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Le Paris que vous ne reverrez plus jamais !

Le billet de Thomas Morales


Le Paris que vous ne reverrez plus jamais !
Café devant de la tour eiffel. © JULIEN DE FONTENAY/JDD/SIPA

En ce mois préolympique, les éditions Parigramme font paraître un livre de photographies prises par des anonymes entre 1950 et 1970. La collection Robé exhume les trésors d’un Paris saisi sur Kodachrome, le film majoritairement utilisé par les familles et les touristes en goguette.


Le voyageur moderne, l’esprit imbibé d’un Paris canaille, d’un Paris romantique ou d’un gai Paris risque de déchanter, dès son arrivée, à l’aérogare de Roissy. Avec ou sans JO, la capitale s’embourbe dans les travaux permanents et pratique un délit de faciès. Tout ce qui, de près ou de loin, ressemblait à un Paname fantasmé et onirique a été lessivé. La typicité de Paris a disparu sous le coup du marteau-piqueur et d’une dépendance idéologique à un même décorum. Partout, les mêmes vitrines, les mêmes enseignes, les mêmes pistes cyclables, les mêmes voitures électriques, le patrimonial commun est l’avenir du citadin qu’il habite Bangkok ou San Francisco. Il mangera, il boira, il pédalera, il pensera dans le même sens de l’Histoire, c’est-à-dire la soumission à un imaginaire aseptisé, expurgé de toute nostalgie, ravi de communier sur des cendres. Mais alors, c’était quoi Paris ? Des barrières, des cônes, des sens interdits, des voies de bus vampirisées, des rongeurs décomplexés, des réveils au buldo, des portes faméliques, des nuits sauvages, des loyers ascensionnels, des garçons de café vindicatifs ou des cuisines lyophilisées ?

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Afin que votre prochaine visite ne soit pas déceptive comme disent les technocrates des novlangues, je vous conseille de plonger dans un passé très récent, un demi-siècle tout au plus qui nous paraît millénaire tant la ville a profondément changé. Le Paris des photographes anonymes est coloré, gamin, pétroleur, rieur, désuet, donc essentiel. Il baguenaude sur les bords de la Seine, il picore la vie de jadis. Il n’instrumentalise pas. Son folklore est notre folklore. Il nous montre une communauté humaine qui semble heureuse de vivre ensemble, qui n’a pas l’aigreur en porte-étendard et la victimisation en bandoulière. Et cependant, si l’époque est économiquement vigoureuse, elle est cruelle par bien des aspects, les tickets de rationnement sont encore un vif souvenir et les guerres coloniales vont percuter la quiétude des familles. Ce Paris est poulbot et aristo, il oscille entre Prévert et Medrano, entre Luna Park et Maxim’s ; les marchandes de quatre saisons et les longues américaines garées devant les restaurants de luxe partagent un même territoire. Ces anonymes en vacances ont flashé sur les devantures des cabarets et l’uniforme des agents de Police. En ce temps-là, on prenait en photo un gardien de la paix lors de son séjour dans la capitale, on ne lui lançait pas une cannette à la figure. Dans ce recueil, on en prend plein les mirettes. Ces amateurs ont du génie. On visite la Tour Eiffel entre collègues, galurin sur la tête et cigare au bec. On met sa plus belle robe turquoise pour naviguer sur les Bateaux-Mouches. On se fait arnaquer place du Tertre dans la plus pure tradition montmartroise. On déjeune, rue Jacob, « Aux assassins » ou au « Le bœuf à table ». On s’installe aux terrasses du Fouquet’s ou du Café de la Paix. On traverse la rue de Rivoli sans se faire percuter par une mobilité douce. On peut se faire une toile sur les Champs-Élysées au Gaumont-Colisée et on peut voir la dernière Citroën dans son show-room art déco. On ne reconnaît pas la place des Vosges dans son habit de sépulcre, fenêtres et arcades tristes, dans un gris souris terriblement littéraire. On remonte la rue Mouffetard pour trinquer avec Bob Giraud et Robert Doisneau. Le parfum du monde d’avant nous réchauffe le cœur. Devant l’église Saint-Eustache, des montagnes de cagettes s’amoncellent. Il y a encore des boucheries chevalines, des triperies et des rémouleurs dans la rue. Fernand Raynaud triomphe à l’Alhambra, il sourit sur les colonnes Morris. L’ambassade américaine, avenue Gabriel, semble presque ouverte au public. Du côté de la rue de Rome, miracle, on aperçoit un bus Cityrama entièrement vitré (La Fondation du Patrimoine en restaure un actuellement). En résumé, que demande le peuple ? Des bouquinistes et des vespasiennes.

André Robé, Le Paris des photographes anonymes. Anonymous vintage slides, 1950-1970 (Parigramme, 2024), 144 pages

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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