Il existe une érudition heureuse et Dominique Noguez est son prophète. Voilà un écrivain qui nous enchante depuis longtemps par son gai savoir jamais didactique et son humour poli, discrètement désespéré, bien éloigné de ce ricanement contemporain si répandu qui cache trop souvent des crispations haineuses. Lisez, par exemple, pour vous en convaincre, La véritable origine des plus beaux aphorismes. C’est une lecture d’été idéale. On ne vous garantit pas que ce court manuel maintiendra votre serviette sur la plage mais il y a de fortes chances que vous le feuilletiez encore quand l’automne sera venu car ce livre a pour vocation de devenir ce qu’on appelait jadis un vade-mecum. Un peu plus de quatre-vingt citations sont examinées, expliquées, traquées serait-on tenté de dire, par un Noguez détective pour qui la citation est une affaire trop sérieuse pour être laissée à ces citeurs (ou citateurs) inconséquents qui veulent briller en société et multiplient les contresens ou les approximations.
Trouver l’origine exacte d’une citation n’est pas une manie universitaire, c’est, nous dit Noguez, aider le lecteur « à pousser ses investigations, à faire de quelques mots un tremplin pour plonger dans un océan inconnu et merveilleux, pour, comme on dit se cultiver-mais pas seulement : pour penser aussi, et, qui sait, pour changer sa façon de penser. »
D’autant plus, comme c’est le parti pris ici, quand la citation a la forme de l’aphorisme, c’est à dire d’une arme de précision qui flirte toujours un peu avec le paradoxe et qui utilise comme ligne de mire le deuxième degré, ce deuxième degré dont on a l’impression, par les temps qui courent, qu’il n’est plus compris de grand monde. Prenons par exemple cette phrase de Térence qui était apparue à Montaigne lui-même comme le résumé le plus parfait de la philosophie humaniste au point qu’il l’avait inscrite sur les poutres de sa célèbre bibliothèque : « Je suis homme : rien de ce qui n’est humain ne m’est étranger. » Ce n’est pourtant à l’origine, nous explique Noguez que la réplique vexée et maladroite d’un personnage de comédie à qui on a surtout demandé de se mêler de ses affaires…
Au menu, on trouvera d’ailleurs beaucoup d’Anciens, Hésiode, Plaute, Pline l’Ancien ou encore Martial dont Noguez a traduit naguère les épigrammes hautement pornographiques, mais aussi des classiques, des grands romanciers du XIXème, des esprits acérés fin de siècle comme Jules Renard ou Laurent Tailhade ou même des contemporains inattendus tel le metteur en scène Sam Karmann qui, dans La vérité ou presque, un film de 2007, fait dire à un de ses personnages « On peut s’aimer pour toujours mais pas tout le temps ». Commentaire de Noguez qui sait aller au-delà l’apparente banalité de la phrase : « Elle est remarquable, car elle mêle deux temporalités : celle des grands serments, celle de Tristan et Yseult ou de Roméo et Juliette, et celle de la petite vie quotidienne. Celle de l’absolu et du relatif. Celle du continu et des pointillés. Celle du ‘ Jusqu’à la mort’ et celle du ‘ N’oublie pas qu’on se lève demain matin.’»
Pour ma part, je suis particulièrement reconnaissant à Noguez de faire une place à Scutenaire, surréaliste belge et aimable anarchiste trop méconnu dont l’œuvre est uniquement composée d’Inscriptions où l’on trouve cet aphorisme mémorable « C’est mon opinion ; et je ne la partage pas » qui m’a toujours semblé une devise idéale pour Causeur.
La véritable origine des plus beaux aphorismes, Dominique Noguez, Payot.
On signalera également de Dominique Noguez la réédition de Comment rater complètement sa vie en onze leçons. (Rivages/Poche)
*Photo : ANDERSEN/SIPA. 00357711_000001.
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