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Néoféminisme: les «allumeuses» au bucher !

Christine Van Geen publie « Allumeuse: Genèse d'un mythe » (Seuil, 2024)


Néoféminisme: les «allumeuses» au bucher !
Marilyn Monroe, 1957. © SIPA

Dans un bouquin, Christine Van Geen entend « déconstruire » le stéréotype de l’allumeuse, « figure culturelle et littéraire de la misogynie ». Original…


Femmes, la lutte que nous menons de toute éternité contre le patriarcat connaît depuis #MeToo des avancées fulgurantes ; nous voici sur le point de tordre le cou à la bête immonde. Nos intellectuelles, femmes puissantes s’il en est, entrent enfin dans la danse aux côtés des artistes ; leur ambition : débusquer le porc de toute soie, où qu’il fouisse. 

Un terme bâillon apparu en 1850

En 2023, on avait salué le brillant essai de l’universitaire Jennifer Tamas intitulé Au non des femmes, cet ouvrage de qualité invitait à poser sur nos textes classiques un œil neuf et libéré de siècles d’interprétation patriarcale pour y déceler la discrète révolte des héroïnes du Grand Siècle contre la mâle sujétion. Dans Allumeuse, opus éclairant, Christine Van Geen, normalienne, docteur et agrégée de philosophie « déconstruit » maintenant le stéréotype de l’allumeuse : « figure culturelle, littéraire et mythologique structurante de la misogynie ».

Quand un viril prédateur traite une femme d’allumeuse, explique-t-elle, cela sonne d’une manière légère et en apparence exempte de la violence que recèlent les épithètes « pute » ou « salope ». Pourtant celles que l’intempérant frustré qualifie ainsi sans qu’on ne s’en émeuve seraient souvent victimes de « violences sexistes », les allumés prétendant qu’elles auraient délibérément aguiché pour mieux se refuser. « Allumeuse » serait, d’après notre lumineuse philosophe, « un terme bâillon » employé par les hommes et qui sous-entend : « tu l’as bien cherché et tu ne peux pas dire le contraire. » Il n’y aurait donc pas d’allumeuse sans une frustration couplée à une lâcheté masculines. Forte de cette découverte (Majeure pour la cause féminine, on en convient), notre femme-lumière se propose d’installer enfin l’électricité dans la caverne de ses sœurs pour attiser la flamme de leur résistance contre l’oppression patriarcale ; son but : éveiller la gent féminine à l’asymétrie qui existe en matière de consentement entre elle et les mâles. Soit.

Notre femme savante commence et ça n’est pas pour le coup inintéressant, par exposer l’origine du terme allumeuse : « Le mot est apparu vers 1850, notamment dans l’argot des policiers, qui appellent « allumeuse » une prostituée qui ne devait apparaître dans les rues qu’au moment de l’allumage des réverbères. » L’allumeuse, d’abord fille des rues, devient dans le langage cru de la fin d’un XIXe siècle misogyne celle qui attise le désir sans le contenter. On trouve la première occurrence de ce terme sous la plume de Joris-Karl Huysmans, dans son roman, Là-Bas. Le héros se dérobe au moment d’étreindre la femme mariée qu’il avait séduite, terrorisé par l’appétit charnel de la dame : « Se rend-elle compte combien les soubresauts charnels sont grotesques. Ou bien est-elle, ce que je crois, une mélancolique et terrible allumeuse qui ne songe qu’à elle (…) » Las ! Après cet intéressant préambule, Christine Van Geen surfe ensuite sur l’air corrompu du temps et enivre ses lecteurs des vapeurs délétères de l’idéologie néo-féministe, formatant ainsi leur pensée. Notre Bélise plaque tout d’abord sa doctrine sur la mythologie, la littérature et les arts puis élargit sa démonstration au rap et à la représentation des femmes dans notre culture actuelle. 

