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Dissolution: Macron appuie sur le bouton rouge

« Quel bordella » se lamente-t-on dans les couloirs de l’Élysée et dans les rangs de la majorité présidentielle


Dissolution: Macron appuie sur le bouton rouge
Emmanuel Macron: "J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l'Assemblée nationale". Le président Macron sur les écrans à la soirée électorale des élections européennes avec Francois-Xavier Bellamy au siège de Les Republicains, Paris, 9 juin 2024 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Européennes 2024 et dissolution: le tonnerre et la foudre. Les premières leçons du scrutin européen en France.


La foudre tombe puis on entend le coup de tonnerre. Dans la vie politique française, le résultat historique du Rassemblement national aux élections européennes de juin 2024 aura été la foudre avant que le coup de tonnerre de la dissolution ne rugisse dans le ciel. Ce fut une soirée majeure aux conséquences potentiellement énormes pour la suite de la vie politique de notre pays, à court, moyen et long termes.

Le RN solidement installé dans la vie politique du pays

Il n’y a plus qu’un seul parti de masse en France, c’est le Rassemblement national. Avec un score de 31,5%, la liste menée par Jordan Bardella a tout simplement écrasé la concurrence. Songeons que sa première poursuivante n’est qu’à 14,5% des suffrages exprimés, soit moins de la moitié des voix qui ont été accordées à un Rassemblement national désormais très solidement installé comme la première force politique du pays. Un véritable camouflet pour la majorité présidentielle, laquelle comptait pourtant il y a quelques mois de cela sur un effet Gabriel Attal avec le remaniement du gouvernement. Emmanuel Macron l’a d’ailleurs poussé à débattre face à Jordan Bardella : rien n’y a fait. Las, le plus jeune Premier ministre de l’histoire de la Vème République est déjà sacrifié par Emmanuel Macron. Jupiter est désormais Saturne, Dieu dévorant ses enfants et jetant par-dessus bord des députés qui ne peuvent que pleurer sur leur sort… Ce qui était encore jusqu’il y a peu un duel entre la majorité présidentielle et le Rassemblement national est maintenant un cavalier seul pour la formation de Marine Le Pen.

Emmanuel Macron a une psychologie particulière et une lecture de l’opinion publique française qui ne l’est pas moins. Face à la catastrophe industrielle électorale, il s’est senti coincé et a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. Il a ainsi pris au mot et même devancé Jordan Bardella qui avait annoncé qu’il demanderait une dissolution en cas de large victoire. Le premier effet positif pour le président est qu’il a substitué un débat à un autre. Il n’a plus à expliquer le très mauvais score de sa brave mais incompétente candidate Valérie Hayer, puisque Renaissance est déjà reparti en campagne. Une campagne électorale qui sera particulièrement brève, à peine trois semaines avec un second tour qui tombera au mois de juillet… On peut imaginer les immenses problèmes logistiques que des délais aussi brefs poseront aux différentes formations politiques. A n’en point douter, les partis au fort ancrage local et les sortants seront très avantagés par une configuration qui fera la part belle aux « professionnels » de la politique.

La deuxième analyse à donner est plus spéculative. On peut imaginer qu’Emmanuel Macron prend le pari que les enjeux de l’élection européenne et de ces législatives seront différents, de même que les candidats. Il doit aussi espérer que la coupe n’aille pas à la lèvre. Face au fantasme, certains finissent par s’arrêter au dernier moment. Il en va d’ailleurs des masses comme des individus. Alors que les Français peuvent porter le Rassemblement national pour la première fois à Matignon, vont-ils finalement franchir le pas ou reculer devant le dernier obstacle ? C’est là un pari très risqué que prend Emmanuel Macron. Un pari qu’il peut perdre. A-t-il bien pris la mesure de la lassitude et de la profonde colère des Français ? Ces derniers ne demandent pas des châteaux en Espagne et des folies. Ils se moquent bien des Jeux Olympiques ou des réceptions avec Kylian M’Bappé. Ce qui les intéresse est plus simple et plus essentiel. Si simple d’ailleurs que personne dans la classe politique ne semble le réaliser. Les Français en ont assez du désordre, de la perte de repères, de la fiscalité étouffante et des attaques aux couteaux. Ils veulent que les OQTF soient appliquées, que leurs enfants puissent acheter une maison et que leurs petits-enfants puissent faire la fête sans jouer leur existence.

Tant que la classe politique ne le comprendra pas, le Rassemblement national progressera. A force de jouer au petit théâtre antifasciste que même Lionel Jospin a qualifié a posteriori de ridicule, nos responsables politiques se sont sortis de la réalité quotidienne du peuple qu’ils sont censés représenter. Le Rassemblement national domine tout parce que la classe politique n’a cessé d’affirmer qu’elle voulait « le faire reculer » sans jamais s’attaquer sérieusement aux problèmes qui le font progresser. Nouvellement élu à Strasbourg avec le RN, l’ancien commissaire de police Matthieu Valet en a fait la parfaite démonstration sur BFMTV lors du débat suivant la révélation des résultats. Alors que ses adversaires s’embourbaient dans des considérations idéologiques et des débats politiciens, il a déclaré que les législatives seraient pour son parti l’occasion de parler d’ « immigration, de sécurité, de comment se déplacer et de comment se nourrir ». Simple, concret et efficace. Ses adversaires pourront toujours l’accuser d’être « démagogue » ou « d’extrême droite », ça ne servira à rien. La seule chose qui pourrait leur servir pour gagner durablement n’est pas de dire que le Rassemblement national est « incompétent » mais de faire enfin la démonstration de leur savoir-faire.

