, Cabanes, Gibrat, Ceppi, Varenne, etc…) dans des saynètes dénudées et très osées. C’est encore plus chaud que le bal des pompiers.
Voyage en Italie – Jean Giono – Folio 1143
Un été italien – Claude Nori – Marval
Vacances fatales – Giardino – Casterman
Vacances fatales: Suivi de Voyages de Rêve-Nouvelle édition
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Saint-Tropez – Sempé – Folio 706
Été fripon – Les Humanoïdes Associés
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