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Eric Ciotti coupe le cordon sanitaire: la droite sens dessus dessous

Mise à jour: au JT de France 2 à 20 heures, Jordan Bardella a confirmé que «plusieurs dizaines de députés LR sortants» ou «investis» seront bien soutenus par son mouvement


Eric Ciotti coupe le cordon sanitaire: la droite sens dessus dessous
Sur TF1 au journal de 13 heures, le chef de LR Eric Ciotti annonce que son parti doit conclure une alliance avec le RN de Marine Le Pen et Jordan Bardella, 11 juin 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Eric Ciotti a proposé une alliance de LR avec le RN ce midi à la télévision. Si nombre de ténors du parti appellent à sa démission, le député et président des Républicains assure que les militants le soutiennent dans cette démarche.


Autant l’avouer, nous y avons cru. Ce matin, quand plusieurs sources « bien informées » nous ont assuré qu’Eric Ciotti allait, lors d’une interview prévue à 13 heures sur TF1, « mettre fin au cordon sanitaire » entre son mouvement et Marine Le Pen, nous avons imaginé qu’une coalition inédite, pour ne pas dire historique, allait voir le jour entre les deux principales formations conservatrices françaises.

Il faut dire qu’au siège de LR, on nous donnait déjà des détails très tangibles sur l’accord qui se profilait. On nous indiquait notamment que le RN s’engageait à ne pas présenter de candidats face au parti gaulliste dans pas moins de 120 circonscriptions. Il faut dire aussi que Jordan Bardella avait, de son côté, fait savoir la veille qu’il avait engagé des pourparlers constructifs avec divers leaders de droite. On allait donc voir ce qu’on allait voir. Et on a vu… pour l’heure pas grand chose !

Sur TF1, Eric Ciotti a certes annoncé son soutien au parti à la flamme, suivi en cela assez vite par le président des jeunes LR, Guilhem Carayon, puis par la députée européenne Céline Imart et la députée des Alpes maritimes Christelle d’Intorni. Mais on a surtout constaté que tous les chapeaux à plume du parti, eux, refusent de leur emboîter le pas.

La liste est longue. On la limitera aux principaux dirigeants. Cet après-midi, Gérard Larcher a appelé Ciotti à « se démettre de son mandat de président des Républicains », Bruno Retailleau a déclaré que « les Républicains ne feront jamais d’alliance avec le RN », François-Xavier Bellamy a fustigé « un choix inutile pour le pays », Laurent Wauquiez a parlé de « saut dans l’inconnu du RN », Valérie Pécresse a demandé aux Républicains de « dénoncer immédiatement l’accord proposé par Ciotti avec le RN », Olivier Marleix a jugé qu’« Eric Ciotti n’engage que lui », François Barnier a regretté que Ciotti ait perdu sa « légitimité ». Etc.

Quant à Jean-François Copé et Xavier Bertrand, ils avaient fait savoir avant même la sortie de Ciotti leur refus de tout accord avec le RN. « Le FN, jamais. Ni aujourd’hui, ni demain, ni après-demain », a ainsi lancé le premier ce matin sur France Info. « Le RN est contraire à toutes les valeurs que nous défendons » avait déclaré le second la veille sur BFMTV.

C’est donc assez seul que le président des LR a franchi le Rubicon. Enfin, pas si seul. Car Ciotti affirme que la majorité des militants de son parti, qui d’ailleurs l’ont élu à leur tête dès le premier tour en 2022, sont derrière lui. « Il y a un immense écart entre ce qu’on entend à Paris et les discussions d’états-majors assez déconnectés de la réalité, et la base », a-t-il expliqué en sortant des locaux de TF1 cet après-midi.

La politique, en démocratie, est aussi une question d’alliance. Alors que le paysage politique explose, LR n’est pas dans la meilleure des postures : pas d’incarnation évidente, peu de fiefs, et cette très embarrassante étiquette UMPS… La question des alliances est d’autant plus importante que le parti a du mal à se démarquer de son image de parti gestionnaire de la mondialisation destructrice. Sans doute même a-t-il perdu sa crédibilité en matière de sécurité et d’immigration.

