Victime du front républicain, le Rassemblement national réunissait ses militants dans le Bois de Vincennes à Paris pour suivre les résultats, hier soir. Jordan Bardella a dénoncé l’alliance du déshonneur de ses adversaires, avant d’affirmer que « la dynamique qui porte le RN, qui l’a mis en tête du premier tour et qui lui a permis de doubler son nombre de députés sont les éléments constitutifs de la victoire de demain ».
Caramba, encore raté ! Entre les européennes et le second tour des législatives, une seule salle mais une autre ambiance[1]. La soirée n’avait pas si mal commencé. À 18h30, au moment d’arriver au pavillon Chesnaie du Roy du bois de Vincennes, les militants étaient encore combattifs. Ils sont nombreux à revenir de trois semaines de campagne intenses, et dans lesquelles ils se sont engagés la fleur au fusil. Ce responsable d’une campagne dans le Val-de-Marne se rappelle d’un « accueil poli sur les marchés » même si les annonces et coups d’éclat politiques ont « joué avec ses nerfs ».
Christophe Versini, délégué départemental des Hauts-de-Seine, commente l’actualité géopolitique et dessine la politique internationale d’un éventuel gouvernement RN. Au premier tour, aucun candidat RN n’était parvenu à se maintenir dans son département, mais il souligne tout de même la progression du parti entre 2022 et aujourd’hui, passé de 30 000 à 100 000 voix. Un triplement du nombre de députés RN semble également possible à ce moment de la soirée, alors que la rumeur des chiffres de l’IFOP n’a pas encore complètement douché l’ambiance. Un assistant parlementaire, volontiers mélancolique, confie: « Peut-être qu’on sera une centaine de plus… Quand on a tout le monde contre toi, c’est forcément compliqué. Une centaine de députés en plus, ce serait déjà incroyable. » Les premiers dépouillements arrivent. Ici chaque militant a un ami, un comparse ou un employeur candidat. Dans certains bureaux de vote, le parti ne progresse que de 1 ou 2 points entre les deux tours. « Ce sera serré », indique un proche de candidats qui suit nerveusement les dépouillements du Cher. « Lui est autour de 51% un mouchoir de poche ! » s’enflamme-t-on. « Ça va être comme ça partout, on arrête de commenter et on verra bien », s’énerve le collaborateur d’un ténor du groupe parlementaire alors que des estimations contradictoires circulent. 180 députés, puis 160… On parle de fourchettes encore plus basses. Les visages se ferment. Un ancien haut fonctionnaire et conseiller ministériel, issu de la droite et œuvrant désormais pour Marine Le Pen reste placide, mais avoue que « ce ne sera pas forcément un soir de fête. »
20 h : la claque
19h50. Les militants se massent vers l’écran. On reste sages. Pas un bruit. Pas une marque d’euphorie ou d’enthousiasme. Mais les sourires des journalistes à la télévision sont un mauvais signe. 20h : les estimations confirment la claque. Des pleurs, des déceptions, des mines déconfites. Filmés, les militants veulent tout de même faire bonne figure devant les écrans. « Nous acceptons les résultats et la démocratie, contrairement à l’extrême gauche », déclare l’une d’entre eux. Un autre, désabusé, cite Jacques Bainville : « Tout a toujours très mal marché ». Des huées pour Mélenchon et Hollande. Il y a bien quelques applaudissements qui retentissent lorsqu’on annonce la victoire pourtant attendue d’élus comme Jean-Philippe Tanguy.
