Nicole Esterolle déniche des pépites de l’art contemporain. De quoi faire trembler les maîtres anciens… Aujourd’hui, le « Cowboy » de Thomas Teurlai.
C’est quoi ce terrifiant bidule ?
C’est une œuvre de très belle facture dont j’ai découvert l’existence dans le dossier de presse d’une exposition de l’artiste Thomas Teurlai au SHED, Centre d’Art Contemporain de Normandie (haut-lieu du posturo-bidulo-conceptualisme-artistique hexagonal).
On pense de prime abord qu’il s’agit d’un ustensile ménager du genre aspirateur – ou un balai, puisqu’on aperçoit comme des balayures de plancher à l’extrémité du bras métallique. Mais cette œuvre reste ouverte à toutes les supputations possibles.
S’agit-il d’un éplucheur de topinambours ou du fameux canon à patates de Boris Vian ? D’une pompe pour Shadocks ? D’une machine à se branler la glande pinéale ? D’une mitrailleuse à ketchup comme aimeraient en posséder Vladimir Poutine et Jean-Luc Mélenchon ? S’agit-il du robot-tueur de punaises de lit de Mathilde Panot ? Ou bien s’agit-il seulement d’un machin quelconque, totalement crétin et décérébré, sans aucune mauvaise pensée et dépourvu de toute idéologie nauséabonde ?
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Je penchais pour la dernière hypothèse du truc résolument insignifiant, malgré son aspect menaçant, jusqu’à ce que j’apprenne, dans un article d’Élisabeth Franck-Dumas dans Libération (20/09/2015), que l’œuvre est intitulée « Cowboy », qu’elle a été exposée à la financial- galerie internationale Loevenbruck et qu’elle est « une sorte d’usine à gaz, ou plutôt à fumée, elle aussi très low-tech, où un monticule de tabac, un coulissant de métal et une bouteille en plastique s’activent pour reproduire l’inhalation/exhalaison du fumeur. On ne sait si la machine prend aussi en charge le plaisir ».
Mon Dieu, mon Dieu ! Ainsi donc cet engin n’aurait d’autre but que de produire des bouffées de fumée nicotinée ! J’en suis tout obturé des bronchioles.
« Pour sortir d’une servitude née du culte de la croissance »
Et, pour prolonger ma suffocation, je découvre ce texte publié dans la revue de l’Association française des commissaires d’exposition, signé par la critique et vice-présidente de ladite association, Marianne Derrien (15/05/2022). Sa prose nous révèle la dimension puissamment métaphorique de cet objet à pistons et la pertinence de son message anticapitaliste : « Dans un monde divisé entre le capital et le travail, il faut appuyer là où cela fait mal pour sortir d’une servitude née du productivisme et du culte de la croissance. Depuis la machine à vapeur, l’humain, devenu outil, est un chaînon parmi les autres. La théoricienne et militante féministe marxiste Silvia Federici [vous connaissez ?] estime, quant à elle, que la première machine « développée par le capitalisme » fut « le corps humain, et non la machine à vapeur ni même l’horloge ». Celui-ci, converti en force de travail, impliquerait la mort du corps magique. Si le taylorisme a vu naître l’automatisation des corps – et donc des désirs, Thomas Teurlai pousse le curseur bien plus loin : non pas dans l’absurde mais dans une clairvoyance qui retourne le concept de l’homme-machine afin d’en extraire ce « corps paysan, préindustriel, magique » » … Mais oui ! Mais c’est bien sûr ! Comment n’y avais-je pas pensé ?
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Et Marianne de nous envoyer cette autre bouffée nicotinisée d’anticapitalisme délirant : « Aux confins de visions anthropomorphiques, ces machines temporelles, par leurs interventions, tissent une multitude de récits qui se stratifient. En elles s’établissent des circuits qui permettent de tester des situations psycho-cinétiques, souvent enivrantes, qui s’adonnent à des épilepsies mécaniques et lumineuses dont le magnétisme machinique, tant joyeux que sombre, s’allie aux ondes et aux fréquences, aux énergies conductrices et aux rythmes organiques ». Agreuh ! Agreuh ! Passez-moi ma Ventoline !
Et c’est ainsi que par le truchement d’une machine à pomper du rien, l’« art anticapitaliste » devient l’idiot utile du grand capital.
L’exposition de Thomas Teurlai, « Une autre fin du monde est possible », est à voir, ou pas, au SHED, jusqu’au 14 juillet.
SHED – site Gresland, 12 rue de l’abbaye, Notre-Dame de Bondeville
le-shed.com
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