Pas étonnant donc qu’Eric Ciotti ait vu dans la dissolution une excellente occasion pour enfin desserrer l’étau qui contraint son mouvement à être un parti jumeau de Renaissance. Celui qui a longtemps rendu un tel scénario impossible s’appelle Jean-Marie Le Pen, qui portait certains stigmates du fascisme (racisme, antisémitisme, culte du chef, révisionnisme historique…). Le refus de toute alliance avec lui était légitime et témoignait d’une vision saine du champ républicain. Mais Jean-Marie Le Pen est à la retraite depuis des années…

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Qu’en est-il aujourd’hui du RN ? Force est de constater qu’il a beaucoup évolué et qu’il correspond plutôt aujourd’hui à un parti conservateur. Il incarne une droite bonapartiste et s’est beaucoup recentré. Il a fait le chemin inverse de la NUPES qui, elle, a sombré dans une dérive qui coche toutes les cases du fascisme : antisémitisme, appel à la violence politique et à la sédition, déshumanisation de l’adversaire, soutien des tortionnaires du Hamas, falsification historique…

A ce titre l’ostracisation devient d’autant compliquée que les électeurs, eux, ne partagent plus les préventions de leurs dirigeants. Faute de trouver des réponses auprès de LR, ils se sont mis à voter RN. Le vote RN n’est donc pas un vote révolutionnaire qui ambitionnerait de mettre le pays cul par-dessus tête pour changer la vie. Les Français veulent que l’on sauve leur modèle social, leur mode de vie, leurs mœurs et culture, ils cherchent à être protégés. Or leurs demandes ont été moquées et qualifiées d’extrême-droite quand, eux, pensaient n’exiger que le minimum.

Si les Français se tournent vers le RN, c’est qu’ils ont non seulement le sentiment que les élites les ont trahis, mais qu’elles instrumentalisent le RN pour ne jamais rendre compte et échapper à ses responsabilités. Et ils commencent à en avoir marre. D’autant plus marre que la rhétorique des ventres féconds, des bêtes immondes et des heures sombres, pour avoir été mise à toutes les sauces est vue comme une manœuvre dilatoire qui ne correspond pas à la réalité.

La décision d’Eric Ciotti provoque des remous dans le landerneau politique, mais il n’est pas sûr qu’elle choque autant l’électeur de base de LR. Il est même quasi certain qu’elle va dans son sens. En revanche elle pose à l’évidence plus de problèmes aux dirigeants. Aucun d’entre eux pourtant ne croit sérieusement que le RN est un parti fasciste. Mais tous ont peur de payer le prix du changement de doctrine par la perte de leur fief ou de leur place dans les dîners en ville.

Tous ces caciques se demandent si le seuil d’acceptabilité est atteint ou s’ils devront subir une reductio ad hitlerum dont ils ne se remettraient pas. Ils craignent aussi la puissance de la gauche culturelle et pensent que pour sauver ses postes et son avenir elle va pilonner massivement sur le thème du “ils préfèrent Hitler à Blum”, histoire de rentabiliser la référence au Front populaire. Ce qui est d’autant plus cocasse que les derniers à s’être comportés comme Hitler sont les combattants du Hamas, ceux-là mêmes que certains, chez LFI, qualifient de “résistants”.

Le problème, c’est que si LR reste dans l’entre-deux, il va être vite dépecé d’un côté par Renaissance, de l’autre par le RN, car on ne voit pas trop quel chemin il pourrait incarner. Sans image, sans leader charismatique, sans doctrine et sans politique d’annonce, LR devient le supplétif des victoires qui seront gagnées par d’autres généraux. En choisissant une politique d’alliance avec le RN , Eric Ciotti a ouvert le jeu, mais il est difficile de faire ce type de choix, quand on est un leader par défaut, chargé d’expédier les affaires courantes.

