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Lale Gül, libre, vraiment?

Son premier livre avait défrayé la chronique aux Pays-bas. Depuis, la jeune femme se sent menacée


Lale Gül, libre, vraiment?
Lale Gül à Middelburg, lors de la cérémonie des Four Freedoms Awards, le 21/04/2022 © Patrick van Katwijk/MPE/SIPA

Aux Pays-Bas, la jeune essayiste Lale Gül (une sorte de Zineb El Rhazoui locale) raconte dans son nouveau livre comment elle a fui sa famille et son quartier islamisés. Elle assure actuellement la promotion à haut risque de son ouvrage.


L’essayiste turco-néerlandaise Lale Gül accepte d’assurer elle-même la promotion de son second livre, mais elle pose ses conditions, synonymes de mesures de sécurité drastiques. Merci donc aux journalistes de ne pas divulguer où elle habite; une « ville de province » suffira dans les articles. C’est qu’après des torrents de menaces, la jeune femme de 26 ans a jugé plus prudent de quitter sa ville natale, Amsterdam. 

Je vais vivre de Lale Gül, son premier livre © Fayard

Coiffée d’une casquette cachant son visage, portant des lunettes noires, elle décline aussi l’invitation d’une journaliste du journal Het Parool à s’attabler sur une terrasse ensoleillée, qu’elle juge trop exposée à ceux qui lui voudraient du mal. Tant pis pour ses fans, bien plus nombreux, qui réclament des selfies quand ils la reconnaissent. Elle préfère s’installer à l’intérieur de l’établissement pour répondre aux questions. « C’est bon, il n’y a que des gens blancs », constate, rassurée, celle qui demeure hantée par le sort du cinéaste Theo van Gogh, assassiné en 2004 par un islamiste.

La trajectoire très compliquée d’une apostate de l’islam

Depuis 2021, année de parution de son premier livre, Ik ga Leven (Je vais Vivre, Fayard, 20221), l’écrivaine ne se sent plus en sécurité. À raison, puisqu’elle y racontait déjà sa lutte acharnée et non sans sacrifices contre l’islam rigoriste que lui a imposé sa famille jusqu’à ses 17 ans. La libération a un prix : en rejetant le voile et en abjurant cette religion, la jeune femme a rencontré de nombreux obstacles, qu’elle expose dans son deuxième livre Ik ben Vrij (Je suis Libre), sorti à la mi-mai. Elle y parle également de sa dépression, et de son surpoids causé par une consommation exagérée d’alcool cumulée aux effets néfastes que provoquent sur le long terme les plateformes de streaming comme Netflix sur sa psychologie… Du reste, elle raconte qu’elle ne s’aventure plus dehors qu’après d’innombrables précautions, comme celle de vérifier l’identité des chauffeurs de taxi dont elle est dépendante depuis qu’elle n’ose plus utiliser ni les transports publics ni le vélo à cause de rencontres éprouvantes expérimentées contre son gré avec des jeunes « issus de l’immigration », comme elle. N’ayant pas de permis de conduire, la malheureuse se plaint de devoir dépenser une fortune pour ce moyen de locomotion, utilisé seulement après avoir systématiquement tenté de vérifier en ligne si le chauffeur était turc ou arabe. Quand c’est le cas, ce qui est chose commune dans les villes néerlandaises, pas question de faire appel à lui !

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Je suis libre continue là où s’était arrêté Je vais vivre. Dans son premier livre, Lale Gül se cachait derrière le pseudo Büsra. Dans le second, elle retire le masque de l’anonymat et entraîne son lecteur dans le récit de ses échanges avec son psychologue ; ils constituent le noyau dur du livre. Car si le premier livre l’a rendue riche et célèbre, la liberté tant convoitée lui a valu de nombreux problèmes. Entre autres, la séparation, ou plutôt l’expulsion violente, de sa famille, ce qui lui pèse toujours. Sa petite sœur adorée de 13 ans, Defne, notamment, lui manque terriblement. Devant son psychologue, consulté initialement pour analyser ses échecs amoureux, Lale dévoile ses doutes et ses craintes. A-t-elle bien fait, finalement, d’écrire ce fichu premier livre qui a valu à Defne de connaitre le harcèlement scolaire ? N’aurait-elle pas dû supprimer ces passages dans lesquels elle racontait ses ébats avec son premier amour, un garçon hollandais de souche, et donc impie pour les siens, et dont le père, admirateur du politicien anti-musulman Geert Wilders, exigea et obtint que chez lui, elle retire son voile ? 