Et ce d’autant plus qu’une législative n’est pas une élection présidentielle. De fait, la perspective d’une « simple » cohabitation pourrait justement rassurer les Français et leur servir de sas de décompression. L’aveuglement du centre et de la gauche est tout de même sidérant. Il en devient, à dire vrai, dangereux pour la France. Toutes ces belles âmes qui se rejettent la responsabilité de la « montée de l’extrême droite » sur les chaînes d’information en continu se rendent-ils compte de la froide colère de Français qui se sentent totalement dépossédés de leur pays, de sa substance et de son futur ? Ils ont pourtant prévenu à plusieurs reprises, ont appelé à l’aide, ont manifesté. Ils n’ont jamais été pleinement entendus.

Une reconfiguration politique totale

La Vème République est dysfonctionnelle depuis plusieurs années déjà. Elle ne peut vivre sainement qu’avec le bipartisme strict induit par le clivage droite / gauche qui l’a vue naître, surtout dans le cadre du quinquennat. La dissolution pourrait donc confirmer ce que tout le monde a déjà compris : notre vie politico-sociale est bloquée. Cette maladie chronique était atténuée par le fait majoritaire qui permettait à notre vie législative de fonctionner à peu près normalement, mais il est fort possible que la dissolution accouche d’une Assemblée nationale sans véritable majorité. De facto, nous basculerions dans un régime à l’italienne sans aucun des avantages qui va avec ni la culture politique du compromis qui lui est appropriée. Il faudrait alors bricoler des majorités présentant des alliances de contraintes et de contraires. Renaissance a déjà annoncé par la voix de Stéphane Séjourné que le parti ne présenterait pas de candidats face aux députés sortants appartenant au « champ républicain ». Il faut vraisemblablement entendre par là certains députés des Républicains, du Parti socialiste, des Verts et de LIOT.

Emmanuel Macron n’est pas idiot. Il a déjà dû faire le calcul que parmi les 61 députés des Républicains sortants, nombreux seront ceux qui ne voudront pas gouverner avec une majorité en difficulté mais qu’en même temps nombreux sont ceux qui pourraient ne pas prendre le risque de l’absorption / digestion au sein d’une majorité du Rassemblement national. Au fond, il faut bien entendre la dissolution comme la prise de conscience d’une mise en échec. Emmanuel Macron a donc tenté « all in ». Emmanuel Macron avalise le fait que les Français veulent un changement profond et les met au défi : « Vous voulez le Rassemblement national, allez au bout de vos intentions ». C’est osé. Il suffisait d’ailleurs de voir la tête de Jean-Luc Mélenchon pour mesurer la stupeur d’une bonne partie de la gauche. Raphaël Glucksmann, bon troisième qui a pris des voix à la majorité, était lui aussi en état de sidération. Même Marine Le Pen semblait passablement surprise. Car, c’est l’inconnu qui attend au bout du chemin.

Soit le Rassemblement national gagne, soit il perd et personne ne gagne. Les choses sont claires. Si le parti de Marine Le Pen emporte une majorité, Jordan Bardella battra le record nouvellement acquis de Gabriel Attal, Marine Le Pen ayant déjà décliné l’offre pour se préserver en vue de l’Elysée – un pari étonnant qui tranche avec l’habitude de la Vème et pourrait s’avérer perdant, mais nous n’en sommes pas là. Dans le cas où le Rassemblement national ne progresserait pas suffisamment, il faudra imaginer une nouvelle majorité. Emmanuel Macron pourrait d’ailleurs dans cette optique s’appuyer sur la dynamique socialiste impulsée par M. Glucksmann qui, s’il ne part pas avec la Nupes dès le premier tour, sera sûrement Macron-compatible, ce qui permettrait au président de marginaliser La France Insoumise.  Toutes ces hypothèses hautement spéculatives ne sont que l’écume du tsunami politique hexagonal que nous venons de vivre. Ce dernier est au fond salutaire. Les non-dits ne sont pas plus sains au sein d’une famille qu’ils ne le sont au sein d’une nation : il était temps d’entendre les Français. Mais il sera bien plus important d’entendre les raisons profondes de leur désarroi. Les citoyens français n’ont voté que pour leur quotidien ; ils ont relégué au second plan les grandes questions internationales et même le fonctionnement de l’Union. Ils ne demandent qu’une chose très concrète ; enrayer la spirale du déclin. Les leçons de morale et le chantage n’ont absolument plus aucun effet. Le Rassemblement national n’est plus un vote de classe ou régional. Il est majoritaire dans 96 départements, à tous les âges et dans quasiment toutes les classes sociales. Un fait inédit sous la Vème République. La foudre frappera-t-elle encore le 5 juillet ?



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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