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Perles de culture

The right man in the right place...


Perles de culture
© Jacques Witt/SIPA

Une nouvelle de Jacques Aboucaya


Depuis quelque temps, le bruit courait sous le manteau. La rumeur enflait dans les milieux bien informés et dans les officines proches du pouvoir, accoutumées à tester les réactions du public avant même que ne soit prise en haut lieu la moindre décision. En l’occurrence, la question n’était pas dénuée d’importance : le néo-parti antifa (NPA) venait de rejoindre à son tour la grande coalition de la haine recuite (CHR). Ce ralliement devait, à l’évidence, être récompensé maintenant que, contre toute attente, la CHR venait d’arracher la victoire aux législatives. Ce n’était que justice et les cent-quatorze adhérents composant le NPA n’eussent pas compris que leur chef, Pierre Bizou, soit exclu de la grande recomposition annoncée par les augures.
Oui, mais voilà : Pierre Bizou était peu connu du grand public, hormis des habitués du Café du Commerce où il avait l’habitude de siroter son pastis vespéral en jouant à la belote. Qu’il ne fasse point partie du gouvernement dont la composition tardait à être dévoilée, tant les rivalités, les ambitions, les rancœurs, les espoirs et les promesses exigeaient un dosage minutieux, eût été incongru.
Alors, Bizou Premier ministre ? L’hypothèse avait été d’emblée écartée, d’un haussement d’épaule, par le grand Manitou, instigateur de ce rassemblement hétéroclite :
« Bizou ? Vous plaisantez ! Il a déjà fait ses preuves ! Souvenez-vous de ses pitoyables prestations lors d’une campagne présidentielle. Nul n’a oublié la piètre image donnée alors par son parti, l’indigence de son programme. Sans compter la pauvreté du langage contrastant avec l’aisance dialectique de son prédécesseur ».

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Plusieurs hypothèses furent ainsi successivement évoquées et aussitôt écartées. L’économie ? Incompétent, de même que les Affaires étrangères, la Justice, la Santé, l’Éducation ou les Armées. Quant aux relations avec le Parlement, cette seule perspective suscita l’hilarité générale.
Soudain, une voix s’éleva :
« Et pourquoi pas la Culture ? C’est un poste inoffensif. Examinez la liste de ceux et celles qui s’y sont succédé : inodores et sans saveur. Voilà qui résoudrait le problème ».
Blandine Roseau, rouge de colère, explosa :
« Impossible ! Inacceptable ! D’abord, ce n’est pas une femme et je ne sache pas qu’il appartienne à la communauté LGBTQ, ce qui le disqualifie d’emblée. Ensuite, j’ai moi-même brigué ce poste en proposant de le rebaptiser Ministère de la Culture woke, voire de la  Déconstruction, terme plus exact que celui de culture, ringard à souhait, et qui évoque sournoisement la tradition. J’ai même proposé ‘Ministère de la Contre-culture’. Vous avez refusé mon offre sous divers prétextes : on déconstruit mieux dans l’ombre, et autres arguments fallacieux. Je suis vexée. Plus encore, outrée ».
Elle tourna les talons, claqua la porte, en proie à cette indignation dont elle était coutumière. Sans doute courut-elle se consoler dans les bras de son mari, lui-même déconstruit, ainsi qu’elle l’avait confié, à la télévision, un jour où elle était en veine de confidences.
Vint enfin le moment où fut dévoilée, sur le perron de l’Élysée, la composition du nouveau gouvernement devant une foule de journalistes venus de tous les horizons. Peu de surprises. Un dosage minutieux entre les sexes, les tendances politiques, fussent-elles antagonistes. Qu’importe : le but était atteint, empêcher la bête immonde, pourtant plébiscitée, d’accéder au pouvoir.
« Ministre de la Culture, Monsieur Pierre Bizou. » Stupéfaction générale. Rires étouffés. Murmures réprobateurs. Le bruit courut que Bizou en personne allait donner, dans l’arrière-salle d’un bistrot voisin, une conférence de presse. Journalistes et photographes d’accourir aussitôt.
« Je suis fier, commença Bizou, de la confiance dont à la quelle vous m’avez fait preuve et que je me montrerai digne. La culture, je connais. Je suis né dedans. Elle a baigné mon enfance. Mon arrière-grand-père cultivait les topinambours pendant l’Occupation allemande. Dans leur jardin, mes parents faisaient la culture du basilic et du persil que ma mère assaisonnait les plats avec. C’est dire que ce sujet, je le connais bien. Du reste, ma première priorité sera de relancer la culture des navets dont les producteurs périclitent. »
Le lendemain, ces propos firent la une des quotidiens du matin, les uns, mal-pensants impénitents, pour se gausser de la bévue du nouveau ministre. Les autres, plus rares, pour louer son sens de l’humour et de l’à-propos. La palme revient, toutefois, au journal L’Univers, réputé pour son sérieux. Son rédacteur-en-chef crut bon, pour sauver les meubles ou noyer le poisson, de titrer : « Le programme ambitieux de Pierre Bizou : priorité au septième art ». Et, en sous-titre : « Le nouveau ministre de la culture souhaite promouvoir la production de navets ».
L’honneur était sauf. 

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Journaliste et écrivain, a enseigné les lettres classiques au lycée et l'histoire du jazz à l'université.

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