Oui : trois ans après son premier succès littéraire, Lale Gül se sent libre ; mais également déboussolée, en proie à des crises de panique ou de haine-de-soi, cultivant un jour sa solitude, la maudissant le lendemain. Les menaces, quant à elles, ne se tarissent pas. Lale ne digère pas les « accusations » provenant des cercles communautaristes, selon lesquels elle cherche à se faire passer pour « une femme blanche néerlandaise ». Un dilemme la taraude : doit-elle répondre aux supplications de sa sœur, porter de nouveau le voile, demander pardon à sa famille et revenir à l’islam, pour aller mieux ? Doit-elle céder au chantage au suicide de sa mère, qui estime qu’elle est « morte » à ses yeux « depuis qu’elle ne se prosterne plus devant Allah »? Tous ces combats et dilemmes constituent les moments forts du livre, lesté inutilement selon moi par le récit de frasques dans un club échangiste en Espagne. 

Récupérée par Geert Wilders

Si, dans son premier livre, Lale Gül avait parlé avec une certaine pudeur de sa situation familiale, elle révèle à présent le détail effrayant du fameux soir de la rupture : sa mère l’a battue avec un soulier et lui a donné des coups de pieds, tandis que ses oncles et tantes y allaient carrément de leurs poings, sans la moindre retenue. Son frère aîné, bien que lui étant hostile, est le seul à avoir tenté de la protéger tant bien que mal ce soir-là. Quelques heures auparavant, Lale Gül avait assuré la publicité de son premier livre dans un programme de télévision à large audience. Puisque ses parents ne regardaient que la télé turque, leur fille se croyait à l’abri. Grave erreur, puisque des gens du quartier l’ont reconnue et ont entendu ce que la petite Lale disait d’eux… De retour chez elle, après l’émission en direct, un comité d’accueil hystérique et violent l’attendait. Elle réussit heureusement à s’enfuir de cet enfer familial le soir même. Errant dans la nuit dans une ville déserte, elle trouve de l’aide avec le peu de batterie qu’il reste sur son portable auprès de la mairie, qui lui procure un lieu sûr.

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Les parents de Lale Gül avaient émigré aux Pays-Bas depuis les fins fonds de l’Anatolie dans les années 90. Ils se sont établis dans un quartier de l’ouest de la capitale, où environ 60% de la population est issue de l’immigration. Paradoxalement, la « conversion » de Lale Gül à la civilisation occidentale commence à l’époque où elle fréquente l’école coranique. Ses parents l’y envoyaient chaque samedi ; c’est sa petite sœur qui s’y rend à présent. « À l’école néerlandaise, on m’encourageait à poser des questions, à l’école coranique à obéir », se souvient-elle. Le livre-évènement paraît aux Pays-Bas alors que M. Geert Wilders, grand vainqueur des élections législatives de novembre 2023, pèse de tout son poids dans la constitution d’une future coalition gouvernementale de droite. S’il n’a pas obtenu l’interdiction des écoles coraniques et du port du voile islamique dans l’espace public, la coalition promet que l’immigration non-européenne sera restreinte au maximum, tout comme le regroupement familial dont ont tant profité de nombreux « Gül ». Geste hautement symbolique: les mosquées seront également tenues de baisser le volume des appels à la prière… Il y a quelques années, Lale Gül semblait attirée par la droite radicale néerlandaise. Dernièrement, elle se fait plus discrète sur le plan politique. Si M. Wilders utilise régulièrement l’exemple de ses livres pour vilipender les méfaits de l’immigration auprès des électeurs, « c’est son affaire » affirmait-elle dernièrement. Dans Je suis Libre, elle le remercie néanmoins de son soutien. Gratitude dont bénéficie également une ferme opposante au tribun anti-islam, la maire réputée « woke » d’Amsterdam, Femke Halsema, laquelle avait offert un gîte à l’écrivaine perdue, chaussée de charentaises, dans les rues sombres d’une nuit d’hiver.


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Journaliste hollandais.

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