À la tribune, Jordan Bardella fait bonne figure. Il salue un « résultat historique », mais, un « malheureusement » dans le discours vient concéder la défaite dont il n’hésite pas à dramatiser les conséquences, annonçant tour à tour l’instabilité, l’incertitude, l’écologie punitive, la submersion migratoire… Mais, il lâche aussi une note d’espoir pour les militants : « Tout commence ! »
Les militants justement, comment reçoivent-ils le message ? Beaucoup sont encore sonnés. « On ne s’attendait pas à une telle défaite » reconnait l’un d’eux qui parvient à se ressaisir et vitupère contre « la désinformation, la déstabilisation de l’électorat, les accords de partis… » On trouvera sans peine un mauvais joueur : « C’est la victoire de la bêtise humaine. Il n’y a plus de repères. Les gens ne sont pas responsables (…) Je pense que les Français vont le payer cher », peste un vieux militant parisien. Un peu de mauvaise foi chez ce jeune militant étudiant en droit, qui, au milieu de la morosité générale, se dit « très content (…) Il y a encore 10 ans, 10 députés et c’était la fête. 120 ou 140 c’est considérable. Ça ne fait qu’augmenter ! »
Ça ira mieux demain…
Un autre militant digère le contretemps électoral. « Nous n’étions peut-être pas complètement prêts. Il faut encore labourer le terrain. Cette campagne surprise n’a pas facilité les choses ». L’ancrage local en cours de construction le rassure : « Les députés RN adorent labourer leur territoire, ce sont des passionnés de terrain, contrairement aux LREM élus en 2017, qui ne sont jamais dans leur circonscription. Dans deux ans, il y a les municipales, à nous d’élargir le maillage territorial. Peu de sortants RN perdent. Quand on a goûté au RN, on y reste ». Un éloge de l’enracinement qui contraste avec le reproche fait au RN d’avoir déployé des candidats « fantômes » et des parachutés.
Les éléments de langage de l’état-major circulent également. Quelques cadres et élus assurent le service après-vente. Devant les journalistes, Philippe Olivier entonne l’air du « score historique » et du « nombre de députés qui augmente ». Pierre-Romain Thionnet, directeur général du RNJ, député européen et tête pensante de Jordan Bardella, veut garder le sourire : « La configuration d’une majorité plurielle va entrainer une forte colère démocratique. Ce n’est que partie remise. » On répète finalement un peu partout sur plusieurs airs que le résultat du soir n’est pas si terrible, que ce n’est pas de notre faute et que ça sera mieux demain.
Les combines d’appareil et désistements ont bien sûr joué. Le battage médiatique, sans doute aussi. Comme peut-être aussi les admonestations des sportifs milliardaires et des comédiennes du showbiz. En 1848, le peuple était révolutionnaire en février, républicain modéré en avril, brutalement répressif en juin et bonapartiste en décembre. En un mois, cette année, il est passé par toutes les émotions. Le 9 juin, il était disposé à envoyer Jordan Bardella au Parlement de Strasbourg ; il n’était probablement pas prêt à l’envoyer à Matignon.
Et puis, la campagne du Rassemblement national a-t-elle toujours été à la hauteur de l’enjeu ? Le « On est prêts » lâché par les cadres du parti le soir de l’annonce de la dissolution n’a pas dissipé justement… une certaine impréparation. Il y a d’abord eu ces cafouillages sur le programme, avec cette polémique sur la double nationalité que la direction du parti n’avait pas vu venir. Il y a aussi eu tous ces candidats gratinés ; certains au passé sulfureux et d’autres incapables d’aller défendre leur programme dans les médias régionaux. Pourquoi cette impression d’amateurisme et d’incompétence qui persiste dans une partie de l’opinion ? Pourquoi cette diabolisation qui revient et avec laquelle le parti peine à rompre ? Le député européen Alexandre Varaut invoque des circonstances particulières : « Nous avions prévu l’éventualité d’une dissolution mais personne n’avait envisagé de mener des élections législatives en trois semaines. Des candidats se sont désistés au dernier moment… » En effet. Mais, les observateurs informés des travaux de la commission nationale d’investiture savent que la compétence ou la capacité basique à discourir en public n’ont pas toujours pesé dans les délibérations. Le parti ne semble avoir achevé ni sa révolution culturelle ni sa professionnalisation. Il lui reste encore du chemin pour convaincre les Français qu’il s’est éloigné de l’extrême-droite et qu’il est en mesure d’exercer le pouvoir.
[1] Relire https://www.causeur.fr/bardella-europeennes-qg-campagnes-le-triomphe-tranquille-284682
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