Episode 3 : L’épouse…
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Jaloux de son aîné, qu’il détestait, « le roi sans royaume ne faisait rien sans raison, ni sans calcul ». C’est sous ces traits cruels que l’historien Matthieu Mensch décrit le comte de Provence, futur monarque de la Restauration, au seuil de l’ouvrage qu’il consacre aux Femmes de Louis XVIII – c’en est le titre. À Louis XVI, le cadet de la dynastie Bourbon enviait aussi son Autrichienne, dont il pensait que lui-même l’aurait mérité davantage : « la haine de Monsieur envers son infortunée belle-sœur avait fini par devenir de notoriété publique », au point que sur le tard, il cherchera à se dédouaner. Instrumentant la mémoire de la reine martyre, il fera même construire, en 1826, une chapelle expiatoire : « Marie-Antoinette semble correspondre parfaitement à la vision cynique de Louis XVIII, pour qui les femmes n’étaient que des outils politiques ou de simples faire-valoir ». Quel garçon sympathique…
Dans cette miche d’excellente farine donnant à déguster les liens du roi podagre au sexe faible – comme en 2024 il n’est plus d’usage de dire-, le morceau le plus croustillant porte sur son épouse, Marie-Joséphine de Savoie. Née en 1753 à Turin, troisième enfant d’un couple singulièrement fécond (la portée atteindra le chiffre envié de douze), la princesse offre l’aspect d’un laideron grassouillet, lestée dès que pubère d’un duvet brun au-dessus des lèvres, de sourcils épais et de cheveux gras qui frisottent jusque sur son front bas. Qu’importe. Le dauphin marié à une archiduchesse d’Autriche, Louis XV « n’entend pas que le parti autrichien prenne toute sa place à la Cour ». D’où la stratégie matrimoniale du grand-père. Provence, son petit-fils, est alors âgé de quinze ans. En 1771, la savoyarde fait donc le voyage depuis Turin. Et la voilà mariée. Petite, mal fagotée, vite moquée par la Cour pour ses manières provinciales, elle ne fait pas le poids face à sa séduisante belle-sœur Marie-Antoinette. D’autant qu’elle sent mauvais, ni ne se parfume, ni ne se maquille, ni ne se brosse les dents. « Pétrie de sa dignité et du rang qui est le sien », Marie-Joséphine voit sa sœur donner naissance au duc d’Angoulême, puis « L’Autrichienne » concevoir le Dauphin, tandis qu’on murmure sur sa stérilité à elle : « certains mettent en cause une homosexualité refoulée de Monsieur, son impuissance ou le dégoût de son épouse ». Ce rôle « pathétique de princesse inféconde et délaissée » la poursuit, et lui forge ce caractère odieux qui l’isole de la Cour et de ses réseaux. Elle s’entiche bientôt d’une obscure Marguerite de Gourbillon, d’extraction roturière, dont elle fait sa lectrice et peut-être sa maîtresse. Marie-Joséphine de Savoie ne parvient plus à dissimuler, sinon son saphisme, à tout le moins son ivrognerie. Qui fait jaser. Excédé, son mari met la Gourbillon à la porte. Elle n’aura de cesse de revenir par la fenêtre. Sans « comprendre toute l’étendue de ce qui se trame dans le royaume » au crépuscule de l’Ancien Régime, l’épouse de Louis XVIII, « dans une forme d’égoïsme aveugle », croit en effet pouvoir tirer profit de l’ébullition révolutionnaire, allant jusqu’à menacer de faire appel à l’Assemblée pour obtenir le retour de sa favorite. Dès l’été 1789, Artois (le futur Charles X) a pris le chemin de l’exil. Or Madame de Gourbillon favorise bientôt la fuite (réussie) de Louis XVIII et de sa femme vers la Belgique : « la lectrice usera et abusera jusqu’à la fin de ce nouveau statut [de sauveuse] pour manipuler et culpabiliser celle qui passe désormais pour sa débitrice ». Chantage affectif, caprices, tandis que commence la vie errante des époux exilés…
À Turin, Madame apprend l’exécution de Louis XVI puis de Marie-Antoinette : Monsieur s’est proclamé régent. Puis en 1795 meurt le petit Louis XVII, au Temple. Monsieur se proclame illico roi de France : reine impécunieuse, infertile et sans royaume, Madame tente encore d’imposer la présence de sa lectrice mais le tsar, avec l’aval de Louis XVIII, emprisonne la Gourbillon à Vilnius avant de l’expulser en Angleterre. De plus en plus alcoolique et valétudinaire, Marie-Joséphine va de cure en cure, finit par se poser à château de Mittau (dans l’actuelle ville lettone de Jelgava), dépressive, « les cheveux gris coupés en hérisson », le visage « long, maigre et jaune » comme l’écrit Dorothée de Courlande, en visite. En 1807, elle suit son mari en Angleterre dans sa cavale devant « l’Usurpateur » conquérant de l’Europe. Recluse, obèse, ravagée, pathétique, atteinte d’hydropisie et probablement de cirrhose, elle s’éteint un 13 novembre 1810, veillée par un mari faussement affligé. Louis XVIII lui réservera de dispendieuses obsèques, lui qui avait compris très tôt que cette épouse « serait pour lui une véritable tare » mais l’obligerait à sauvegarder « les apparences d’un couple uni dans l’adversité », car « trahir cette illusion revenait à le trahir et son orgueil ne pouvait le supporter ».
La semaine prochaine – Épisode 4 : La favorite…
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