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Embarquons : au commencement est Ève : première tentatrice face au premier couard, certainement émasculé : « La Genèse n’est pas le récit de la première tentatrice. C’est l’histoire du premier lâche. » Suivent Salomé, Cassandre, Galatée, la Lorelei ou les Sirènes d’Ulysse. Puis, on écornifle au passage ces salauds de bourgeois occidentaux décadents qui fantasment depuis le XIXe siècle sur un Orient dévolu au seul assouvissement des désirs dominants et dépravés de la race colonisatrice. « L’Orient vu par les Occidentaux est le lieu par excellence de la projection des fantasmes sur un « autre » imaginaire. Les bourgeois occidentaux se prennent de passion pour les images de caravanes de chameaux, d’odalisques voluptueuses en leurs harems (…) Cet Orient fantasmatique n’a rien de réel. Il est le miroir de désirs de domination violente et de sensualité débridée (…) Il construit le regard du colon, fasciné par cet objet à la fois inférieur et infiniment désirable. » 

Des pistes pour se soustraire à l’emprise

La philosophe s’appuie ensuite, sans surprise, sur une figure plus contemporaine, Marilyn Monroe, afin de décrire le malheur des femmes contraintes à sur-jouer leur féminité pour tirer leur épingle du jeu dans un monde fait pour les hommes. Entrer ainsi dans le jeu masculin ne sert qu’à diviser les femmes entre elles et par là même à les inféoder davantage à la mâle férule : « Les femmes sont perdantes sur tous les tableaux lorsqu’elles croient à la fable de leur pouvoir censément « magique » de séduction : elles perdent l’accès aux moyens de production en voulant être perçues comme féminines et désirables (…) « Le marché à la bonne meuf », comme l’appelle Virginie Despentes dans King Kong Théorie, est bien le seul champ qu’on laisse à l’exercice d’un pouvoir féminin, si on définit cette « féminité » comme une capacité magique d’allumer le désir. Dans ce marché, seule les belles et les jeunes sont en lice. Les autres, les « moches », les « mal baisées », les « imbaisables », sont déféminisées parce que non conformes aux canons de la beauté en vigueur. » On est d’accord, c’est dégueulasse tout comme la réussite à l’École Normale Supérieure et à l’agrégation de notre penseuse (panseuse), concours qui exclut, à ce qu’on en sait, les atrophié.e.s. du bulbe.

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Comment échapper alors au redoutable piège tendu ? Il difficile de dire aux femmes soumises à l’injonction de plaire depuis toujours pour survivre : « Écoutez-vous et cessez de plaire » concède Christine Van Geen. Néanmoins, elle n’est pas sans proposer des pistes pour se soustraire à l’emprise masculine. Aussi, mesdames, sachez que : « Une femme qui cesse volontairement de séduire sort du domaine des jugements (…) Elle vole un corps, le sien au patriarcat » ; adoptez la « moche attitude ». Autre façon de procéder : performer l’archétype proposé ; « forcer le trait », jouer avec dans le « drag », « hommes, femmes, homos, hétéros, trans, faisant exploser les codes de la séduction. » Mes ami.e.s,  à vos plateformes ; que la fête du slip commence ! Et surtout, que les femmes reprennent au langage ce qu’il a fait au féminin parce que : « La langue est raptée, comme l’est leur désir. Se réapproprier les corps, c’est aussi réinvestir les mots. Utiliser le féminin pour les noms d’activité et de métiers, comme on impose son corps, sans chercher, à plaire ». Un seul credo, donc : « Déplaisez-vous les uns les autres. » 

De la menace que constituent les nouveaux « allumés » (de tout poil, si j’ose dire) issus d’autres racines que les détestables racines judéo-chrétiennes, qu’on se rassure, il ne sera jamais question dans cet essai. Entre érudition assenée et injonctions servies par une écriture sans grâce, on tient là un texte qui marquera, on n’en doute pas une seconde, l’histoire du féminisme. 

Rien de bien novateur dans cet écrit, donc. Il sert scolairement l’idéologie néo- féministe mâtinée de wokisme en vogue. En réac, on s’accorde à penser avec Flaubert (Lettre à Louise Colet du 11 septembre 1846) que décidément : « Le Philosophe est d’ordinaire une espèce d’être bâtard entre le Savant et le Poète et qui porte envie à l’un et à l’autre. La métaphysique vous met beaucoup d’âcreté dans le sang. »

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est professeur de Lettres modernes

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