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Bardella: le triomphe tranquille

Nos reporters dans les QG du RN et de Reconquête


Bardella: le triomphe tranquille
Jordan Bardella, hier soir à Paris © Chang Martin/SIPA

RN, Reconquête: deux salles, deux ambiances. Nos deux reporters se sont faufilés aux soirées électorales de la droite nationale. A 20 heures, le score de la liste de Jordan Bardella confirme les estimations les plus optimistes. A 21 heures, le président de la République annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Marine Le Pen l’assure alors: « Nous sommes prêts à exercer le pouvoir si les Français nous font confiance lors de ces futures élections législatives. Nous sommes prêts à redresser le pays ». Éric Zemmour, de son côté, rêve d’une Nupes de droite, pour que les idées nationales soient majoritaires et s’emparent de l’Assemblée.


Rarement les ennuyeuses élections européennes auront autant bousculé la vie politique française ! La cuvée 2024 aura réveillé les abstentionnistes, accéléré la recomposition de la vie politique française et contraint Emmanuel Macron à un bouleversement institutionnel. Au prix d’un coup de tonnerre présidentiel peu après 21 heures, la banale soirée électorale qui ennuyait tout le monde s’est transformée en un été électoral à trois tours.
Nos deux reporters, réunis la semaine dernière au meeting de Jordan Bardella, se sont cette fois séparés, l’un à la soirée électorale du Rassemblement National, l’autre à celle de Reconquête, pour capter l’ambiance des deux salles •


Reconquête et RN : deux salles, deux ambiances

Bois de Vincennes, les familles achèvent leur promenade dominicale dans le parc floral et le RN réunit ses soutiens au Pavillon Chesnaie du Roy (12e arrondissement). Le champagne est au frais ; prudents, les sympathisants sont encore au blanc. Vers 19h, les premiers chiffres circulent. L’enjeu pour le parti restait la mobilisation de sa base électorale, réputée perméable à l’abstention. « Quelques remontées nous viennent de nos députés et elles sont excellentes… » assure un candidat bien placé sur la liste. Emeric Salmon, député de Haute-Saône, concède un certain soulagement : « Je disais ces derniers jours aux militants qu’il faudrait se satisfaire d’un score de 28 ou 29%… Ils étaient tellement motivés, alors si le résultat n’était pas la hauteur de ce qu’on annonçait dans les sondages, cela aurait été forcément décevant ». Le scénario noir des régionales de 2021, où l’abstention massive de l’électorat RN avait douché les espoirs du parti, reste dans les esprits.

Rue Goujon (8e arrondissement), les premiers militants se retrouvent dans les étroites pièces du QG de Reconquête. Rapidement, la chaleur et la foule rendent la déambulation difficile. Pour le moment, les jeunes gens sont surtout inquiets du résultat de la finale masculine de Roland-Garros ! Et parmi les militants, la crainte que la balle frôle la ligne blanche des 5% et retombe du mauvais côté est difficile à dissimuler… Des papiers incendiaires, sur un possible clivage au sein du parti, et même sur son imminente explosion (dans les colonnes du JDD), sont commentés à bas bruit. Si l’on en veut un peu à Geoffroy Lejeune d’avoir laissé passer cet article en plein scrutin, des militants reconnaissent que le choix fait par la tête de liste de taper à fleurets mouchetés sur la liste Bardella était en effet discutable, « puisque les réserves de voix étaient plutôt chez eux ». En fin d’après-midi, le président du parti, Éric Zemmour, fait un rapide tour parmi les troupes, suscitant la première bouffée d’enthousiasme de la soirée.

Soulagement et triomphalisme

A 20 h, le score est sans appel et confirme les estimations les plus optimistes. Avec 32%, voici le RN hégémonique à droite.

A Reconquête, pourtant, c’est le soulagement. L’apparition du visage de Marion Maréchal est associée au chiffre de 5,1% sur la première chaine. En zappant sur d’autres chaines, le score est même légèrement meilleur. Les militants laissent échapper leur joie : « Marion députée ! ». Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique et des levées de fonds au sein du parti, nous l’assure : « Nous avons le bon diagnostic. Nous avons la ligne qui paiera à long terme. Avec ces cinq députés que nous obtenons, nous entrons dans la cour des grands partis ». L’apparition sur les écrans du rival numéro 1, Jordan Bardella, est accueillie diversement. Quelques huées ne sont pas retenues.

Côté RN, si on écrase la concurrence, on se garde de tout triomphalisme, dans les discours comme dans les commentaires. Jordan Bardella appelle « à l’humilité et la responsabilité ». La salle, d’ailleurs polie, acclame sans déversement de joie excessive la confirmation d’un triomphe qui était finalement attendu. Faut-il anticiper des changements institutionnels ou politiques, au niveau européen ? Le président du parti vient bien d’appeler le président de la République à dissoudre l’Assemblée. Gaëtan Dussausaye, 29e sur la liste et nouveau député européen tempère : « On verra plus tard pour tout ça, d’abord on savoure le triomphe. Nos idées gagnent du terrain. Les Français ont compris que nous étions prêts pour l’alternance. » La consigne est appliquée à la lettre : responsabilité, humilité.

