Episode 2 : Les sœurs…
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Jaloux de son aîné, qu’il détestait, « le roi sans royaume ne faisait rien sans raison, ni sans calcul ». C’est sous ces traits cruels que l’historien Matthieu Mensch décrit le comte de Provence, futur monarque de la Restauration, au seuil de l’ouvrage qu’il consacre aux Femmes de Louis XVIII – c’en est le titre. À Louis XVI, le cadet de la dynastie Bourbon enviait aussi son Autrichienne, dont il pensait que lui-même l’aurait mérité davantage : « la haine de Monsieur envers son infortunée belle-sœur avait fini par devenir de notoriété publique », au point que sur le tard, il cherchera à se dédouaner. Instrumentant la mémoire de la reine martyre, il fera même construire, en 1826, une chapelle expiatoire : « Marie-Antoinette semble correspondre parfaitement à la vision cynique de Louis XVIII, pour qui les femmes n’étaient que des outils politiques ou de simples faire-valoir ». Quel garçon sympathique…
Que dire des sœurs de Louis XVIII, Madame Clotilde et Madame Elisabeth ? Confiées aux bons soins de la gouvernante des Enfants de France, elles ne comptent pas : l’avenir de la dynastie est assuré sans elles. Clotilde, l’aînée, sera vite surnommée « Gros-Madame » en raison de son embonpoint. Louis XV cherche à la marier mais il meurt en 1774 ; parvenu au trône, son petit-fils Louis XVI en fait une Princesse du Piémont. Convaincue que sa surcharge pondérale l’empêche d’être « grosse » comme on dit, elle tombe en dévotion tout en suivant des régimes qui, à moins de 30 ans d’âge, l’ont déjà transformée en spectre. La Révolution en fera une sainte. Désormais épouse de Charles-Emmanuel IV de Savoie, elle vend ses bijoux, s’abîme en prières et quand son mari doit abdiquer au profit de son frère Victor-Emmanuel 1er en 1798, elle devient une âme errante de Cagliari à Arezzo, tout en correspondant avec l’Europe entière, a fortiori avec son frère Provence/ Louis XVIII, également exilé. Elle mourra du typhus. Son procès en béatification est actuellement ouvert au Saint-Siège…
À neuf ans d’écart, sa petite sœur Elisabeth, douée en maths, intelligente, « parvient à bénéficier », dans le marigot de Versailles, « d’une forme d’indépendance et se constitue une société de son choix, à son image ». En 1789, la voilà contrainte de s’installer aux Tuileries, mais elle refuse de suivre dans l’exil les frères de Louis XVI, imités par tant d’autres courtisans. Ardente partisane du retour à l’ordre ancien, elle subit de plein fouet la dégradation de l’image publique de la monarchie. Louis XVIII réclame la libération de sa sœur, bientôt transférée à la Conciergerie, avant d’être décapitée, ultime calvaire, dernière de la file des 23 femmes qu’elle voit de ses propres yeux monter tour à tour à l’échafaud. Madame Clotilde ne se remettra jamais de la mort de sa jeune sœur : elle prendra l’habit votif – robe de laine bleue, coiffe blanche, et ne la quittera plus jusqu’à son dernier souffle.
À l’heure de la Restauration, « l’utilisation de la vie des princesses sert à donner des Bourbons restaurés, et plus particulièrement des femmes de la famille, une image à la fois lacrymale et plus acceptable, loin des débauches imputées à Marie-Antoinette », souligne l’auteur. Leur destin tragique scellant une construction hagiographique délibérément ourdie par Louis XVIII.
La semaine prochaine, épisode 3 – L’épouse
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