Aujourd’hui RN et Renaissance doivent faire chauffer le téléphone pour récupérer leur part. Et les caciques LR vont rester dans leur fief pour jauger la réaction des Français. Au terme de tout ce bazar, le pays devrait se retrouver encore plus abimé. Une partie des gens qui souffrent, qui se sentent abandonnés, trahis et qui ont des raisons objectives de le penser, vont se faire insulter à longueur d’antenne par des petits bourgeois et fils à papa nantis qui vont leur faire la leçon et leur expliquer qu’ils sont les soutiers d’un nouvel Hitler en jupon.

Une autre partie de la population, pas dupe, va subir un feu roulant de culpabilisation pour la contraindre à faire barrage. Quant aux révolutionnaires de bac à sable, relais du Hamas, ils vont pouvoir traiter de nazis tout ce qui est à la droite de LFI, ce qui promet d’alimenter les tensions politiques. Au terme de ce jeu de dupes, la France sera un peu plus fracturée et on peut, sans trop prendre de risque, penser que personne n’aura montré assez de courage pour incarner un espoir.

Si on ne peut refuser la politique d’alliance en renvoyant le RN au fascisme, la question de sa capacité à diriger le pays reste quant à elle ouverte, mais ce n’est pas ce point-là qui est mis en avant dans le refus de nombre de dirigeants de la droite mais plutôt la question du cordon sanitaire. Finalement hurler au fascisme a un avantage qui fonctionne pour tout le monde : cela exonère à la fois de réfléchir et de travailler. Le problème c’est qu’à un moment, la martingale ne fonctionne plus. Nous y sommes peut-être arrivé.


La déception de Marion Maréchal
Dans un communiqué diffusé cet après-midi, Marion Maréchal a rappelé l’espoir suscité, au sein de la droite nationale, par les résultats des élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le président Macron. Avant de faire part… de son désarroi. 
Pour rappel, dimanche, la liste du RN a obtenu 31.4% des suffrages, et Reconquête 5,5%. 
Depuis deux jours, Marion Maréchal s’efforçait de contribuer à la formation d’une grande coalition des droites et des patriotes pour « défaire le macronisme » et affronter « la menace de la gauche et de l’extrême gauche », nous explique-t-elle. Dans ce cadre, elle a rencontré Marine Le Pen et Jordan Bardella hier, puis Nicolas Dupont-Aignan aujourd’hui. Mais, la nouvelle élue au parlement européen de Strasbourg voit donc ses espoirs douchés. Marion Maréchal explique que RN et Reconquête étaient pourtant sur le point de finaliser un accord, lequel prévoyait la représentation des 1,4 million d’électeurs de Reconquête aux élections européennes dans une coalition législative. Cependant, Jordan Bardella l’a informée d’un changement de position et du refus du RN du principe même d’un accord. Le principal argument avancé pour ce refus serait que le RN ne souhaite aucune association directe ou indirecte avec Éric Zemmour. C’est une « grande déception pour la France », regrette Marion Maréchal. Elle qualifie dans son communiqué cette décision de « soudaine et contradictoire avec [les] nombreux échanges et travaux préparatoires », affirmant qu’elle n’est « pas à la hauteur des événements et de l’espoir suscité parmi les Français. » Une foule de journalistes étaient présents devant le siège du RN, hier soir à 17 heures, où Marion Maréchal était attendue pour une réunion avec les vainqueurs du scrutin de dimanche, laquelle avait été ébruitée par Le Figaro. Madame Maréchal exprime ce mardi après-midi sa grande déception, et espère que ce refus de former une véritable coalition n’aboutira pas à une nouvelle victoire du président Macron ou, pire encore selon elle… à la victoire de la coalition de gauche, baptisée nouveau « Front Populaire » depuis 48 heures. « Les adhérents, les militants, les cadres et les électeurs de Reconquête peuvent compter sur moi pour continuer à défendre nos idées et porter nos combats. Dès demain, je m’y emploierai au Parlement européen aux côtés de nos alliés conservateurs » conclue-t-elle, signant sa déclaration en tant que Députée française au Parlement européen. Eric Zemmour, le président de Reconquête, que la presse soupçonne d’entretenir de mauvais rapports avec Mme Maréchal, devait s’exprimer de son côté sur CNews à 19 heures • MP



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