Coup de poker présidentiel et coup de théâtre politique

Un coup de théâtre vient secouer le triomphalisme tranquille du RN. Lors de son allocution présidentielle, annoncée en début de soirée, Emmanuel Macron annonce l’emploi de l’article 12 : « dissolution » ! Les militants se laissent alors aller à l’euphorie. Des jeunes courent dans les jardins et hurlent leur joie. A annonce exceptionnelle, mesure exceptionnelle : le secrétaire général du Parti, Gilles Pennelle, gueule un bon coup pour battre le rappel des troupes : « Allez, allez… la fête est finie. Tous au siège ! On a un boulot ». Message reçu. Une militante habituée des lieux se réjouit « de reprendre le balai et la colle dès ce soir ». Les cadres du parti désertent un par un le parc floral. Comme saisis par le vertige, les militants affichent leur confiance et se disent certains d’envoyer une majorité RN à l’Assemblée ! Jean-Lin Lacapelle assure que tout est prêt en interne : « Nous avons prévu un dispositif Matignon au cas où Emmanuel Macron dissoudrait l’Assemblée ». Les photos seraient déjà faites… mais, on presse tout de même les cadres pour se faire tirer le portrait à l’étage. Fidèle à sa réputation d’intellectuel sage et mesuré, Pierre-Romain Thionnet tient un discours très « force tranquille » : « Macron espère faire peur aux Français en agitant la menace du désordre institutionnel et réactive la diabolisation, mais je pense que cela n’aura aucun effet. Les Français veulent vraiment sanctionner le président. » Il retournera probablement affronter Charles de Courson, en Haute-Marne, contre lequel il avait largement échoué en 2022.

Vers une Nupes de droite ?

Le coup de théâtre n’est pas moindre chez Reconquête, rue Goujon. Et à vrai dire, la soirée commençait à devenir longuette quand l’allocution présidentielle débute. Si le président Macron a réussi quelque chose ce soir, c’est bien de transformer les huées habituelles que lui réservent les militants Reconquête en hourras et en applaudissements à l’annonce de la dissolution. Pour les journalistes, l’annonce de deux tours en plus en ce début d’été a le goût d’une deuxième part de gâteau. Pour les communicants du parti, cette épreuve de sprint imposée trois semaines après la fin du marathon des Européennes, et à quelques jours du début des JO, ne réjouit pas franchement. Et il n’est pas dit que dans le coup de poker présidentiel, on ne mise pas sur l’épuisement des troupes parmi les partis rivaux… Pour les militants, la possibilité de constituer « une Nupes de droite » dans les prochains jours redonne de la vigueur dans les rangs. La grande alliance des droites est ici dans tous les esprits – un mythe mobilisateur pour la base, et une planche de salut pour les cadres du parti. Les yeux des militants pétillent, quand Marion Maréchal l’appelle explicitement dans son discours, citant comme partenaires les LR, Dupont-Aignan et le vainqueur du jour Jordan Bardella.

Ces alliances qui font rêver Reconquête, il en est à peine question au RN. Alexandre Loubet, le directeur de la campagne des Européennes du RN, tient un discours combattif mais botte en touche sur les questions qui fâchent comme celle des alliances électorales. Le RN a de bonnes chances d’arriver en tête le 30 juin, mais pourra-t-il être majoritaire sans alliance, coalition ou accords avec des partenaires politiques ? Un collaborateur parlementaire proche de la direction dédaigne tout cartel des droites, et assure « qu’historiquement la droite n’a pas la culture de l’alliance mais de la domination. Bien malin celui qui peut dire ce qui se passera… je ne m’appelle pas Madame Irma ». Raphael Audouard, responsable de la fondation Identité et Démocratie, préfère rester à un poste d’observateur : « Ce sont à ces forces politiques concurrentes de se positionner par rapport à nous. » Sous-entendu : pas d’accords de partis pour l’instant, mais tout ralliement individuel est évidemment le bienvenu… La question des alliances ne se pose donc pas vraiment au RN ; le parti entend exercer son hégémonie sans faire de concessions à ses concurrents. 

Les cadres désertent rapidement le parc floral. C’est que les investitures vont se négocier rapidement et nerveusement, sans doute jusqu’au bout de la nuit. Au siège du parti, un bureau exécutif exceptionnel est convoqué pour 22h. A Reconquête, les deux leaders interviennent tour à tour. La décomposition du parti promise par des oiseaux de mauvais augure n’est pas pour tout de suite, mais la différence des stratégies s’exprime encore dans les deux discours. Marion Maréchal se réjouit de son choix, qui ouvre une perspective d’alliance. Pour que l’idée d’union ne divise pas, Stéphane Ravier nous confie : « Zemmour et Marion ont tous les deux raison, et en même temps, ils ont tous les deux tort ». Jamais Marseille n’avait été aussi proche de la Normandie (P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non…). Et en même temps, jamais la rue de Goujon n’était aussi loin d’une union avec le Pavillon Chesnaie du Roy…




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