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Le conte d’une cité

A l'épicentre de la guerre que se livrent les droites


Le conte d’une cité
Un bureau de vote, au second tour des législatives de 2022. © SYSPEO/SIPA

La montée du Rassemblement National et la fragmentation de la droite républicaine transforment discrètement mais inexorablement le paysage politique, présageant des changements significatifs aux prochaines élections locales et nationales.


Nous nous situons dans une grande ville, à l’épicentre de la guerre que se livrent les droites. Les conséquences de ce conflit se prolongeront pour les dix à quinze prochaines années. Elles participeront du résultat d’ensemble des prochaines élections nationales autant que locales. Pourtant, tout avait particulièrement bien commencé. L’élection, puis la réélection à la présidence de la République d’Emmanuel Macron semblait garantir une continuité triomphante. Malgré une poussée, chaque fois accentuée, du Rassemblement National, le résultat final ne faisait pas de doute : un bloc central – qui s’était dérobé sous les pas de Nicolas Sarkozy en 2012 – garantissait l’exercice du pouvoir.

La première alerte dans cette ville n’a pas retenu l’attention. Elle s’est manifestée en deux temps très rapprochés, au printemps 2022. La progression de Marine Le Pen à l’élection présidentielle prenait beaucoup d’épaisseur. Surtout, les neuf circonscriptions du département dont cette ville est chef-lieu offraient, un mois plus tard, un panorama où le basculement le disputait à la fragmentation. Basculement, parce que le Rassemblement National s’installait de manière prégnante dans le paysage parlementaire, hors Sénat, en imposant ses députés là où leur victoire paraissait possible (un jour lointain), mais improbable (sur le moment). Fragmentation, car la droite accolée à l’espace central majoritaire – composé par les élus de la défunte UMP ayant rejoint, d’une manière ou d’une autre, la Macronie, y compris à travers Edouard Philippe et François Bayrou – perdait de substantielles positions.

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L’air de rien, tout se préparait au changement. Or, il vient un moment où la poussée d’une minorité grossissante et organisée finit par rencontrer la placidité ou l’inaction d’une majorité rendue débonnaire par la lassitude à l’égard d’une action publique perçue comme insatisfaisante, puis comme source de frustration. « C’est d’abord rumeur légère. Un petit vent rasant la Terre. Puis doucement, vous voyez calomnie Se dresser, s’enfler, s’enfler en grandissant. » Comme dans l' »Air de la calomnie » de Rossini, prenant appui sur l’exceptionnel orfèvre que fut Beaumarchais, le cheminement s’est fait à bas bruit mais de manière affirmée. Et voilà que tout à coup – Beaumarchais et Rossini en ont exprimé le texte et les notes avec génie – l’orage « éclate et tonne » en juin 2022, et les députés font mosaïque, à la (fausse) surprise légèrement ironique des citoyens-électeurs, partagés entre la bonhomie du laisser-faire, et la joie personnelle autant de fois dupliquée qu’il existe de votants décidés à participer au mouvement d’ensemble. « Mais enfin rien ne l’arrête, C’est la foudre, la tempête, Mais enfin rien ne l’arrête C’est la foudre, la tempête ». L’ancienne circonscription du maire tombe dans l’escarcelle de LR, dont le futur patron national est réélu dans la sienne, malgré les efforts déployés pour le battre.

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Le Chef de l’État mettant en œuvre l’expression de sa lassitude devant les rétifs de tout ordre, la séquence électorale législative devient périlleuse pour l’exécutif municipal, comme pour le pouvoir central. La transition osée, gaillarde et brusque – une révolution au sein du Gaullisme, en réalité – du rival déclaré et définitif du maire sous forme d’alliance avec le RN impose son application brute dans les circonscriptions de la ville. Nous saurons dans moins de trois semaines si cette transition politique prend corps. Si c’est le cas, l’agrégat Gaullisme-nationalisme aura réussi plusieurs tours de force : s’implanter localement pour constituer une majorité nationale de gouvernement, après un succès net aux élections européennes ; se débarrasser des oripeaux de l’extrémisme (tout en gardant un parfum de radicalité) pour entrer dans une nouvelle normalité majoritaire que beaucoup rejoindront par tacite ou expresse adhésion ; s’en aller quérir une victoire à l’élection présidentielle suivante, rompant la tradition des cohabitations fatales.

Dans cette ville, sachant que le poids des métropoles est lourd de conséquences pour le scrutin majeur désignant le Chef de l’État, il n’est plus impossible que la mairie change de main dans moins de deux ans. Un éventuel grand Chelem sur les trois circonscriptions qui la structurent marquerait le prélude de la suite qui se prépare, non plus dans le cheminement lent évoqué dans le début de l' »Air de la calomnie », mais dans le coup de canon final.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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