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Quand les Vikings assiégeaient Paris

« Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! »… au IXe siècle ?


Quand les Vikings assiégeaient Paris
Le comte Eudes défend Paris contre les Normands, toile de Jean-Victor Schnetz, 1837. D.R.

Alors qu’en ce XXIe siècle le gentil peuple de Paris s’apprête à déferler sur la Province, chassé par les hordes de touristes et les amateurs d’embouteillages, les éditions Anacharsis publient un petit bijou du Moyen Âge, cette époque troublée où les Northmen pillaient l’Île-de-France et engrossaient la bonne fermière de la Neustrie: Le Siège de Paris par les Vikings ! Alors ? De quoi se cloîtrer sur l’Île de la Cité pour une petite heure de lecture et d’épopée!


Qui a dit que les moines et les diacres n’écrivaient que des psaumes et des versets barbants ? Abbon de Saint-Germain composa en 897 pas loin de 1400 vers relatant le siège de Paris par les Normands, entre 885 et 887. 

Plongeon dans la Seine

Et comme tout témoin oculaire marseillais qu’il n’était pas, il a tendance à en rajouter des tonnes. La traduction par Enimie Rouquette des deux premiers livres de son De Bellis parisiacae urbis donne envie, si ce n’est de sauter dans la Seine, au moins d’y naviguer pour combattre quelque barbare qui traînerait dans le coin. 

Car cette « épopée grammaticale » comme le dit la clergesse moderne, ressuscite des noms de héros et d’ennemis oubliés : les Rorgonides, et Èbles qui « réussit à en transpercer sept d’un coup d’une seule flèche, et demanda en riant aux autres d’apporter cette brochette en cuisine ». Ou encore Adalhem « qui vainquit ces impies et les trucida ». 

Les phrases retentissent comme les cors et les olifants sur les tours de Notre-Dame —quoi, elle n’existait pas encore ? C’est de l’épopée surréaliste avant l’heure ! Et on la lit comme on veut, d’abord ! « Car les barbares traînent à la Seine les corps sans vie de ceux dont l’éloge et le nom sans cesse voleront sur les bouches des hommes, de même que leurs morts et leurs guerres insignes, jusqu’à ce que le soleil apprenne à parer de ses rayons les ténèbres de la nuit ».

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Plus qu’une source sur les événements d’alors, ces quelques pages sont un manuel scolaire à destination de tous les « épopéïstes » amateurs : de Virgile à Homère en passant par Isidore de Séville, le texte d’Abbon est une agape de rhétorique, de clins d’œil et d’emprunts à tel ou tel que le jeune clerc devait imiter. D’une page l’autre, syllepse, épizeuxe et épisynalèphe rivalisent à coups de paragraphes ! Et ce syncrétisme du style donne naissance à des trouvailles miraculeuses, jouissives comme cet anathème dont on devine qu’il vaut mieux ne pas se le voir adressé : « Peuple hostile à Dieu qui sera cuit pour servir de repas dans la marmite de Pluton ! » 

Une ville imprenable

Et c’est Paris lui-même, la Francie, qui se dresse contre ces Vikings pour la plupart déjà convertis dans leurs congères du nord : « Mes fleuves résonnaient du bêlement des agneaux, mes riantes prairies et mes vallées de Tempé du dense mugissement des bœufs, mes bois retentissaient de la clameur rauque des cerfs, et le grondement des sangliers déchirait mes forêts. Voilà ce que ces hommes m’ont sauvagement arraché ! » 

Car, comme dans toute bonne œuvre médiévale, l’auteur laisse poindre une critique, une allusion à la décadence d’alors : « Abbon reprend cette idée dans ses vers de conclusion : les Francs auraient notamment cédé au luxe vestimentaire et à la licence sexuelle… » Paris est enfumé, éventré, défiguré mais Paris a résisté ! Paris résistera ! Car c’est un mythe et son nom fait rêver : « Ton nom actuel, un nom hybride, une sorte de métaplasme l’a forgé… et sous ce nouveau nom de Paris, le monde t’appelle en quelque sorte « paire d’Hysia »  — ou pas…

Abbon, Le Siège de Paris par les Vikings, traduit du latin et annoté par Enimie Rouquette, Anacharsis, mai 2024, 125 p.

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Agrégée des Lettres et Docteur ès Lettres des Universités d'Aix-Marseille et Autonome de Madrid.

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