Le RN est arrivé hier largement en tête, devant le Nouveau Front populaire et la majorité présidentielle. Dans les médias, on chante déjà la ritournelle agaçante des heures sombres. Et dans la majorité sortante, on est prêt à ouvrir une crise de régime en bricolant une majorité négative pour empêcher le premier parti de France de gouverner.
J’ai regardé la soirée électorale. C’était comme un voyage dans le temps, pour moi.
Choc spatio-temporel
Plus précisément, c’était le spectacle d’un décalage spatio-temporel. Pendant que Jordan Bardella affirmait qu’il respecterait les institutions et serait le Premier ministre de tous, que sur les plateaux télé défilaient des élus RN qui portent cravate à l’Assemblée nationale et ont marché contre l’antisémitisme, en face d’eux, les représentants de la gauche et de la macronie chantaient avec les journalistes la ritournelle des années 80… On a pu voir Clémentine Autain (LFI) parler de Vichy à Julien Odoul (RN), réélu dans l’Yonne, alors que ce dernier n’avait que 2 ans au moment du « point de détail ».
C’est beau comme du Molière ! Et c’est toujours la même histoire. La France souffre d’une grave maladie : l’extrême droite, vous dis-je. Comme le pays est malade, il faut donc un cordon sanitaire pour isoler les électeurs contaminés. Pour le Premier ministre, Gabriel Attal, oublié le refus des extrêmes, il l’affirme désormais : « Pas une voix au RN ».
D’innombrables variations sur le Front républicain ont suivi. Il faut empêcher le pire de se produire. Pour éviter la peste brune, certains macronistes sont même prêts à favoriser des Insoumis présentables. Voyez-vous, contre Hitler, il a bien fallu hier s’allier avec Staline…
Cette rhétorique est-elle efficace ?
Tous ces antifascistes d’opérette devraient méditer la définition de la folie selon Einstein. Croire que les mêmes causes ne produiront pas les mêmes effets…
Les électeurs se moquent avec constance des leçons de morale. Et ces leçons de morale font en réalité monter le vote RN depuis des années. Et si j’ai bien compté, 10 millions de citoyens au moins ont voté RN hier. C’est ce que voulait le président de la République : le peuple a parlé. Mais, comme malgré 15 jours de prêche, il n’a pas dit ce qu’il fallait, il faut promptement le faire taire ! Museler la démocratie pour la sauver: ce sera la ligne des grands médias qui sermonneront l’électeur toute la semaine – ils étaient déjà en mode mobilisation générale ce week-end. Les corps constitués et les artistes marcheront bien sûr en rangs serrés. Le Festival d’Avignon est entré en Résistance, hier soir. De son côté, la presse abuse d’un lyrisme à deux balles. « Faire front » (L’Humanité). « Le bloc après le choc » (Libération)…
Plus grave, hier soir, Aurore Bergé a affirmé que dimanche prochain, soit il y aura une majorité RN, soit pas de majorité pour personne. Les macronistes préfèrent la deuxième solution ! Ils sont prêts à ouvrir une crise de régime en bricolant une majorité négative pour empêcher le premier parti de France de gouverner. On aurait alors une réédition de 2005, quand les élites dominantes ont décidé que le peuple avait mal voté sur la constitution européenne, ne sachant pas ce qui était bon pour lui… Cette nouvelle manœuvre risque de nouveau de nourrir le même sentiment de dépossession démocratique.
Sauf que cette fois, le peuple pourrait déjouer le piège et adresser un grand bras d’honneur aux prêcheurs. Il arrive que le cave se rebiffe. Surtout qu’une fois de plus, les questions qu’il pose avec insistance sont disqualifiées car « nauséabondes ». Bien sûr, les thèmes de l’immigration ou de l’insécurité, il ne faudrait pas en parler, car ce sont des thèmes d’extrême droite. Comme disait Philippe Muray, le réel est reporté à une date ultérieure. Il finira par nous exploser au visage.
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Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio
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