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Personne ne sait dire si le RN a gagné ou perdu

Les leçons d’une dissolution: le cas du Rassemblement national


Personne ne sait dire si le RN a gagné ou perdu
Jordan Bardella après l'annonce des résultats à Paris, dimanche 7 juillet 2024 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Si la théorie du plafond de verre est bidon, et si 10 millions de Français ont voté pour porter Bordella à Matignon, le barrage du « front républicain » a été beaucoup plus efficace que prévu au second tour de nos élections législatives. De nombreux candidats RN ont été battus sur le fil, avec de tout petits écarts de voix. Analyses


On ne va pas répéter une nouvelle fois la célèbre réplique du cynique Tancredi à son oncle le prince de Salina, mais il a encore une fois fallu que « tout change » pour que… peu ne change. La dissolution a accouché d’une créature de Frankenstein politique sans qu’elle n’ait pour autant bousculé les grands équilibres des élections de 2022. Les Français ont sagement posé leur barrage face à un Rassemblement national en nette progression, sans être toutefois en mesure de dominer la vie institutionnelle française.

Le RN : défaite ou victoire ?

En ayant quasiment doublé ses effectifs à l’Assemblée nationale, passant de 88 députés à 143 élus dont 17 « ciottistes », le Rassemblement national pourrait se réjouir d’être le parti politique le mieux représenté sous les ors du Palais Bourbon. Plus encore, la formation de Marine Le Pen a enregistré 8.745.081 voix auxquelles il convient d’additionner les 1.364.947 voix des candidats LR-RN. Ce sont donc 10.380.028 Français qui ont voté pour l’Union Nationale et pour porter Jordan Bardella à Matignon. Un chiffre record pour ce parti aux élections législatives, évidemment. Sur le papier, les comptes sont donc bons.

La réalité est toutefois légèrement différente. Après s’être projetés au pouvoir pendant un mois, les électeurs et les cadres du Rassemblement national doivent ressentir une certaine amertume. Les ministères se sont éloignés et les ambitions de nombreux candidats se sont fracassées sur le mur de l’implacable arithmétique électorale. Ils sont d’ailleurs nombreux, environ une quarantaine, à avoir échoué à moins de 2.000 voix du graal. Parmi lesquels, quelques candidats à quelques dizaines ou centaines de voix, dont Marie-Caroline Le Pen dans la Sarthe, ou Cédric Delapierre malheureux dans l’Hérault. Record battu avec Cyrille Grangier qui a perdu pour 35 voix dans la troisième circonscription de l’Ardèche ! Aut Caesar, aut nihil

L’inverse est cependant aussi vrai, de nombreux candidats du Rassemblement national ne devant leur salut qu’à quelques centaines d’électeurs. Citons notamment les trois élus miraculés de Dordogne, Manon Bouquin dans l’Hérault ou bien les deux « marionistes » passés en triangulaires dans la Drôme et les Bouches-du-Rhône (Thibaut Monnier et Gérault Verny). Il s’en est donc fallu de peu que ce groupe se réduise à une petite centaine de députés ou se gonfle à 180 députés. Reste une loi d’airain de la vie politique : on ne peut pas excéder ses forces.

Le premier constat à formuler est que les électeurs Le Pen du premier tour de 2024 sont les électeurs des législatives de 2022 renforcés par une part non négligeable des électeurs du deuxième tour de 2022 décoincés par ce « dépucelage ». On le constate parfaitement avec la huitième circonscription de l’Hérault qui a été perdue d’environ 400 voix en 2022 comme en 2024, mais où le candidat Delapierre du Rassemblement national a presque doublé son score au premier tour. Le Rassemblement national n’a finalement enregistré aucune progression structurelle entre 2022 et 2024 … à ceci près qu’il suscite une adhésion immense dès le premier tour. C’est l’enseignement principal du scrutin le concernant. Il a en réalité capitalisé sa progression d’entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2022. Au-delà de ce mur de 13 millions de voix, la source se tarit. Ce qui signifie donc qu’il reste 18 millions de votants inscrits sur les listes électorales qui lui sont hostiles et lui feront barrage, à droite comme à gauche. 

Parti Calimero

La méthode d’analyse d’une élection est simple. Il faut oublier les idéologies et s’en tenir à des invariables dans un raisonnement en entonnoir. On étudie en premier lieu le rapport de force potentiel entre les différents « blocs », tout en comprenant que le Rassemblement national et ses alliés forment un bloc isolé bénéficiant d’un faible report de voix, nonobstant la radicalisation de La France Insoumise qui aurait pu avec un temps de maturation supplémentaire infuser et « diaboliser » un peu plus la gauche. Comme nous l’avons vu, le potentiel maximal du Rassemblement national reste pour l’heure son second tour de la présidentielle de 2022. Ensuite, on prend ce résultat et on le rapporte à l’échelon qui nous intéresse (canton, commune, municipales) tout en le pondérant avec les résultats des élections locales précédentes.

Ce n’est qu’après avoir bien examiné ces données qu’on ajoute les éléments conjoncturels commentés dans l’actualité et les enjeux locaux : la personnalité des candidats en présence et leur implantation locale, les faits divers, les « dynamiques », les sondages ou encore les polémiques. En plus d’avoir été surévalué par les médias et les adversaires afin de rendre le front républicain plus efficace, le Rassemblement national a dû composer avec une semaine très difficile sur le plan médiatique, où des candidats plus ou moins folkloriques ont été étrillés dans la presse.

La France pourrait revoter assez vite

Si au premier tour la personnalité des candidats et les polémiques n’ont que peu d’incidence, ces faits sont bien plus importants dans des seconds tours qui se jouent ric-rac. Lors des duels, les candidats qui étaient confrontés au Rassemblement Nntional ont donc pu bénéficier de petits bonus quand leurs adversaires avaient un léger malus dans l’électorat indécis et flottant. De fait, un élu local ou militant associatif bénéficiera sur le terrain d’un petit avantage qu’un candidat parachuté avec un chapeau à plumes, quand bien même serait-il très prestigieux ou connu, n’aura pas. De la même manière, les impressions négatives – politique étrangère, mode de gouvernance, représentation sociale – peuvent s’accumuler et s’imprimer dans la sphère des Idées, ternissant l’image de candidats valeureux sans qu’ils n’y puissent quoi que ce soit.

Pourtant, malgré cette progression en demi-teinte, le parti de Marine Le Pen s’inscrit désormais plus avant dans la vie politique française, couvrant d’immenses fiefs dans le nord et sur le pourtour méditerranéen, mais aussi progressant fortement dans un ouest granitique toujours globalement rétif. Il n’a toujours pas d’alliances envisageables à l’échelle nationale, mais pourrait s’inviter discrètement dans quelques alliances aux prochaines élections municipales et poursuivre son ancrage territorial. Bref, l’avenir n’est pas sombre pour le parti de Le Pen sans qu’il soit totalement assuré. Avec 143 députés probablement répartis en deux groupes, le Rassemblement national aura une carte à jouer face à un Emmanuel Macron qui aura toutes les difficultés du monde à former une majorité crédible. La suite au prochain épisode, peut-être plus vite qu’on ne le croit.




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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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